La conquête se leste.
La scène d’ouverture de Zodiac se passe dans une voiture : c’est d’abord l’occasion d’un splendide travelling latéral sur la nuit dorée des 60’s finissantes d’une banlieue résidentielle, puis un...
le 27 déc. 2014
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Le téléphone indique 6h du matin. La nuit a été courte, très courte, les yeux sont encore secs et le cerveau bien trop somnolent. La veille je me suis gloussement endormi sur un sketch des Inconnus, celui sur le commissariat de police, vous connaissez hein, rassurez-moi ? Bref, quoi de mieux pour lancer le grand thriller de David Fincher, Zodiac, l'un des rares films que je n'avais pas encore vu dans sa filmographie, il était temps.
J'ai cru comprendre que le pauvre Zodiac était un peu maltraité dans la "cour de récré" du cinéma. Son grand frère, Se7en est déjà passé par là et a laissé son empreinte avant lui et à tous les coups, l'effet de surprise ou sûrement son âge plus avancé a joué davantage en sa faveur. Pourtant, avec tout le respect que j'ai pour Se7en, ce dernier n'a pas grand chose de plus que son petit frère mais, semble-t-il, bénéficie d'une bien meilleure estime chez les cinéphiles et ils adorent tendrement ces films macabres, tapent à l’œil, qui nous offrent véritablement une fin à toutes ces histoires de tueurs en série. C'est le cas de S7ven, moins long et porté par un duo d'acteurs plus "vendeur" dirais-je.
Quant à Zodiac, il a une fin digne d'un Inspecteur Derrick, bien trop terne pour le septième art. (Derrick, on t'aime !). Je ne le pense pas bien sûr...
Zodiac fait le choix de prendre un risque, celui de nous perdre en chemin. Avec ces puzzles de mots et pensées, avec ces personnages qui semblent tout aussi perdu que le spectateur, avec cette réalisation purement réaliste et loin de toute grandiloquence hollywoodienne. Il aurait peut-être fallu proposer deux ou trois scènes de meurtre en plus ! Le grand public en raffolent, et on a tous ce petit côté sanguinaire en nous... ou pas.
Le rythme n'est certes pas la plus grande force de Zodiac qui prend le temps d'installer son enquête et agencer plusieurs lignes de temps. Pour bien faire comprendre la détresse des enquêtes sur deux décennies. C'est bien mais évidemment ce n'est pas avec ce choix que le film va appâter et marquer au fer rouge les esprits, dans la mesure où on recherche une traque ultra-dynamique et diaboliquement mouvementée. Forcément, certains sont restés sur le carreau.
Et puis, dans cette foutue cour de récré du cinéma, il y a du poids lourd, Memories of Murder pour ne pas le nommer, que j'aime beaucoup d'ailleurs. On le compare souvent au Zodiac, et ce n'est pas plus mal, toutefois je considère ces deux films très distincts même si le thème du serial killer est abordé d'une façon analogue. A travers ce texte, je ne prétends pas rehausser le rang du film, loin de là, mais mais je jure solennellement d'y mettre du cœur à l'ouvrage...
Zodiac. David Fincher.
Ces quelques mots suffisent à prédire un moment de cinéma inoubliable, ou du moins de grande qualité, au moins d'un point de vue de l'écriture et de la direction d'acteurs, car il faut au moins ça pour porter cette affaire houleuse sur nos écrans.
C'est un grand, long et fastidieux récit auquel nous invite Fincher. En l'année 1968, aux moments des faits, David Fincher était encore un gamin quand un meurtrier a commencé à sévir. Était-il conscient de la monstruosité ambiante, il y a peu de chances, mais il a connu et senti cette époque. Ces nuits lumineuses décorés dans San Francisco, ou par ce soleil californien, les grandes unes des journaux ne parlaient que de ça, ses parents ou proches ont sûrement tremblé devant leur écran télé ou au son des radios à sensation. Il y était, indirectement ou inconsciemment.
C'est un croquemitaine, un Jack l'Éventreur version moderne, qui va mener la vie dure à de nombreux corps policiers. Il aime narguer, ne laisse que des indices qu'il va falloir déchiffrer minutieusement, très vite les pistes se retrouvent embourbées entre elles, autant dire que personne n'y était préparé. Aujourd'hui, il se ferait sans doute retrouver assez rapidement, avec les avancées technologiques, scientifiques, les vidéos surveillances, etc. Il a bien choisi son époque, le Zodiac.
Son ombre menaçante est à l'image du film de Fincher. C'est un périple de presque trois heures, et il faut le vivre comme tel, le spectateur que nous sommes est aussi éprouvé que le sont les enquêteurs. Il y a un grand nombre de noms à retenir, certains sont reliés entre eux, d'autres non. Et pour couronner le tout des petits malins se font un plaisir de s'en mêler en prétendant être le Zodiac ou en être proche. C'est soit louche, soit de mauvais goût, et j'aime cette ambiguïté.
David Fincher insiste sur le temps qui passe, sur cette notion d'un temps qu'il est impossible de contrôler. Il ne faut donc pas jouer avec le temps, mais en faire un allié. Et quand le personnage de Jake Gyllenhaal comprend cela il est déjà bien trop tard, il a d'abord regardé l'enquête de loin, sans que personne ne prête sérieusement attention à ses idées de pistes, et quand il se retrouve comme le dernier garant d'une vérité qu'il est le seul à croire, le ciel l'inonde d'une pluie battante et l'oblige à constater les dégâts du temps sur ceux qui l'entourent. Il ne lui reste plus qu'à écrire un livre, pour la mémoire collective. C'est triste et beau à la fois.
Le film réduit son aspect spectaculaire, le minimise, pour bien appuyer sur son aspect crépusculaire. Ce qu'ils essayent d'attraper, tant bien que mal, c'est de la putain de fumée !
Et on ne peut pas attraper de la fumée, techniquement. On ne peut que la sentir et trouver d'où ça vient. Et c'est en ça que réside cette odyssée sanglante, une traque à travers toute l'Amérique pour cerner l’insaisissable, mais bien souvent cela mène à la paranoïa. Fincher fait donc le choix de proposer seulement une petite poignée de scènes liées aux meurtres, et celles-ci sont d'une violence insoutenable. Zodiac n'en montre pas beaucoup, mais il le montre foutrement bien, de manière concrète et sans artifice.
Le film nous offre une multitude de séquences magistrales, d'abord les trois meurtres (les deux dans les vingt premières minutes du film, et celle du taxi un peu plus tard). Lentement mais sûrement, il installe plusieurs niveaux de tensions qui glacent le sang, avec la jeune mère et son bébé sur le bord de la route, ou bien celle dans la cave. Malheureusement, ces scènes mis bout à bout auraient peut-être fait un effet plus spectaculaire, mais Fincher, pour mon plus grand plaisir, décide de les éparpiller sans liens directs, et nous laisse le temps de s'en imprégner tout en suivant l'évolution de l'enquête, à mesure que le personnage Robert s'enfonce dans ses recherches.
C'est un cauchemar d'enfant qui s'étale sur de nombreuses années, et encore une fois, le temps fait des dégâts ou apporte son lots de réponses, tout dépend où l'on se situe. Le temps qui passe, encore une fois, l'enfant de Robert qui grandit, d'abord dans un célibat qui correspond à merveille avec son tempérament chétif, puis il rencontre l'amour, mais toujours en rapport avec le Zodiac, qui le suit comme son ombre. Sa relation avec la jeune blonde, dont je ne me souviens plus le nom, est certainement un moyen pour appuyer sur l'omniprésence du Zodiac dans tous les compartiments de sa vie, au travail comme chez lui.
Et Robert n'est pas le seul à en faire les frais, les inspecteurs David et William, ou Paul Avery, pour ne pas tous les nommer, sont tous mis à rude épreuve. Tous ne pourront pas en supporter le poids sur leurs épaules, et il est là le génie de ce film porté à l'écran par Fincher, l'écriture de ses personnages et le découpage de leur existence sont le reflet de ces mémoires entachées et meurtries, Fincher immortalise l'exploitation de leurs indices qui va les mener petit à petit vers un désir obsessionnel de retrouver le coupable, pour terminer sur une note pessimiste mais réaliste. Les vies de ces hommes ont été malmenées, brouillées par cette course-poursuite, qui finit en un marathon. Et le dernier de ce marathon, celui qui aura tenu jusqu'au bout, en choisissant l'analyse de différentes timelines à tout autre subterfuge, est Robert. Il ne cherche pas la reconnaissance médiatique, ni la reconnaissance de son supérieur de police, il est loin de tout ça et il n'est qu'un dessinateur fantomatique, aux yeux de tous. Sauf un, Paul Avery, ce dernier finira pas perdre la tête et ne plus savoir qui est qui, et qui fait quoi.
"Zodiac" est un chef-d'oeuvre à tous les niveaux. Il m'a fallu au moins deux visionnages avant de déceler toute la richesse de ce film et il me reste encore beaucoup découvrir, il existe de nombreux niveaux de lecture sur ce film. La toute fin choisie par Fincher pourrait s'avérer frustrant, car le visage du meurtrier n'est pas déterminé, il est aiguillé par des témoins et c'est peut-être mieux comme ça. Afin laisser un soupçon de mystère.
Je trouve ici le cinéma de Fincher moins simpliste que dans Se7en, beaucoup plus articulé autour d'une vraie traque, intelligente, minutieuse et offrant une meilleure vision d'un tueur en série (j'ai adoré Se7en, je précise !). Fincher critique le manque de coordinations et de communications entre les forces de police, entre le verrouillage des procédures administratives, la confidentialité de certains faits ou éléments. Robert parvient difficilement à y trouver son compte, il n'y a pas de fax, et l'obligation de passer par de la paperasse de fonctionnaire pour avoir la possibilité d'accéder à des informations judiciaires, primordiales pour élucider, constater et attaquer frontalement le Zodiac. Et c'est de cette incompétence des policiers à se coordonner qui a permis au Zodiac de passer entre les mailles du filet. La scène de l'interrogatoire avec Athur Leigh Allen le montre assez bien, prenant clairement les trois policiers devant lui pour des imbéciles, en renforçant sa culpabilité et en montrant délibérément des objets suspicieux sous leurs yeux, telles que la montre. Le meilleur informateur des enquêteurs était sans doute le Zodiac lui-même et Fincher en fait une histoire à la fois macabre et magnifiquement agencé. Il n'était peut-être pas aussi le seul à mettre en cause, existait-il plusieurs zodiaques ? Ou des sortes de copycat qui ont permis de noyer les pistes dans un flou total ?Autant de questions qui ne trouvent pas de réponses claires et précises, mais c'est aussi ça qui en fait un thriller exaltant sur lequel on peut revenir.
Pour terminer, je serais tenté de dire que Zodiac est le plus grand film de Fincher, le plus abouti, visuellement épatant grâce à des angles de vue précis, montrant à merveille l'angoisse des personnages, leurs émotions distordantes face à un monstre cruel et dénué de toute son humanité. Les bruits sonores mettent du relief aux dialogues et ne sont pas pesants, les choix musicaux sont aussi de qualité et renforcent l'atmosphère de cette époque reconstituée par Fincher, il a parfaitement retranscrit les années 60 et 70. Tout cela constitue l'une des meilleurs formes du thriller moderne de notre époque. Ça peut paraître ennuyant, assez pragmatique avec ces théorèmes de pensées, on est à la limite du documentaire et Fincher fait preuve d'une exactitude historique épatante, et donc dans mon cas si on entre pleinement dans l'histoire, on en ressort pas jusqu'à la dernière minute.
Vous ne trouvez pas que l'inspecteur David Toschi et le sergent Jack Mulanax ressemblent respectivement à Didier Bourdon et Bernard Campan ?
Peut-être le sketch d'hier qui me fait défaut. Le karma des petites choses, qui sait...
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Créée
le 1 mai 2020
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