Source : http://shin.over-blog.org/zombie-dawn-of-the-dead.html
Mourir a été toujours ce que l'homme redoute le plus. Cette idée que plus rien n'existe après, que le néant nous guette et que la vie après la mort n'est peut-être qu'une chimère est effectivement terriblement angoissante. Pourtant, avec La Nuit des morts-vivants en 1968, George A. Romero nous montrait que le pire restait à venir, pire que la mort elle-même : la non-mort. L'humanité a été trop longtemps indigne et la vallée des morts est désormais trop étroite pour contenir toute sa folie. En d'autres termes, et comme l'énonce l'un des personnages du film : "Quand il n'y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre."
Près de dix ans après avoir réalisé La Nuit des morts-vivants en 1968 pour un peu plus de 100 000 $, Romero continue donc son exploration de l'âme humaine et de ses travers. Doté d'un budget 6 à 7 supérieur (à peu près 650 000 de dollars ; ce qui est bien mieux sans être franchement énorme non plus), il s'attelle donc à ce que certains considèrent comme le remake de son précédent film, mais que je préfère tenir pour le prolongement logique : Dawn of the Dead ; que l'on peut traduire par "L'Aube des morts" (après la "Nuit" et avant le "Jour", quoi de plus logique ?). Il aura fallu du temps pour que Romero fasse ce film, mais cela est complètement explicable par sa volonté d'indépendance et son refus du compromis avec les grosses majors, très attirées par le succès colossal de La Nuit des morts-vivants. Il s'associera donc avec le cinéaste italien Dario Argento (qui avait déjà eu l'occasion de travailler avec Sergio Leone en co-signant le scénario de Il était une fois dans l'Ouest et venait de réaliser les mémorables Les Frissons de l'angoisse et Suspiria) et décida de partager avec lui la distribution du film à travers le monde. George A. Romero s'occupa donc des États-Unis et des autres pays anglophones alors que Dario Argento pu réaliser son propre montage pour l'Europe et d'autres pays, comme par exemple le Japon. C'est ainsi qu'est née une version alternative du film que nous connaissons en France sous le nom de Zombie : Le Crépuscule des morts-vivants. Comble de l'ironie, après voir être passé à côté des retombées financières de La Nuit des morts-vivants en négligeant ses droits d'exploitation (le film est tombé dans le domaine public), c'est dans les pays qui diffusèrent la version de Dario Argento que le succès du film fut le plus significatif ; et ce malgré une censure féroce (le film a mis près de 5 ans pour être enfin diffusé dans les salles françaises à titre d'exemple).
Pourtant moins malsain que le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper et moins gore que le Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, Zombie (pour la version européenne) / Dawn of the Dead (pour la version américaine donc) comporte toutefois son lot de scènes choquantes. Outre les amputations diverses, les explosions de tête en gros plan, un tournevis dans une oreille ou une machette dans un crâne, on assiste également à la mises à mort (définitive) de deux gamins zombies dès les premières minutes du film. Ce qui donne rapidement au film les prémisses de toute sa folie visuelle et de sa subversion totale. Pas étonnant que les bonnes consciences de l'époque aient pu être ébranlées par ce spectacle d'une noirceur radicale. Toutefois, avec le recul des années, il faut reconnaître que le film n'est graphiquement pas si choquant que ça ; y compris dans sa traditionnelle séquence finale d'anthropologie explicite. Le sang fait plus jamais penser à de la peinture rouge et les cadavres sont parfois aussi rigides que des mannequins. Quant aux maquillages (qui lorgnent parfois trop vers une simple poudre grisâtre) et aux entrailles (et aux autres joyeusetés charcutières), elles n'ont pas encore le réalisme atteint par Le Jour des morts-vivants quelques années plus tard ; Tom Savini étant alors au top de son art . Celui-ci n'avait d'ailleurs pas pu travailler sur ceux de La Nuit des morts-vivants en 1968, car il fut appelé sous les drapeaux pour être photographe de guerre au Viêt-Nam. Il fut donc remplacé par Karl Hardman (l'un des producteurs), mais aura sa "revanche" en 1990, puisqu'il réalisera alors le remake en couleurs du film mythique de Romero.
Jusqu'ici tout va bien mal...
De fait, le film fait aujourd'hui plus sourire qu'effrayer dans ses moments gore et on n'est loin de l'angoisse permanente de La Nuit des morts-vivants ; le climat d'épouvante de celui-ci devant beaucoup aussi à son noir et blanc. Ici, les lumières sont au contraire chatoyantes et l'horreur plus sanguinolente que jamais. Plaçant ainsi le Zombie / Dawn of the Dead directement dans la mouvance des séries B rigolardes des années 1970-1980 ; le montage énergique d'Argento (par son efficacité dans les scènes d'action) renforçant cette impression. Le style est complètement assumé et ces défauts contribuent même à lui donner un petit côté kitsch pas désagréable. Principalement, le film se distingue en deux versions (il existe d'autres versions longues plus ou moins officielles), le Dawn of the Dead de George A. Romero et le Zombie de Dario Argento. Pour faire simple, je dirais que chaque montage a les qualités et les défauts de son auteur. Si les aspects psychologiques sont avantageusement mis en avant et la charge contre l'American way of life plus étoffée chez Romero, Argento a réussi à furieusement dynamiser le récit grâce à un redécoupage pertinent des plans filmés par le maître et une bande-originale formidable composée par le groupe Goblin (et malheureusement absente de la version américaine). Peut-être plus agréable à suivre, la version remontée par Argento n'est pour autant "meilleure" que celle de Romero. Elle est juste plus efficace.
En dépit de différences apparemment minimes, chaque version est intéressante à voir ; ne serait-ce qu'une fois pour observer l'influence d'un montage sur le résultat final d'un film. À titre d'exemple, les personnages de Zombie semblent plus ambigus, Dario Argento n'hésitant pas à enlever les passages où l'émotion est trop palpable. Cela s'observe surtout avec le personnage de Peter qui est ici plus énigmatique et apparaît d'autant comme plus impitoyable. Mais ça l'est également avec celui de Fran qui "libère" une morte-vivante dans Dawn of the Dead (mais pas dans Zombie) ou contemple longuement un zombie à travers une porte vitrée chez Romero. Pour sa part, Argento a préféré ne pas insister sur son évolution psychologique qui passe de la peur panique de la mort (dès quelle se trouve à proximité d'un cadavre, ambulant ou non), à sa compréhension (lorsqu'elle laisse partir la nonne), puis son acception (puisqu'elle reste impassible face au spectacle des morts s'agglutinant derrière la vitre). On regrette quand même certaines coupes franches opérées par le cinéaste italien. C'est souvent anecdotique (comme ce passage où apparaît furtivement Joseph Pilato, qui campera le capitaine Rhodes dans Le Jour des morts-vivants), mais parfois fâcheux. Une ligne de texte a ainsi été enlevée après la suppression définitive de Roger par Peter ; ce commentaire issu d'un débat télévisé mentionnait la nécessité de rester "rationnel" et logique" (ce qui semble très approprié étant donné les circonstances). Juste après, une scène assez importante a été coupée dans son intégralité. On n'y voyait les survivants s'apprêter à manger autour d'une table ; Fran et Stephen se disputant à propos de la télévision (elle voulant l'éteindre tandis que lui la rallume). Fran conclut alors par un "Que sommes-nous devenus ?" alors que Stephen va mécaniquement rallumer la télé avant de regarder silencieusement un écran totalement vidé d'images.
Dès lors, l'allégorie du zombie consommateur prend tout son sens. Comme le mentionne Peter à un moment du film en observant les morts-vivants déambuler de façon hagarde dans cet immense centre commercial (guidés par leurs instincts de consommateurs) : "C'est nous". Il ne faut évidemment pas se leurrer, l'horreur visuelle (au kitsch revendiqué comme on l'a vu) et le rythme effréné (surtout chez Argento donc) du film ne sont que prétextes à une cinglante satire sociale dont George A. Romero a le secret. Le but du réalisateur est clairement de dénoncer le mode de vie d'après-guerre des américains (consommation de masse, dépendance matérielle, surexploitation des ressources) en faisant une critique féroce du capitalisme. Ce virulent pamphlet débute dès les premières images dans un studio de télévision (où l'on peut apercevoir George A. Romero durant une courte apparition) qui présentent le désordre absolu qui régit désormais le monde. Et alors que les autorités exhortent les survivants à abandonner leurs maisons (métaphore de la propriété privée), nos héros trouveront refuge un centre commercial (temple du capitalisme s'il en est) ; une de leur première préoccupation étant de faire du shopping. Tout comme les zombies qui sont irrémédiablement attirés en ses lieux, les hommes semblent totalement prisonniers de leurs réflexes consuméristes conditionnés (notez la première syllabe évocatrice de ses deux mots). C'est bien à cause de cette caricature capitaliste qu'ils sont devenus (ne pouvant se détacher de leurs biens matériels) que nos survivants trouveront, dans ce lieu traditionnel de vie, la mort.
Avez-vous déjà danser avec les morts au clair de lune ?
Une mort qui, comme toujours chez Romero, provient de l'homme. On le voit d'abord lorsque les forces spéciales prennent d'assaut un immeuble habités par des ressortissants étrangers (des noirs et des latinos) et infestés de zombies. Cette manœuvre militaire s'apparente en bien des points à une opération de répression mal organisée. La plupart des agents de police semble complètement submergé par les évènements (ayant parfois à peine une vingtaine d'années ; un ira même jusqu'au suicide), certains vont jusqu'à jubiler devant cette occasion rêver pour assouvir leurs penchants racistes et tirer sur les civils innocents, alors que d'autres vont faire le ménage dans les caves emplies de cadavres se dévorant et que les familles n'ont pu se résoudre à abandonner (l'attachement aux aspects matériels de la vie est une fois encore au-delà la menace de la mort). Dans cette séquence, les zombies s'apparentent plus à des victimes, exclus d'un système (à l'instar des immigrés), qu'à une véritable menace. Cette faiblesse de l'homme; on le verra ensuite lorsque nos héros se trouveront victimes de leur attachement futile aux objets et à leur vie standardisée. Roger sera le premier à en faire les frais ; voulant à tout prix récupérer son si précieux, et pourtant si insignifiant (en comparaison des risques encourus), sac. Ensuite, ce ne sera pas l'attaque des pillards qui provoquera la fin de la sécurité de nos survivants, mais cette volonté sommaire de défendre ce centre commercial si chèrement "acquis". Dans une situation aussi dramatique, les vivants continuent donc de s'entre-déchirer autour de la propriété. Un plan absent du montage d'Argento montre d'ailleurs Peter retirant une bague qu'il avait prise quelques temps avant et empoignant un fusil ; Romero illustrant alors le détachement de Peter face au matérialisme, ainsi que sa volonté de survivre et de protéger les siens avant tout (ce que ne parviendra pas à faire Stephen). Alors qu'il se croit tiré d'affaire, on voit également Peter laisser son fusil à un zombie ; une façon de montrer son regard lucide sur la situation : la menace n'est pas le zombie, c'est l'homme. La scène où les pillards (parmi lesquels Tom Savini et son fameux "peigne à moustache" ; ajout génial d'Argento) humilient des morts-vivants (presque inoffensifs, soulignant le fait que le danger vient désormais de cette horde sauvage) jusqu'à voler les bijoux qu'ils portent, et détruisent les biens qu'ils ne peuvent emporter, parachève la démonstration de toute la sauvagerie de l'homme amorcée par George A. Romero dès La Nuit des morts-vivants (on se souvient alors de ces bouseux chassant joyeusement le zombie).
Portrait grinçant d'une humanité victime de sa propre décadence, Zombie / Dawn of the Dead en profite au passage pour tacler les politiciens et leurs projets grotesques ; l'un deux propose ainsi de nourrir les zombies jusqu'à l'assouvissement total de leur faim ou d'anéantir les métropoles où se concentrent les morts à renfort de charge nucléaire. "Tous les cerveaux sont morts, seule l'idiotie est rester en vie" déclame-t-il alors ironiquement. Malgré l'absence de temps morts véritables, l'intérêt du film ne se trouve une fois encore pas dans ce qu'il montre, mais bien dans ce qu'il suggère. Romero n'épargne personne et implique directement le spectateur auquel il renvoie à la face l'image peu glorieuse de ce qu'il est devenu : un esclave du système. Être soi-disant doué de raison, mais finalement plus imbécile que les zombies au cerveau atrophié. Ici, point de happy end, c'est le chaos absolu. Le film se finit d'ailleurs aussi abruptement qu'il a commencé, dans une imperturbable confusion, sans véritable "fin". Tout simplement parce qu'il n'y en a pas dans monde absurde ; ce qui l'illustre bien le burlesque mis en avant dans le générique américain qui montre les zombies vagabonder dans les couloirs du centre commercial au rythme d'une musique comique déroutante. Près de dix ans après La Nuit des morts-vivants, George A. Romero réalise en nouveau tour de force – sublimé par Dario Argento – qui, s'il n'ait plus aussi impressionnant visuellement, conserve toute sa force satirique et garde intacte son incomparable subversion.