Entre chien et loup, ni oui ni non

Comment raconte-t-on une histoire quand on n'a pas les détails de l'intrigue? que tout le monde connait la fin? Est-ce que l'on fait de l'intrigue elle-même le personnage principal ou la met-on en scène via la vision et la psychologie de personnages humains? Toutes ces questions sont passionnantes et clairement posées par le film.
Problème: il n'y répond pas. Pire il ne les pose même pas.
Si dans Démineurs, que j'ai trouvé excellent, la psychologie du personnage principal teinte toute l'histoire, toute le vision du monde, tel n'est pas le cas dans Zero Dark Thirty. Jessica Chastain, comme le reste du casting, est exceptionnel, et cela implique au moins quelques points pour la direction d'acteurs. Mentionnons encore des images et une photo soignées, mais cela s'arrête là. Même le son aurait pu être meilleur (les Américains doivent apprendre le silence dans le cinéma à mon humble avis).

On se retrouve donc avec une ouverture strictement sonore et totalement pervers (je n'en dis pas plus pour éviter tout spoiler), puis une première séquence, pas moins pervers (ou comment prendre le spectateur pour un con) et pas plus utile ce qui est plus grave. Quand à la séquence finale, dont tout le monde se doute de ce qu'elle montre, elle n'avait qu'un défi à relever: assumer de ne jamais montrer Ben Laden pour achever la senssation que les personnages traquent un fantôme, une vieille nouvelle, une figure presque du passé. Et le film ne tient pas cette ligne, échouant in extremis.

Les personnages ne sont pas assez développés, pas assez épais pour être notre prisme et notre ancrage, et l'intrigue n'a pas suffisamment d'éléments narratifs pour devenir le personnage principal.

La totalité du film ne choisit pas son camp: film sur rien ou film à thème? importance des personnages ou primeur de l'intrigue? film de guerre ou film d'espions?
Et même à envisager que l'indécision pourrait être un parti pris artisitique décrivant l'anonymat des agents au sein d'un travail souterrain dans le cadre d'une guerre sans frontières et largement immatérielle, l'esthétique ne le pose pas assez clairement. Le flou, l'indécision, l'entre-deux, comme celui de l'heure tutélaire (minuit et demi) en tant que substrat esthétique doit être aussi clair que le soleil afghan de midi.

Le film échoue à répondre aux questions (artistiques) parce qu'ils ne prend pas le temps de les poser. Au final, le personnage et le thème du film c'est Bigelow et sa caméra, une femme derrière sa lentille. Alors on s'ennuie, car dans un film, il faut que l'on puisse oublier la caméra, ou alors qu'elle soit notre guide. Elle est ni l'un ni l'autre. Le film n'est ni une fiction, ni un documentaire; les personnages ne sont ni cela ni des pions, l'intrigue n'est ni centrale ni périphérique.

Quand Flaubert a écrit son "livre sur rien", L'Education Sentimentale, il produit un roman qui fournit de personnages construits allant d'une intrigue à l'autre. Son tour de force c'est d'avoir écrit sur rien avec tout. Bigelow a fait un film sur rien, de rien avec rien. Aucun mérite ici.


Ah oui et j'ai failli oublier: le film mentionne, montre, rappelle les attentats d'Al Quaida pendant la période du film. Un absent énorme: ceux de Madrid. Pas une mention, pas un appel, pas même une suggestion. Visiblement si ce n'est pas anglo-saxon ça ne compte pas. C'est de loin le point le plus problématique.
ChD
5
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le 1 févr. 2013

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ChD

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