Adapter pour l'écran un fait marquant de l'histoire contemporaine n'est pas chose aisée, les spectateurs rejettant généralement en bloc tout film basé sur une actualité brûlante, par peur majoritairement d'un sensationnalisme déplacé. Si l'on excepte quelques réussites miraculeuses ("Vol 93" et "Battle for Haditha" en premier lieu), beaucoup de cinéastes s'y sont cassé les dents, à l'image d'Oliver Stone ("World Trade Center") ou Brian DePalma ("Redacted"), le premier par manque évident de recul, le second par des partis pris malheureux.
Enfin reconnue à sa juste valeur par un Oscar amplement mérité pour "Démineurs", Kathryn Bigelow s'attaque ici à un sujet ô combien risqué, la longue traque de l'ennemi public numéro 1: Oussama Ben Laden. Clairement divisé en trois parties (le terrain; Washington et la capture), "Zero Dark Thirty" reste, pendant près de deux heures et demie, concentré sur son sujet sans jamais en dévier, débutant par les attentats du 9/11 pour s'achever sur la mort de Ben Laden.
Bigelow et son scénariste Mark Boal nous dévoilent donc dix ans d'investigation, à partir d'un script parfaitement construit et précis, privilégiant les faits et rien que les faits plutôt qu'un discours tout préparé, nous montrant la difficulté de mener à bien une opération quand l'opinion d'un pays et sa politique est en mutation constante.
D'une objectivité à toute épreuve, le film de Bigelow ne cherche jamais à prendre parti pour tel ou tel camp, pour une politique plutôt qu'une autre. Ni de droite ni de gauche, ni démocrate ni républicain, ni engagé ni patriotique, "Zero Dark Thirty" montre tout simplement la réalité du terrain, l'horreur d'un conflit. Oui, torture il y a eu. Oui, des erreurs ont été commises. Oui, cent fois oui, rien ne s'est fait sans se salir les mains. Est-ce que la traque d'un seul homme justifiait tout cela ? A chacun des spectateurs de se faire sa propre opinion, Kigelow et Boal ne jugeant jamais les actes des personnages et ne les excusant encore moins.
Cinéaste de l'action, mettant généralement en scène des héros burnés, Kathryn Bigelow n'a cependant pas son pareil pour brosser des portraits de femmes fortes (Jamie Lee Curtis dans "Blue steel", Angela Bassett dans "Strange days"), offrant ici un superbe rôle à Jessica Chastain, parfaite en agent obstiné qui donnera dix ans de sa vie pour débusquer le barbu le plus célèbre après le Père-Noël. Autour d'elle, un casting impeccable, allant de Mark Strong à Joel Edgerton, en passant par Edgar Ramirez et Jennifer Ehle, tous excellents malgré un temps de présence à l'écran parfois restreint.
Aussi tendu que paranoïaque, retranscrivant avec la même force la tension du terrain et la frustration du siège de la CIA (suivre les évènement par le biais d'images satellitte procure une certaine claustrophobie), "Zero Dark Thirty" est une réussite incontestable, certes pas aussi puissante que "Démineurs" et parfois un peu longue mais qui étonne par son regard objectif sur des évènements encore très présents dans l'esprit de chacun et qui confirme s'il en était encore besoin que Kathryn Bigelow à décidément de sacrées couilles.