13 Sentinels: Aegis Rim
8.2
13 Sentinels: Aegis Rim

Jeu de Vanillaware Ltd. et Atlus (2019Nintendo Switch)

Ce test cachera ses révélations les plus importantes dans des balises spoilers, mais la nature du jeu fait qu'en parler c'est déjà trop en dire. Si vous souhaitez profiter des nombreuses surprises même précoces que 13 Sentinels a à vous offrir par sa narration atypique, abandonnez la lecture et foncez vous procurer cette perle de visual novel casse-tête mâtinée de tactical RPG en restant vierge de toute information (la version Switch est nickel). Si vous voulez quand même être un minimum renseignés, sachez que je mentionnerai la structure, la narration, les thèmes abordés et la mise en scène du soft, ainsi que certaines infos données dans les premières heures de jeu.

13 Sentinels est la meilleure représentation vidéoludique que je connaisse du principe de narration éclatée, qu'il s'agisse du niveau spatial ou temporel. C'est un casse-tête narratif qui va vous faire des sauts de puce entre les 13 personnages principaux répartis sur plusieurs époques, sachant que même au sein d'une époque on ne les suivra pas dans l'ordre chronologique des événements. Par exemple nous avons un personnage qui est amnésique dans sa route scénaristique, mais quand on le croise dans la route d'autres personnages il semble savoir ce qui se passe. Lequel de ces événements se déroule avant l'autre ? Ce sera à vous de relier les fils pour démêler cette histoire de lycéens destinés à conduire des robots géants pour affronter des kaijus.

Une fois passé le prologue, le jeu nous laissera le choix de l'ordre des routes scénaristiques des personnages (13 routes donc), ainsi que des combats à effectuer. Tant que l'on n'est pas bloqué par des verrous qui demandent de finir d'abord un arc scénaristique ou de terminer un certain nombre de combats, on peut donc progresser au rythme qui nous plaît. Si on n'est pas d'humeur pour les séquences tactical ou qu'on veut mettre un personnage de côté, ou au contraire en approfondir un en particulier, eh bien on peut. Cette liberté peut perturber au début mais elle est très rafraîchissante, cela permet de gérer le rythme de la manière qui nous convient le mieux, tout en cédant juste ce qu'il faut de contrôle au jeu pour ne pas prendre trop d'avance sur une route et finir par en spoiler une autre. Cet aspect "à la carte" est possible précisément par la narration éclatée qui donne pour chaque personnage un enjeu plutôt individuel, dans une route qui ne s'entrechoque pas entièrement avec les autres, par exemple parce qu'elles ne se déroulent pas en même temps. Les motifs de chacun se rejoignent et certaines routes expliquent d'où viennent les problèmes des autres, mais seulement après avoir franchi le bon point scénaristique. Ainsi la liberté dans l'ordre des routes ne perd pas le joueur, qui voit bien que chacun évolue dans sa sphère et glane au passage des éléments d'un puzzle plus large. Même les scènes de tactical se déroulent dans une temporalité à part, dans laquelle les personnages ont l'air de se connaître et de trouver normal de commander des méchas.

Avoir 13 routes + la narration de la partie tactical, ça fait beaucoup d'événements à suivre en parallèle. Comme si ça ne suffisait pas chaque route sera chargée en ellipses, flashbacks, voyages dans le temps et rêves d'un futur apocalyptique, et en plus le jeu rebat régulièrement les cartes pour tout remettre en question. Il faut s'accrocher et il y a énormément de choses à retenir, mais grand merci aux développeurs de nous avoir facilité la tâche. Chaque route est divisée en plusieurs épisodes et nous laisse un résumé de ce qu'on a déjà fait pour s'y retrouver quand on y revient après un long moment, et surtout on profite du codex et des chroniques. Le premier stocke les informations que l'on aura récupérées concernant les différents personnages ou éléments mentionnés, les mettant à jour au fil de nos parties. Très pratique pour se rappeler de ce qu'on est censé avoir appris sur les uns et les autres, il se permet toutefois de donner quelques informations en avance mais sans spoiler, juste ce qu'il faut pour nous éclaircir certains points et nous donner envie d'en voir plus. Quant aux chroniques, il s'agit des séquences narratives déjà faites qui sont revisionnables, séparées par personnage et surtout triées dans l'ordre dans lequel ils se sont produits pour eux, un vrai bonheur pour s'y retrouver dans ce sac de nœuds. On pourra parfois avoir un sentiment de confusion quand certaines séquences seront introuvables dans les chroniques avant de comprendre la logique derrière, mais une fois le jeu fini on a droit à de nouveaux paramètres de tri qui permettent de mieux dérouler le fil des événements, en suivant par exemple le parcours d'un personnage secondaire. S'il n'y avait pas eu ce codex et ces chroniques j'aurai été vraiment perdu, incapable de m'y retrouver à cause de ces innombrables flashbacks dont on n'a pas tout de suite les clés de compréhension, mais qui finissent par avoir de l'importance pour comprendre les personnages. Il va falloir passer du temps à consulter ces chroniques et éviter de trop longues pauses entre ses parties.

Cela peut paraître décourageant présenté comme ça, mais le jeu sait nous donner régulièrement les miettes de mystères qui nous incitent à essayer de comprendre. Dès le départ on sait que Juro a un passé qui a été effacé, que Yakushiji vient du futur alors que Hijiyama vient du passé, que Fuyusaka a des rêves d'un futur désolé. On voit que certains en savent beaucoup plus que d'autres, on entend des termes techniques que l'on ne comprend pas tout de suite, on passe de 2024 à 1985 avec un panneau qui précise malicieusement "6 mois plus tard" et des scènes nous font croiser des personnages qui ont l'air de ne pas du tout avoir le même passif que dans leur route attitrée. 13 Sentinels sait tendre ses carottes pour nous faire avancer, il y a une très bonne alternance entre les questions et les réponses qui amènent d'autres questions, évitant la frustration d'une situation qui piétine. De plus la durée de chaque épisode tourne généralement autour de 15 mn, ce qui est idéal pour avancer à bon rythme et revoir les chroniques sans se refarcir trop de texte (que l'on peut accélérer quand on l'a déjà lu).

On aura souvent des éléments de SF bien connus qui seront mentionnés par les personnages avant de prendre vie sous leurs yeux, avec un aspect de best-of assumé : quasiment TOUS les concepts de SF sont compilés, américaines ou japonaises, et 13 Sentinels cite explicitement leur caractère populaire. Cela permet aux développeurs de se faire plaisir en pastichant des classiques dans certaines routes, comme E.T dans la route de Minami, Total Recall ou autres histoires d'amnésique pourchassé pour Sekigahara, ou encore de jouer une version désenchantée de Magical Girl. C'est mine de rien assez amusant et généralement bien utilisé. Par contre cet empilement concerne aussi les révélations et peut faire un peu trop, le jeu rajoute des couches qui complexifient notre compréhension de l'histoire et nous font revenir sur ce qu'on pensait avoir acquis, mais avec l'impression que ce sont des twists qu'on connaît déjà. Au bout d'un moment on finit par se dire "Tiens, c'est vrai qu'on ne nous avait pas encore fait ce coup-là". Jouer à 13 Sentinels c'est se préparer à un catalogue des grands mindfucks de la SF.

Néanmoins ces recyclages sont faits avec assez d'intelligence pour ne pas blaser et permettent d'apporter de la variété sur ces 13 routes, tout en approfondissant certains thèmes par rapport à ses aînés. Si on joue d'abord pour grappiller des bouts d'explication du lore global, la vie des personnages maintient aussi l'attention et aborde plein de sujets différents. On a envie de savoir ce qu'est cette histoire avec Yakushiji et jusqu'où elle va aller. L'utilisation des médicaments dont on s'interroge sur leurs effets réels offre aussi de bons moments, notamment ceux où il faut qu'on en prenne régulièrement sous peine de ne plus pouvoir faire quoi que ce soit - belle utilisation du medium vidéoludique pour renforcer un sentiment précis. Et puis les personnages dégagent tous un quelque chose qui les rend accrocheur, qu'on les apprécie ou pas : le caractère de Kisaragi, l'embarras de Hijiyama qui s'interroge sur ses sentiments, Shinonome et sa dévotion malsaine à la Evangelion etc. Leurs parcours mènent à des questionnements philosophiques sur ce qui fait notre identité qui sont pas mal intéressants, et on voit également émerger un certain motif par tous les pores (explications sous balise spoiler qui ne contient pas de révélation mais qui pourrait éventuellement en aiguiller certains trop tôt, à vous de voir si vous prenez le risque).

Des boucles il y en a partout : dans les conversations des personnages qui ont l'air de savoir ce qui se trame dans le monde d'une part, mais aussi dans le gameplay. Chaque route reprend au même endroit qu'à l'épisode précédent à quelques exceptions prêt, et on a accès à une sorte d'arbre de chapitrage qui nous indique les embranchements qu'on a débloqués : ainsi le joueur croit qu'il vient de revenir au début temporel de la route et qu'il doit choisir un nouveau chemin à parcourir pour son personnage, comme dans un visual novel où l'on choisit sa fin selon les actions effectuées en cours de partie. Mais en fait non, on n'a pas du tout remonté le temps jusqu'au début de la route pour choisir une autre destinée. C'est juste que le quotidien de ces ados est répétitif à ce point. C'est malin comme twist pour présenter un monde qui ne se renouvèle pas, et ça prépare pour la suite : il faut souvent soit respecter une routine imposée et voir les conséquences, soit au contraire essayer de casser la routine pour échapper à une situation qui boucle indéfiniment jusqu'à ce qu'on trouve ce qui va gripper la machine. Le plus beau c'est que ces boucles prennent des formes différentes et plus ou moins explicites selon les personnages, ce qui nous donne plusieurs manières différentes d'étudier la question centrale au sein du jeu de s'échapper d'un programme tout tracé.

Avec tout ça je ne vous ai pas parlé des combats de robots géants. C'est parce que si ils sont loin d'être ratés, ils ne constitueront pas pour autant l'argument principal de 13 Sentinels et je n'ai d'ailleurs pas fait les batailles qu'on débloque après avoir fini le jeu. On doit protéger des terminaux de vagues de kaijus, soit en survivant jusqu'à la fin du chrono soit en éliminant tous les ennemis. On n'est pas exactement dans du tour-par-tour mais on a de la pause tactique et des attaques qui ont un cooldown plus ou moins prononcé selon leur puissance. On va optimiser des zones d'effets, s'assurer qu'on a des attaques perforantes pour les ennemis blindés et tenter quelques trucs sympas, comme faire tomber les unités aériennes au sol avec une attaque IRM pour pouvoir les frapper avec une Sentinelle qui n'aurait que des attaques terrestres, chopper l'aggro des ennemis pour les balader, placer des tourelles de défense et protéger nos potes avec des matrices de bouclier. C'est assez fourni en possibilités et en personnalisation, même si il y a certaines attaques qui me font poser des questions comme celle qui n'attaque qu'un seul adversaire, même pas puissamment, juste pour le paralyser. Par contre le level design est quasiment le même pour tous les niveaux et l'objectif n'évolue que très peu, ce qui rend ces phases assez répétitives (peut-on considérer ça comme une boucle ?). En plus elles sont assez simples même en difficulté Intense, l'enjeu est moins de savoir si on va réussir le niveau que si on va avoir le rang S et l'objectif annexe (généralement c'est dans la poche du premier coup). Quand les personnages commençaient à dire que ça devenait dur pour eux alors que je ne me sentais pas bousculé outre mesure ça créait une petite dissonance. Il n'y a que 2 niveaux qui m'ont posé problème au point d'avoir plusieurs game over : l'un d'eux introduit l'idée intéressante de ralentir un sac à PV avant qu'il n'ait terminé son chemin (dommage qu'on n'ait pas eu de cas comme celui-là bien plus tôt pour que j'utilise enfin le coup de poing paralysant), l'autre c'est tout simplement le niveau de fin. Et pour celui là c'était parfait, exactement ce qu'il fallait pour que je me sente poussé dans mes retranchements et que le jeu ait le climax épique qu'il méritait, un moment incroyable où je me sentais démuni fasse à une menace absurdement forte.

Cette partie tactical est clairement séparée des phases narratives mais elle a pourtant sa place dans le jeu. Tout mène les personnages à ces confrontations et il aurait été dommage de ne pas les vivre, même si la trop basse difficulté dessert l'intensité qui aurait du s'en dégager. L'alternance entre les routes et les combats permet aussi de rappeler régulièrement les enjeux qui gravitent autour de ces lycéens qui n'ont rien demandé. Quelques bouts de lore mystérieux surgissent également à ces moments, d'autres passages plus légers peuvent intervenir et on a quelques moments où le contexte d'une bataille apporte quelque chose à notre implication. Les capacités que débloquent les personnages en gagnant des niveaux sont liées à leur personnalité, par exemple certains deviennent plus forts quand ils sont accompagnés de leurs potes, et si l'équilibrage qui en découle peut se montrer aléatoire ça a le mérite de bien ancrer la narration dans le gameplay. J'aime également la manière dont les routes et les combats peuvent mutuellement se servir : finir un épisode d'une route permet de gagner des métacrédits pour renforcer ses méchas, tandis que remporter une bataille fournit des Points Mystère qui permettent d'acheter des éléments verrouillés du codex, et obtenir un rang S ou accomplir un objectif secondaire débloque d'autres éléments plus bénins de ce même codex, comme des descriptions des armes utilisées ou des plats que chacun mange (c'est un jeu Vanillaware, évidemment qu'il y a de la bouffe).

Je gardais la partie artistique pour la fin parce que ce n'est pas celle qui m'importait le plus, mais quitte à mentionner que c'est du Vanillaware autant rappeler que comme toujours avec ce studio c'est beau. C'est vraiment magnifique même, de la belle 2D comme on les aime. Les lens flare des couchers de soleil sont nombreux mais tapent bien dans la rétine, les décors ont une vraie patte (les scènes dans un train avec le paysage qui défile en arrière-plan, mais quelle classe !), les chara-design sont assez variés pour qu'on s'y retrouve sans que ça verse dans les coupes de cheveux vectorielles qui piochent dans toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Quand un mécha surgit devant les ados le jeu d'échelle est saisissant et le rendu grandiose marque bien. Les musiques sont souvent assez discrètes mais elles accompagnent très bien les combats et peuvent se montrer très fortes aux meilleurs moments, celle du niveau de fin en particulier est extraordinaire. Les séquences tactical sont bien moins jolies avec leur 3D schématique et sommaire qui vise davantage la clarté que la beauté. Soulignons enfin que le chara-design de Mlle Morimura est assez abusé au niveau de ses mensurations, cependant ce personnage reste une exception et garde un bon traitement, d'ailleurs les autres moments comportant de la nudité sont moins gratuits qu'il n'y paraît même si

la justification des corps nus dans les cockpits est bonne mais aurait imposé qu'aucun personnage ne garde ses lunettes ou ses attaches pour ses cheveux.

Parlons quand même de l'écriture et de la mise en scène. J'ai dit que c'était du visual novel mais on n'est en fait pas dans le genre de narration de roman avec des tartines de description, plutôt du dialogue entre personnages dont les actions sont montrées à l'écran au lieu d'être racontées. C'est ce qui permet au jeu de se finir en une cinquantaine d'heures plutôt qu'une centaine, et c'est ce qui permet aussi qu'on passe autant de temps à reconsulter les chroniques et d'avancer sans avoir à zapper des moments plus triviaux. La mise en scène a quelques bons moments, je pense en particulier à une bagarre qui est présentée depuis le point de vue de quelqu'un qui l'entend sans y assister. On se dit que c'est une astuce de développeur pour ne pas avoir à animer le pugilat, mais le fait est que le sound-design incroyable fait carburer notre imagination et rend la scène terrifiante. Quelques moments utilisent le medium videoludique de bonne manière pour renforcer le sentiment exprimé, toutefois on sent que le besoin de limiter le nombre d'animations différentes conduit à des ellipses dommageables : on se retrouve avec des personnages qui expliquent tout haut ce qui vient juste de leur arriver, c'est un peu artificiel et met à mal le Show Don't Tell que je mentionnais plus haut. L'usage d'ellipse a du sens dans le jeu, que ce soit pour sa narration particulière ou son ambiance vaporeuse, où l'on se sent projeté d'un contexte à l'autre sans savoir comment on en est arrivé là ni ce qui constitue un rêve ou une réalité, mais ici c'est plus maladroit.

Continuons dans les défauts d'écriture : on a quand même pas mal de situations où les personnages en apprennent beaucoup en espionnant des gens qui donnent des informations confidentielles dans un lycée bondé sans faire attention à leur entourage, voire en espionnant quelqu'un qui parle tout seul et balance du lore à la volée. Il y a aussi l'amnésique qui retrouve des morceaux de sa mémoire juste parce qu'un personnage lui demande de se souvenir de leur précédente conversation. C'est un peu facile tout ça. En outre l'humour peut varier en qualité : quelques runnings gags se montrent amusants et usent bien de l'ellipse pour le coup, mais l'obsession d'un personnage pour la bouffe risque de vite vous gonfler.

Parlons de la traduction française : elle conserve tous les suffixes honorifiques japonais ainsi que quelques expressions comme Sensei ou Senpai, qui trouvent leur définition dans le codex. Cela fera plaisir aux amateurs d'anime japonais en VOSTFR mais pourra peut-être rendre la compréhension plus compliquée pour les autres par moment, surtout quand on alterne entre la mention d'un Professeur et d'un Sensei. Il y a toutefois quelques lignes de dialogues où je sens que le traducteur a pris des libertés même avec mes connaissances en japonais qui se limitent aux insultes : quelques "Teme !" remplacés par des "Lâche moi !", des moments où au contraire une fille présentée comme plutôt innocente et douce utilise un vocabulaire plus familier auquel elle ne nous a pas habitué (mais peut-être est-ce vraiment ce qu'elle dit en VO ?), ou des phrases qui ont manifestement été raccourcies. Rien de bien grave cependant.

Je voudrai aussi revenir sur la principale question qu'on se posera devant un tel puzzle narratif : est-ce que les pièces finissent par s'assembler convenablement à la fin ? Après avoir écumé les chroniques en analysant l'ordre chronologique dans lequel elles sont rangées, je pense que globalement oui, l'intrigue est cohérente. Je pense, mais c'est le genre d'histoire où il serait facile de planquer ses plot holes en faisant croire au joueur que l'explication existe et qu'il ne l'a simplement pas comprise. Beaucoup de passages ont une vraie raison d'être dans la grande chronologie, mais j'ai l'impression qu'une partie existe surtout pour induire le joueur en erreur et le rendre confus avant qu'il ne pige l'astuce. Il faut impérativement se refaire les visions des rêves après le jeu et dans l'ordre pour mieux saisir ce qu'elles représentent, parce que leur première apparition est bien trop précoce et riche en éléments incompréhensibles pour qu'on puisse tous se les remémorer dans la suite du jeu. Il y a toutefois une certaine satisfaction à voir nos efforts récompensés, parce qu'on finit véritablement par y voir clair dans cette mythologie touffue dont les nombreux coups de théâtres ont eu lieu bien avant le début des routes que l'on va explorer. Il est cependant dommage que l'impact que ces retournements de situation aurait pu avoir soit amoindri par le fait de n'avoir compris que tardivement leurs implications. Il faut aussi savoir que le jeu en garde sous le coude en n'expliquant pas clairement certains points clés, et dans quelques cas ça me gêne parce que j'ai l'impression que les personnages se sont compliqué la vie sans que je sache pourquoi (attention, gros spoilers)

Ma grande question aura été : pourquoi Morimura et Ida s'embêtent-ils à confier leur double de la nouvelle boucle à une famille pour qu'ils vivent une autre vie avec un autre nom ? Morimura voulait implanter ses souvenirs et sa personnalité à Fuyusaka, mais ça n'aurait pas été plus simple si elle avait eu le même nom et vécu avec la même époque, pour éviter le contraste entre ses rêves et sa vie ? Sauf peut-être si elle voulait rassembler Fuyusaka et Juro pour les traiter tous les deux, et qu'elle voulait que ni elle ni ces enfants se trouvent dans leur époque d'origine pour se simplifier la tâche. Quant à Ida, il dit qu'il a confié Amiguchi à une famille de 1985 mais il ne dit jamais pourquoi. Mes discussions avec d'autres joueurs suggèrent qu'il voulait peut-être éviter que son double de la nouvelle boucle ne devienne comme lui et lui mette des bâtons dans les roues. Mais il l'envoie en 1985 où il se dirige lui-même, la manœuvre me paraît plutôt malhabile même sans prendre en compte les événements imprévus qui ont fait dériver Amiguchi. Un geste aussi risqué et compliqué à mettre en place aurait mérité une justification plus claire, quitte à ne la glisser que dans le codex.

En revanche j'ai été surpris de finir par m'y retrouver dans cette histoire de simulation spatiale, de boucles, de personnalités qui deviennent des IA sans corps et de monde virtuel. Je voyais tous ces concepts s'empiler les uns sur les autres alors que je croyais commencer à comprendre comment ça se passait et je désespérais de me sortir de cet océan de nano-machines, mais à force d'y réfléchir j'ai fini par m'y retrouver. Je me demandais par exemple comment marchait ce principe de réveil des 15 corps alors qu'il y avait des personnalités qui survivaient d'une boucle à l'autre : quelle personnalité s'est réveillée à la fin du jeu dans chaque corps ? C'est là que je me suis rappelé de la fin de la route de Fuyusaka, quand Sekigahara apprend que le changement de boucle va le "tuer" en extrayant ses données du corps pour en faire une IA. Il y a déjà un fort esprit Ghost In The Shell dans cette idée mais on comprend bien mieux le principe quand on apprend qu'on est dans un jeu vidéo : le Sekigahara qui se réveillera dans le monde réel ne pourra être personne d'autre que celui de la boucle actuelle, et pareil pour Ida qui n'est déjà plus qu'un ensemble de données dans un espace informatique, autonome tant qu'on lui laisse sa simulation. L'épilogue qui montre la cohabitation entre les vivants et les IA - aussi étrange que puisse être l'idée de ces adultes qui reviennent en ados pour voir leur vie d'avant et leurs potes qui n'ont pas vieillis - montre quand même que l'absence de corps ne serait pas une fatalité quand bien même elle nous enferme dans un espace délimité. La personnalité et les souvenirs de ces personnages compte toujours autant, leur vie n'a pas été vaine et ne mérite pas d'être jetée après utilisation.

C'est aussi avec ce réveil que le principe de boucle prend son sens : l'humanité est bloquée au même point depuis des millions d'années, à se faire supprimer et réinitialiser avant sa pleine maturité. L'enjeu global est celui de la route d'Ogata : briser sa boucle, quitter son quotidien ronflant et aller au-delà (il est cependant frustrant que cette route n'ait eu aucune conséquence visible, je ne sais même pas ce qui se serait passé si Ogata avait balancé Natsumi, et Okino et Hijiyama ont l'air de se désintéresser de lui : à quoi a servi cette route, en dehors de ses qualités scénaristiques ?). Le processus est fastidieux et repose sur des bases qui ont eu lieu deux boucles avant. Il a fallu dépasser l'égoïsme d'Ida et l'abandon de Morimura pour se battre comme 426, quitte à survivre autant que possible en changeant de corps quand l'ancien meurt. Le fait que ce combat de long-terme ait lieu depuis si longtemps donne une dimension de saga et rend la victoire d'autant plus forte.

Il faudra vous investir corps et âme dans 13 Sentinels pour l'apprécier pleinement, mais le jeu vous le rendra et il est suffisamment bien pensé pour qu'on l'apprécie tout de suite et pas au bout de 15 heures "parce qu'avant ça met du temps à se mettre en place et on comprend rien mais j'te jure après la galérance ça devient génial fais moi confiance". Il facilite notre tâche pour nous y retrouver comme un vrai bon wiki et saura nous donner matière à réfléchir et s'impliquer. C'est une aventure singulière qui mérite votre temps, alors embarquez dans votre mécha préféré et bouclez bien votre ceinture.

thetchaff
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le 10 janv. 2024

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