Le cinéma et l'histoire : une vieille rengaine à Hollywood. La difficulté de l'exercice repose sur plusieurs facteurs : objectivité impossible dès lors qu'on entre dans l'analyse, simple exposition de faits devenant alors carrément invendable pour le grand public. Critiquer la guerre du Vietnam dans les années 80, c'est pas mal et le début de recul permet de mettre à jours des mécanismes complexes. Dans les années 70, c'est déjà beaucoup plus difficile, Apocalypse Now n'étant par exemple pas un film sur la guerre du Vietnam à proprement parlé ; pendant le conflit, cela devient carrément impossible.
L'exercice qui nous est proposé rentre à mon sens non pas dans la case historique, mais plus dans la case du journalisme. Je sais que ça existe, mais j'ai toujours eu et continue d'avoir d'immenses réserves avec cette histoire immédiate. On me dira, Thucydide en a fait avec son histoire de la Guerre du Péloponnèse. Oui, certes. Mais nous avons une vision biaisée du conflit. Malgré tout son talent Thucydide ne peut prétendre à livrer une analyse historique rigoureuse et implacable. Il peut présenter avec beaucoup de sérieux un récit, des faits, mais rien de plus.
Le propos du film va dans ce sens : narrer les faits de manière froide et le plus rigoureusement possible. La guerre contre le terrorisme, nous y sommes toujours. En 89 on a parlé de la fin de l'Histoire ; aujourd'hui sept 2001 serait une nouvelle rupture ? Et pourquoi pas 98 ? Ou 93, dates d'attentats majeurs amorçant la mécanique qui conduira aux twin towers ? Partant de ce principe on se retrouve devant notre écran à suivre une histoire que nous vivons via la tv, le net, mais cette fois-ci de l'intérieur. Les mécanisme froids de la CIA, les décisions qui se prennent sur des projections, des hypothèses. Les erreurs, le rythme imposé par les faits.
Le reste est classique et renvoie à des questions déjà abordées par 24h chrono ou Homeland : torture ou pas ? Assassinat ou pas ? L'héroïne campée par Jessica Chastain est caricaturale à souhait mais en fait on s'en fout. Là où la série Homeland peut prendre le temps de nous intéresser à des personnages, ce film n'a pour d'autre but que d'étaler des faits.
Il en résulte un film qui peut vite emmerder si on ne s'intéresse pas à la question, aux mécanismes de l'espionnage. On est un peu devant un remake du Munich de Spielberg, à la différence près que Munich, c'était il y a 40 ans ... ce qui permet tout de même un poil plus d'analyse et de recul.
Perso ces questions m'intéressent, donc j'ai passé un bon moment. Au crédit de la réalisation glaciale, une musique qui ne nous guide pas vers le pathos, peu de patriotisme si ce n'est au détour de quelques attentats pour nous rappeler que nous sommes en guerre, et pour longtemps. On pourrait se demander la part de l'Occident dans le déclenchement de cette guerre du terrorisme ; certes. Mais il faudra attendre encore un peu, avoir du recul, pour être capable, enfin, d'avoir une vue d'ensemble.
En attendant Zero Dark Thirty une vision de notre actualité récente qui mérite qu'on s'y attarde, plus sur le fond que la forme, il est vrai, extrêmement froide.