La série Blackwell, qui se clôt avec ce cinquième et dernier épisode, met en scène Rosangela Blackwell & son camarade Joey, accessoirement fantôme tout droit issu d’un film noir. Pour présenter les choses très simplement le duo s’est donné pour mission d’accompagner les esprits des défunts qui n’ont pas trouvé le chemin vers « la suite ». Un sujet casse gueule, souvent traité de manières assez ridicules, pas ici. Non, pas dans la série Blackell, pas de dramatisation à outrance, pas de moralisation vomitive, pas de manichéisme débile. Les affaires sont souvent justes, les personnages compréhensibles dans leurs comportements, dans leur noblesse comme dans leur faiblesse, et les dénouements parfois terriblement touchants. Mais la série ne se résumant pas simplement à une succession d’enquêtes, elle tisse également une véritable histoire accrocheuse et structurée, auquel Epiphany pose un point final. Comprenez par-là que les évènements d’un épisode font écho dans les suivants, que des personnages évoqués dans un épisode font toujours référence à un des titres précédents, etc.
Dave Gilbert, créateur de la série, possède un véritable talent pour l’écriture et manie avec équilibrisme capacité à créer la compassion pour quelques amas de pixels rencontrés deux écrans plus tôt, le tout inclus dans une trame générale passionnante –sans faire des enquêtes de simples faire valoir- qui puise dans les épisodes précédents de façon méticuleuse ; capacité à manipuler les tons, traitant un sujet général anxiogène qu’est la mort sans que l’humour porté par les remarques sarcastiques de Rosa et Joey semble malvenues ou forcées ; capacité à créer une atmosphère de série TV mystico policière jazzy new-yorkaise un peu « datée » sans donner le sentiment de servir la même soupe déjà avalée mille fois.
Évidement l’aspect graphique joue énormément sur ce dernier point, et pour le coup Epiphany diffère pas mal du reste de la série. Plutôt fluctuante sur ce point, montrant une véritable évolution technique en 8 ans d’existence et un charadesign changeant à chaque itération (parfois pour le pire, épisode 4 je te retiens) ; ce cinquième épisode fait office d’aboutissement. Toujours dans un style retro/pixel, les décors n’ont jamais été aussi fin que dans celui-ci (et le charadesign est à son meilleur imo, avec le 3), ce qui permet d’appuyer fortement cette ambiance de New York nocturne teinté d’émeraude.
Mais au-delà du plaisir pour les yeux pourquoi imo Epiphany constitue la plus grande réussite de la série, car finalement les qualités d’écriture et de ton évoquées ne lui sont pas propres. Et bien simplement parce qu’en tant que conclusion, il est à la hauteur des espérances qu’une fin peut susciter : il répond convenablement à la plupart des questions posées par l’entièreté de la saga, privilégie la cohérence à l’effet rebondissement et propose un final atroce & magnifique à la fois, ceci pas uniquement d’un point de vue « terre à terre », mais difficile d’en parler sans spoiler. En plus de cela Epiphany insuffle une tension qui lui est propre liée à l’incertitude de notre capacité à accompagner les esprits rencontrés, ce que la série n’avait pas vraiment exploré auparavant.
Pour autant je suis presque convaincu qu’individuellement ce cinquième épisode comme ses prédécesseurs peut être considéré comme un jeu d’aventure sympathique sans plus et que ce n’est qu’une fois qu’il est inclus dans ce tout qu’est la saga Blackwell qu’il devient plus que ça. Et pas uniquement d’un point de vue scénaristique mais aussi pour ce qu’il représente dans le processus d’évolution technique et des idées de gameplay de la série.
Alors oui la saga porte ses tares. Oui le gameplay est assez simpliste et certaines idées sont sous-exploitées (les situations se débloques souvent naturellement, par les dialogues, la recherche et le rapprochement d’infos). Oui le schéma je rencontre un esprit->je découvre son histoire->je lui fais accepter sa mort peut agacer. Oui il y a eu des hauts et des bas, Convergence pour ne citer que lui est moins intimiste, plus grandiloquent et cousu de fils blancs, misant sur un effet rebondissement au détriment des affaires, plus "factices".
Mais bordel, que c’est agréable d’avoir une nouvelle fois ce sentiment que l’ambition narrative dans le jeu vidéo n’est pas morte à la fin des années 90…