En ces temps de scénario lourdement formatés écrits par des clones qui sortent tous d’écoles qui inculquent sempiternellement les mêmes principes, Zorba le Grec devrait être montré en guise de diplôme de fin de cursus de ces mêmes écoles: oubliez tout ce que vous venez d’apprendre, vous n’aurez une chance d’écrire quelque chose de vrai ou d’important qu’au prix de l’irrespect total de toutes les règles que nous vous avons apprises.
Une sorte de régime sec consistant à éliminer toutes les mauvaises graisses de la malbouffe scénaristique, qui obstruent la fluidité du récit, retirant les sauces trompeuses de l’habitude pour rester au dépouillement de l’écriture à l’huile d’olive salutaire de la justesse, favorisant le transport des globules intelligents.

Le film de Michael Cacoyannis prend le contre-pied absolu de deux piliers du screen-writting moderne et c’est ce qui le rend absolument inoubliable.

Buddy-movie

"il va falloir que tu te décides si tu es un salaud de capitaliste ou non!" lance Zorba à Basil.

La rencontre de l’écrivain dilettante en milieu inconnu et de l’autochtone roublard ne fonctionne pas comme nous avons pris l’habitude de le voir. Nous ne passons pas par la traditionnelle défiance qui ne disparaitra qu’aux prix d’épreuves vaincues ensemble.
C’est presque tout le contraire.
La confiance s’instaure quasi immédiatement et ne sera jamais démentie, malgré les innombrables échecs, les trahisons et les reniements. Parce que rien ne marche comme prévu entre ces deux hommes qui ont un besoin absolu l’un de l’autre. L’anglais, sans la connaissance du milieu et l’appétit de vie du grec, ne pourrait même pas rester plus de 24 heures sur ce coin perdu de Créte. Le Grec, sans l’opportunité de rebond que représente l’anglais, serait destiné à sombrer.

Et quand tout aura échoué (l’amour, les affaires, l’acclimatation) la célèbre danse finale ne viendra pas couronner une acceptation mutuelle malgré les différences. Elle sera un formidable pied de nez au destin et pourquoi pas à dieu, parce que c’est danser plutôt que mourir, avant de se séparer de manière irrémédiable.

Bons sauvages

Chaque fois qu’un film nous plonge dans une communauté étrange ou peu connue, il est de tradition de nous en dépeindre les us et coutumes de manière de plus en plus occidentomorphique (tiens, ça faisait longtemps que j’avais pas néologismé, moi) pour qu’à la fin nous versions une bonne larme de crocodile en nous disant que oui, décidément, nous sommes bien tous les citoyens du même espace-temps, attachés à un destin commun.

Sur un mode glaçant, à l’occasion des deux morts qui secouent le village, le gouffre qui sépare les traditions et les modes de vie entre le citadin et les autochtones est montré de la manière la plus violente. Le meurtre rituel ou le dépouillement de la maison de madame Hortense sont, de ce point de vue, stupéfiants de cruauté et de barbarie.

Mais loin d’accuser une communauté et une époque précise, la lucidité dans la description de ces moments est un révélateur de ce qui a toujours été horrible quand des communautés sont soumises à la pauvreté, l’ignorance ou la religion sans contre-pouvoir. C’est en ce sens, et ce sens seulement, que le message est universel.

En résumé, si vous cherchez un véritable dépaysement scénaristique et touristique, oubliez la crise (on voit bien que la pauvreté absolue en Grèce ne date pas d’hier), oubliez la moussaka et la Feta, et embarquez sur le navire houleux de Zorba. Si le mal de mer n’est pas exclu, vous êtes presque sûr de ne pas arriver là ou vous aviez prévu.
Et par les temps qui courent, ça vaut tout l’or du monde.
guyness

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