Brut de décoffrage mais très immersif
J'avais déjà vu un ou deux films de la réalisatrice, dont “démineurs", que je n'avais pas spécialement apprécié. Pourtant Zero Dark Thirty reprend les mêmes mécaniques, avec des plans bruts et une photographie cinglante, un scénario basique mais extrêmement immersif.
Remarquable coup de force, au final, puisque je n'avais pas ressenti une telle connivence pour un personnage depuis l'excellent “Captain Phillips“, de Paul Greengrass. L'héroïne, plantée tout en nuances par la divine Jessica Chastain, vous guide tout au long d'une traque rendue ardue aussi bien par les rouages même de la démocratie et les conflits d'intérêts entre les membres des différentes Agences Américaines, que par les pratiques des terroristes.
Ce que j'adore dans ce récit, pourtant pas gagné d'avance car tout le monde ou presque connaît la fin de la traque d'Oussama Ben Laden, c'est que la réalisatrice vous plante devant les séquences sans idéologie, sans pré-requis ni partit pris.
Je n'ai pas compris par contre les gens qui ont vu dans le film une apologie de la torture, car les scènes sont plutôt soft et plus suggérées que démontrées. La réalisatrice suit plus le fil d'une manipulation habile que d'une torture à proprement parler, même si on devine de longs procédés de torture psychologique en toile de fond. À vous d'y voir une interprétation cohérente du traité de Genève ou une certaine forme de naïveté. J'y vois plutôt la mis en avant sans fioritures de chaque camp, chacun avec sa vision, sa violence, ses raisons. Pas de démagogie, pas de patriotisme patenté pour vous enraciner dans vos idées préconçues, s'il y en a. Juste une image brute, des plans terriblement réalistes, mais jamais “gore“ pour autant. Suggérés, comme je viens de le dire. Personnellement, j'aime bien, puisque ça permet de sortir des schémas classiques de vengeance refoulée ou du mauvais penchant de personnages pas forcément très clairs, et surtout d'éviter les gros poncifs du genre. Alors même si quelques passages sont un peu trop imagés, l'ensemble reste totalement plausible et réaliste, et c'est pour moi tout l'intérêt de ce genre de procédé narratif. Vous suivez le personnage central dans ses pérégrinations, ses erreurs, ses fausses pistes, ses moments de doutes ou d'espoir. Le rythme lent et régulier, plein de tensions et d'évènements clés, parvient sans problème à vous maintenir attentif, et la trame finit même par vous coller la tête dans ce bourbier infect comme si vous y étiez. On en ressort donc avec la tête lourde, déboussolé par l'intensité d'une trame qui l'air de rien dépasse les 2h30, mais comblé par le savoir faire de sa réalisatrice et du scénariste, Mark Boal.
À aucun moment je n'ai ressenti de lassitude ou de baisse d'intensité. Ce film est donc pour moi un modèle de maîtrise de rythme et d'ambiance. Chaque plan est réfléchi, du cadrage en gros plan jusqu'à la superbe séquence de l'assaut, posée sur plus de quarante minutes, où chaque pas a été filmé en pleine nuit ET en Jordanie. L'équipe du film, bien que protégée par un important service d'ordre, est tendue, et on le ressent bien dans les attitudes des acteurs.
Bref, une belle réussite, qui vous tient en haleine de bout en bout. Chapeau bas, et merci Mme Bigelow.
Ah oui: à voir en VO impérativement.