« Assassin’s Creed : Unity » est le dernier né de la célèbre franchise d’Ubisoft, démarrée en 2004 avec le premier « Assassin’s Creed ». Ces jeux reposent sur le principe suivant : une révolution technologique permet d’explorer – pour certains individus – la mémoire de leurs ancêtres, de revivre ces souvenirs dans le corps de leurs aïeux.
Ce postulat de base permet alors au joueur d’incarner des personnages ayant vécu à des époques très différentes, tout en servant une "méta-histoire" développée sur l’ensemble de la saga.
Cet épisode se situe dans le Paris de la Révolution française. L’on fait la connaissance du jeune et charmeur Arno Dorian, un nobliau insouciant et un brin impulsif.
Accusé à tort du meurtre de son père adoptif, Arno a rejoint l’ordre des "Assassins", une société secrète dont les membres, surentraînés, suppriment des personnages clés pour protéger la liberté du plus grand nombre. De l’autre côté, leurs ennemis ancestraux, les Templiers (qui ont survécu à la condamnation de Jacques de Molay et la purge de l’ordre – les fourbes ont encore probablement tout leur trésor), œuvrent, également dans l’ombre, à contrôler la destinée de tout être humain.
Arno rejoint donc les Assassins, un peu par hasard, d’ailleurs. Il s’avère que son paternel, dont il fut orphelin très jeune, appartenait jadis à l’ordre. En outre, le jeune homme se moque bien des idéaux de ses nouveaux compagnons : il y voit plus une opportunité de venger son bienfaiteur. Pour corser le tout, celui-ci, François de la Serre, était également le père d’une demoiselle au caractère bien trempé. Elise, de son prénom, est une belle (et rousse) jeune femme à l’esprit vif et à l’épée acérée, à laquelle Arno est évidemment très attaché.
Le cadre, le Paris de 1789 à 1794, n’est qu’un prétexte à faire cohabiter les personnages principaux avec des individus ayant réellement existé. L’histoire que l’on nous raconte se déroule en marge de ces évènements historiques : que l’on se rassure, ceux-ci ne prennent jamais le pas sur le récit du jeu.
Avant d’aborder les choses qui fâchent, commençons par évoquer ce que « Unity » fait de bien, car le jeu n’a – heureusement – pas que des défauts.
Ce qui saute instantanément aux yeux, c’est l’immensité du terrain de jeu qui nous est alloué. La ville de Paris est grande, vivante, et, graphiquement très réussie. De nombreux bâtiments emblématiques, comme Notre Dame, les Invalides ou encore le Panthéon, ont été superbement modélisés. L’ensemble des bâtisses de la ville, ses rues et ses ponts, constituent un travail de grande qualité. Grande nouveauté par rapport aux épisodes précédents de la saga : de nombreux intérieurs ont été construits, accessibles sans aucun temps de chargement, et ils sont globalement très réussis. C’est un vrai plaisir de se balader dans les avenues du Paris virtuel qu’Ubisoft propose ici. En termes d’ambiance, cela aurait sans doute pu être plus immersif ou plus intéressant, mais quelques efforts ont été faits pour animer la foule des badauds. L’on assiste par exemple à quelques saynètes de la vie quotidienne, à quelques bagarres ou encore à des attroupements de mécontents.
Et puis, j’ai entendu au moins une chanson paillarde de mes années d’école d’ingé, alors…
L’histoire met, quant à elle, l’accent sur le développement des personnages d’Arno et d’Elise, et relate leur quête de vengeance. La Révolution française sert de cadre au récit, qui amène parfois les personnages à rencontrer d’illustres figures de l’époque (rappelez-vous la colère de ce bon Mélenchon relative au traitement du brave Robespierre).
Ce choix est un peu à double tranchant. D’un côté, certains seront forcément un peu déçus d’apprendre que ces évènements historiques déterminants passent au second plan. De l’autre, cette décision place Arno au centre du jeu, là où « Assassin’s Creed III » délaissait par exemple l’histoire personnelle de son héros au profit de son implication dans la révolution américaine.
Pour autant qu’on puisse le faire dans un « Assassin’s Creed », les deux personnages principaux sont raisonnablement développés. Chacun possède un caractère et des idées bien distinctes, ce qui donne lieu à des interactions et quelques dialogues bien sentis. Leur relation, au cœur du jeu, est un partenariat efficace et détonant, où tous deux contribuent à part égale. Plus intéressant encore, le personnage d’Elise est l’un des rares rôles féminins du jeu vidéo de manière générale, et de la série en particulier, à ne pas servir uniquement de "love interest" pour le héros. Fière et indépendante, elle existe sans Arno, n’a pas besoin de son aide ou de sa protection, et le lui fait bien savoir…
Le personnage principal, quant à lui, est raisonnablement attachant. S’il pâlit de la comparaison avec sa copine lorsqu’ils partagent l’écran (son charisme à elle l’enterre), il possède toutefois une certaine classe. Arno constitue un héros assez neutre – sans flamboyance ni fulgurance – qui remplit le job.
C’est un peu le premier problème que l’on rencontre avec un jeu comme « Unity ». L’histoire est découpée en douze parties, chacune composée de plusieurs segments, eux-mêmes introduits et conclus par de courtes cinématiques. La brièveté de ces séquences, et le nombre assez restreint de dialogues, nuisent fatalement à la compréhension du récit. L’on a un peu l’impression d’être lâché sans réelle explication et d’accomplir des objectifs un peu sans but. C’est un sentiment frustrant, qui dure jusqu’à la moitié de l’aventure, où l’on avance enfin (légèrement).
Le corollaire, c’est que les personnages – dont je louais les qualités plus tôt – auraient pu être bien plus détaillés. C’est d’autant plus énervant de constater tout ce potentiel, et de le voir dilapidé par une narration ratée, et trop peu de substance. Les pauvres séquences cinématiques, quoique majoritairement réussies, sont bien trop courtes pour parvenir à un résultat tout à fait convaincant. Des progrès sont faits dans la bonne direction, si l’on compare aux épisodes précédents de la saga, mais cela reste encore largement améliorable.
Attardons-nous un instant sur le "gameplay", c’est-à-dire l’ensemble des mécaniques du jeu : du déplacement du personnage au système de combat, en passant par l’infiltration et la furtivité. Globalement, c’est très moyen.
Le système de déplacement a toujours été correct, mais handicapé par de nombreux bugs "d’immobilité" soudains, ou de problèmes de collision. Ces mêmes soucis se retrouvent dans « Unity », qui se dote toutefois d’une nouvelle fonctionnalité : la possibilité de descendre les bâtiments en "chute contrôlée". L’infiltration est, quant à elle, heureusement moins rigide que dans le précédent volet, « Black Flag ». Il n’est point nécessaire ici de tout recommencer à zéro si l’on se fait voir à la dernière seconde (ce qui est fort appréciable). Si elle paraît intéressante au début, avec l’ajout d’un système de couverture, elle demeure assez peu souple et souvent répétitive (l’on procédera toujours de la même manière). Enfin, le système de combat est raté – mais ça, c’est normal dans un « Assassin’s Creed ».
Depuis le deuxième opus de la série, tous les « Assassin’s Creed » ont proposé une foule d’activités secondaires à accomplir pour occuper ses heures de jeu dans les villes où se situe l’action. En complément de l’histoire principale, l’on pourra donc se livrer à quelques missions mineures confiées par des personnages illustres (l’on croisera des figures connues telles Beaumarchais, Sade, Condorcet…), explorer la carte pour en découvrir des coffres à vider, ou bien encore – nouveauté – résoudre des énigmes qui feront (très légèrement) appel au sens de déduction du joueur. Disons-le nettement, le tout est souvent insipide et peu inspiré, et ne servira vraisemblablement que de phase de prise en main des contrôles pour la plupart des joueurs, ou d’expérience complémentaire pour les boulimiques du jeu.
Le jeu souffre également de quelques soucis d’optimisation ; l’expérience s’entache de plusieurs ralentissements ou saccades notables. Même si ceux-ci restent assez rares – cela dépend des fois – cela s’avère assez nuisible pour bien apprécier le titre, et surtout, c’est très indigne d’un blockbuster de cette taille et de ce budget.
Au final, « Assassin’s Creed Unity » me semble être un jeu au potentiel immense : grand terrain de jeu, belles idées de personnage, époque passionnante… mais qui sous-exploite largement toutes ses possibilités. Entre un gameplay approximatif et une histoire qui aurait bénéficié d’une narration plus soignée et d’un plus grand travail sur l’atmosphère, le jeu constitue une expérience bancale, loin d’être désagréable, mais qui laisse un goût certain d’inachevé et de gâchis.
Et puis, il y a cette fin.
Evidemment, on la voit venir depuis un moment. Dans la série, les scénaristes ont mis un point d'honneur à répéter une recette déjà bien éprouvée, qui laisse au joueur un goût déplaisant d'inachevé et l'impression désagréable que l'on se fout de sa gueule. Je parle bien sûr de la tristement célèbre conclusion "douce-amère" qui achève tant de livres, de films et, désormais, de jeux vidéo.
Le principe de la fin "douce-amère" est très clair : le personnage doit atteindre le but qu'il s'est fixé en début d'aventure, et qu'il a poursuivi tout au long du jeu, mais en subissant assez de pertes pour entacher sa victoire, qui n'apparaisse donc pas comme trop facile. Que voulez-vous, le triomphe final contre un grand méchant se doit d'être épique ! Lorsque vous avez fait votre bout de chemin pendant quelques dix ou vingt heures de jeu, sabrant, fusillant, empoisonnant (ou autre) quelques centaines de gardes hostiles sur votre parcours au prix d'une simple goutte de sueur et d'une lassitude tout à fait compréhensible, il est nécessaire de doucher votre enthousiasme. Vous ne croyiez tout de même pas que cela serait aussi simple ?!
Dans la série, la méthode consiste, de manière très pragmatique, à faire mourir tous les personnages qui gravitent autour du héros, auquel il s'était attaché, et vous aussi par la même occasion (dans quelques rares cas seulement, l'écriture n'étant pas une des grandes forces de la saga...).
Les fins "douces-amères" m'exaspèrent prodigieusement, car j'ai l'impression qu'elles soient choisies plus par paresse que par réelle vélléité de proposer une conclusion triste ou mélancolique. Elles ne sont pas travaillées, sont brutales et trop simplistes, et laissent ce sale sentiment d'avoir été roulé. C'est un peu le syndrôme Mass Effect, où une conclusion atrocement bâclée peut réduire à néant les efforts méritoires des écrivains qui ont proposé un scénario et un univers riches et cohérents pendant cent-vingt heures. La "happy end" Hollywoodienne peut être une alternative tout à fait acceptable. Il n'est pas nécessaire qu'un jeu possède une fin triste pour être réussi. L'important, c'est de soigner la conclusion, et il faudrait un jour comprendre que réussir une bonne fin "douce-amère" est quelque chose d'extrêmement difficile, qui se travaille, et ne se bâcle pas !