« Afin de prendre possession de l'héritage paternel, Basil, un jeune écrivain britannique, doit retourner en Crète. Il rencontre Zorba, un grec exubérant ». Voilà pour le synopsis SC d'un film qui fait partie de la crème du cinéma. Fleurette, chantilly ou celle de votre choix, mais onc tueuse en tous cas, qui restera de plus tout au long du film, d'une fraicheur et d'une qualité parfaite malgré la chaleur méditerranéenne qui n'a aucune conséquence sur sa qualité ; au lieu de tourner c'est elle qui me fait tourner la tête.
Michael Cacoyannis utilise ses ficelles habituelles, celles d'une tragédie grecque durant laquelle le héro affronte encore une fois seul les forces du destin et du mal, accompagné dans l'aventure par toute une clique qui assiste ou participe à l'action, mais sans réel pouvoir de choix ni de capacité à incarner un espoir ou une alternative réfléchie. Toutes les ficelles d'un archétype qu'il va tirer dans le cadre crétois du milieu du siècle dernier. Le résultat aurait certes pu être intéressant comme plusieurs autres œuvres de la belle carrière du metteur en scène, mais il est remarquable.
Tout d'abord bien sur, il y a ce personnage mythique, Zorba, l'enfant chéri de l'écrivain Nikos Kazantzakis, si flamboyant, qui va permettre à Basil de sortir de son énigmatique mélancolie, de s'évader de la saudade teintée de faiblesses dont il souffre pour finir par léviter mieux qu'un pinson au bout des 1h30 d'aventures. C'est la tâche que lui attribue l'auteur. Et pour y parvenir, il faudra que Zorba soit exceptionnel car il y a du boulot. Et il le sera. Avec son humour et son rire (de grands ahahaha avec la bouche grande ouverte et tournée vers le haut, dents bien visibles), sa philosophie de la vie si populaire mais pourtant si unique (!), sa complexité si évidente (!), son irrésistible exubérance qui ferait partout de lui quelqu'un d'assez singulier aujourd'hui encore.
De sa 1ère prise de parole dans une gare maritime, jusqu'à sa dernière envolée dans les magnifiques paysages côtiers crétois, ses narrations rythment l'ensemble du film, lui donnant son ampleur et ses couleurs si chatoyantes et harmonieuses que le gris somptueux de la pellicule ne parvient pas du tout à dissimuler.
Il nous dévoile beaucoup de lui, et ce sont autant de ficelles qui nous attachent à ses multiples qualités, comme à sa Liberté, sa Tendresse envers les femmes mais pas seulement, sa Sexualité la plus débridée (nous partageons son bonheur lorsqu'il évoque les performances qu'il est fier d'encore atteindre à l'âge de 65 ans), son aptitude à s'engager, à l'art, à la joie, au courage et à la prise de risques. Mais point de manichéisme, ce personnage ne sera ni simple, ni simpliste, car nous apprendrons aussi qu'il a fait la guerre, volé, pillé, assassiné et même violé. Si bien que je n'arrive pas à m'expliquer la fascination qu'il suscite chez moi malgré tout. Sans doute plus la magie de son caractère que la légitimité de ses expériences. Mais peut-être l'inverse. Les deux le mènent en tous cas à avoir des convictions politiques tranchées, comme son dédain des grandes causes au profit de toutes les formes de Vie, ou son désintéressement de l'idée de nation au profit de l'Amour de l'humanité. En fait, il nous dévoile tout simplement tout de lui et du monde, avec ce naturel privé de toute naïveté qui lui est si personnel.
Et le voir prendre un malin plaisir à empiler amour, amitié, aventure, simplicité, rire.. en faire un sandwich tellement sain et léger qu'un tel régime lui permettra de vivre sans doute 10000 ans de bonheur grâce à ce film c'est certain (je n'ai malheureusement pas encore lu le livre). Et que l'ennui ou l'horreur du réel se prennent à l'agresser ? Et bien, après, et seulement après avoir fait ce qu'il y avait à faire, ce qui relègue au passage tout le reste de la population de l'île tantôt à l'état de lâche primaire, tantôt à celui de minables cupides, ou de bête de somme insensibles ou acculturés (on se sent un peu visé par l'histoire en fait car il est très improbable de pouvoir s'identifier à Zorba), il aime se distraire dans l'abri sûr et inviolable qu'il s'est construit, ce monde où il aime à se réfugier : la danse. Car il est aussi un artiste qui prend quotidiennement plaisir à réserver à la vampirisante église sa plus joli crotte de pied de nez, en vivant chaque jour son Paradis sur terre.
J'arrête avec Zorba, car il y a aussi toutes ces peintures réalistes belles ou horribles, de la nature et de la vie du village et de ses habitants. Et surtout le travail de Théodorakis. Cette musique qu'il a créé en sublimant les couleurs musicales issues de la tradition, pour nous offrir ce merveilleux « petit Sirto » qui nous permettra de raccrocher au final de cette merveilleuse histoire à chaque fois que nous entendrons à nouveau tinter les premières notes de Bouzouki du véritable Hymne populaire grec créé pour ce chef d'oeuvre ; tout comme il a d'ailleurs créé cette danse extraordinaire, le célèbre Sirtáki, que le jeune philosophe grec Nikos Aliagas se plaît tant à interpréter devant ses fans.
Enfin, j'évoquerais simplement celui qui correspond au JEU du roi Antony Quinn (qui à d'ailleurs déclaré que Zorba était le rôle le plus important de sa vie) ; d'un sur-dimensionnement tel que, nous, public ébahi, considérons qu'Antony Quinn est dans ce film comme un Messi du cinéma ; un Ronaldo « El Fenomeno » des écrans (l'artiste brésilien , pas l'athlète portugais) !
Je l'Adore ce Zorba !
ps : Au fait, de Basil tout de même
Serait-il l'image de la société occidentale incarnée, policée et anonyme ? Avec sa méfiance naturelle envers l'inconnu (Zorba dans le film). Ses complexes évidents. L'importance qu'il accorde son à image et qu'il se sent obligé de constamment renvoyer (au début surtout et aussi la cravate au village, ses paroles publiques..). Sa « clairvoyance » lorsqu'il s'agit de comprendre l'intérêt de la relation avec autrui (cupidité, Zorba et ses compétences pour le travail de la mine dans le film). Ses névroses, profondément installées et mystérieuses mais surtout inavouées. Sa lâcheté, qui l'empêche d'intervenir lorsque se commettent devant lui des actes qu'il exècre pourtant au plus haut point, et qui touchent de surcroît des proches. Mais enfin un Basil qui, lui, finira par savoir saisir sa chance de nouveau départ. Car "Zorba le Grec" est une machine puissante mais positive.
Des habitants du village crétois...
Que certains qualifient ouvertement de bouseux dégénérés, tant sont fortes leurs peintures faites par Cacoyannis. Ils nous sont en effet souvent montrés lâches et niais, parfois totalement effrayants (la plèbe solidaire ira jusqu'à commettre les pires atrocités criminelles...).Tout cela alors que Cacoyannis met très fortement l'accent sur leur(s) légitimité(s), tant institutionnelle que juridique (par le maire) ou judiciaire (la police ou … l'absence de police à d'autres moments). Légitimité garantie tant par une solidarité générale aveugle (et parfois subie), que par le rôle de vecteur de la tradition villageoise que le groupe aime revêtir pour asseoir sa toute puissance (et la quiétude de chacun de ses membres). Je trouve tellement intéressant d'y voir là une description universelle d'une certaine inertie des comportements et des idées. Il est tellement simple de transposer ici comme ailleurs toutes ces horreurs qui sont commises (ou supportées) chaque jour. Des comportements qui ne parviennent pas plus à infléchir la courbe du chômage (la pauvreté du village) qu'à renoncer aux conflits (les violences physiques au sein du village) qu'aux oppressions où aux égoïsmes (), qu'à se mobiliser contre l'accroissement des inégalités en Europe comme dans le monde.
Et c'est l'attitude de Zorba, qui refuse de prendre part à cette mascarade et d'intégrer le moule ; qui préfère se placer dans une certaine marginalité synonyme d'innocence, et même de solution qui parvient à guérir de ses maux Basil à la fin du film, qui me fascine à nouveau par la force du bel exemple.
Si dans le livre, Basil s'en repart tout seul vivre de nouvelles aventures en continuant à écrire et sans doute souffrir, le film lui offre le loisir de renaître armé des préceptes du Maître, et c'est formidable.