'Cinema' ne rime pas avec 'Vraie Vie'
'Zero Dark Thirty' s'inscrit dans la veine de 'The Hurt Locker' : pousser le réalisme des situations au maximum pour générer la curiosité du spectateur. Mais il souffre du Syndrome Tarantino Dégressif (STD pour les intimes), à savoir que, plus on avance dans sa filmographie, plus on va loin... trop loin... dans ce concept.
Tout est là pour refaire le coup de 'The Hurt Locker' mais puissance 10 : du shaky cam de bout en bout, un montage cut brut de décoffrage, une construction narrative très lente pour faire monter le suspense, le désert, la poussière, les méchants terroristes, le héros américain seul contre tous et aux idées extrêmes, etc.
Mais cette fois-ci, le vice est poussé plus loin quant au sujet traité : la traque et l'exécution de l'ennemi public numéro un, Oussama ben Laden. Et le parti pris est d'en faire un reconstitution à l'exacte (ou presque), en mode vidéo-journaliste de terrain. Donc forcément, c'est sale, ça tâche, il y a de la torture (mais au final, bien moins impressionnante ou même dérangeante que ce qu'en laissaient présager les media), des meurtres avec de la violence, tout ça tout ça.
Mais ces éléments ne constituent qu'une partie mineure (en terme de screen time) des 2h30 du film. La partie la plus détaillée concerne tout l'aspect géo-politique de la recherche : on visionne des enregistrements vidéo, on passe des coups de téléphone, on engueule son supérieur hiérarchique quand il ne nous apporte pas l'aide que l'on considère nécessaire pour mener à bien notre travail... Bref, toutes ces situations de la vie vraie vécue par des vrais gens... de la CIA. Ben, c'est pas très funky tout ça.
Enfin bon, comme on a très vite compris que ce film n'offrirait pas un rythme de malade (il doit y avoir seulement 3 ou 4 décors différents pour les 40 premières minutes du film), on se dit qu'il faut voir ça comme un documentaire. Ok, c'est parti !
Qu'est ce que l'on est en droit d'attendre d'un documentaire ? Qu'il nous montre des choses que l'on ne voit pas forcément à la télé ? Qu'il nous apprenne des choses sur le sujet qu'il traite ? Qu'il nous offre un point de vue original et bien construit à propos d'un sujet d'actualité ?
Ici, rien de tout ça : zéro recul sur la situation, on ne présente les faits que tels qu'ils sont (ou en tout cas, tels qu'ils ont été dramatisés pour quand même justifier la présence d'un scénariste), sans apporter d'avis. Et pourtant, il y a matière à dire des choses vu le sujet traité.
Le plus évident concerne la torture : une nécessité pour obtenir des informations face à un ennemi qui nous échappe ou une abominable invention de l'espèce humaine ? Il semble que Kathryn Bigelow n'ait rien de plus à dire sur ce sujet que "Ok, la violence, c'est violent et pas zoli à voir mais ça nous a permis de trouver ben Laden". Ah, ok, merci Kathryn !
Concernant les procédures administratives et décisions politiques, c'est aussi la déception : plein de détails sympas sont lancés à droite à gauche mais jamais rien ne sert : aussitôt évoqué, aussitôt oublié : le messager de ben Laden conduit un 4x4 blanc, c'est super ; deux secondes après, on s'en fout. La protagoniste est démasquée par le réseau d'Al Quaïda et se fait tirer dessus alors qu'elle quitte son appart ; aucune conséquence ni sur elle psychologiquement ni pour la suite. Son patron lui demande de laisser tomber ben Laden et de se concentrer sur les menaces terroristes en Europe ; elle lui dit non ; il dit ok. Elle trouve la forteresse dans laquelle il est probable que ben Laden se cache ; ils identifient 2 hommes et savent qu'un troisième y réside mais impossible d'avoir une preuve sur son identité ; elle dit que c'est forcément ben Laden ; les autres ne la croient pas ; elle le répète suffisamment de fois pour qu'ils l'acceptent...
Et donc deux heures passent, c'est long, c'est pas super novateur (sérieux, regardez 'Syriana' si c'est pas déjà fait, il y a les mêmes idées en mieux et plus court), c'est du sous '24' au niveau esthétique, Jessica Chastain est énervante et devient même quasi insupportable...
Et puis vient le moment de l'assaut de la baraque fortifiée de ben Laden, le moment que l'on attend tous depuis le début. Ca commence plutôt bien avec l'arrivée en hélicoptère stealth et là, le monteur s'emmêle dans les rushes et on comprend plus rien. Une fois arrivé au sol, l'infiltration dans la baraque est longue et laborieuse (à chaque porte, bien évidemment fermée, il faut faire sauter la serrure. Au bout de la 8ème, ça devient long). Au final, 4 méchants sont tués (alors qu'on a bien insisté toute l'heure précédente qu'il étaient 3, mais il faut croire que tout le monde l'a oublié) et ben Laden prend un simple headshot quasi offscreen (Bane-style) et pouf, c'est bon. Comme anti-climax, j'ai rarement vu mieux.
Alors ok, c'est peut être réaliste mais est-ce intéressant à regarder ? Ben, si on apprenait des trucs, oui ; en l'état, ce n'est pas le cas. S'il y avait du suspense, oui ; en l'état, toute la construction, que ce soit dans la narration, la réalisation et le montage, fait que non.
'Zero Dark Thirty' est donc aussi bien un film pas super techniquement et mou du genou mais également un documentaire plutôt propre mais vide de contenu. Bref, une perte de temps.
PS : Le seul plan que je trouvais plutôt propre (dans sa composition) dans le trailer, quoique vraiment trop patriotique, n'a pas survécu à la final cut. Dommage.
PPS : Si la réalisatrice était un réalisateur, il y a peu de chance qu'on parle autant de ce film (encore plus si le personnage principal était aussi un mec)...