Bien étrange trajectoire que celle du monde d'Oddworld. Il y a maintenant près de trente ans que Lorne Lanning, créateur de la saga, claqua la petite porte de son bureau à Hollywood pour co-fonder son propre studio de jeux vidéo.
Hello!
A l'origine, le projet fou d'une pentalogie, avec pour chaque épisode un nouveau personnage et de nouveaux horizons de gameplay. D'abord conforté dans ses ambitions par le succès des aventures d'Abe sur ps1, le pauvre Lorne s'est bien vite retrouvé à marcher sur des champs minés. Outre la douche froide que constitue l'odyssée du monster Munch sur xbox, c'est surtout son passage dans l'écurie Microsoft qui sèmera la discorde et le privera d'une grande partie de sa communauté. Et c'est dommage car tous ces bougres sont probablement passés à côté de La Fureur de l'Étranger, qui lui mériterait probablement d'avantage de considération.
Démuni, le Lorne tentera bien de se reconstituer une fan base par divers stratagèmes, allant même jusqu'à offrir à Abe une brève carrière dans l'industrie musicale comme en témoigne ce featuring détonnant avec Music Instructor sur Get Freaky qu'il ne faudrait en aucun cas oublier (Et là tout de suite Rick fait moins le mariole avec son Get Swifty).
Mais bon tout le monde le sait la meilleure manière de relancer la machine de la hype après une ou deux pannes techniques c'est le retour aux sources, avec un bon remake des familles. Après les portages discrets des épisodes xbox en hd, sort donc en 2014 New & Tasty, refonte intégrale d'Abe's Oddysee ou Abe a gogo pour nos amis du pays au soleil levant. Et là, les puristes se frottent les mains, un bon shoot de nostalgie, de l'argent facile pour le studio, une réexposition de la licence à moindre coût, et le Lorne qui se remet au diapason avec ses projets d'antan.
Autant vous dire que l'ère de la nouveauté n'est pas encore venue.
Ce Soulstorm est donc une relecture de L'Exode d'Abe, deuxième épisode de la saga sorti sur ps1. Par relecture, entendez que ce n'est pas un remake mais une totale réécriture de l'histoire, avec de nouveaux niveaux, un gameplay repensé, et toujours plus de Mudokons à sauver. Le prétexte : La suite de l'odyssée d'Abe, développée dans la douleur en moins de 9mois pour pouvoir squatter les sapins de noël (Souvenez-vous, cette époque où le crunch n'était pas un sujet) n'était pas entièrement conforme à la vision du créateur qui voit là la parfaite occasion de nous offrir la suite que l'on méritait.
(OK, pourquoi pas Lorne, montre-nous donc ces idées saugrenues qui trottent dans ta tête depuis tous ce temps se murmure alors mon moi magnanime tandis que mon ça se demande si ce n'est pas la douce odeur de l'entourloupe milanaise que je flaire au loin.)
Wait!
Dans un souci de neutralité je vais habilement éviter de commenter les choix de direction artistique, plus ou moins dans la lignée de New & Tasty, et par conséquent différents des épisodes originaux. Retenez quand même que ce n'est pas toujours moche, mais pas toujours beau non plus, avec pour faire briller le tout un bilan technique peu flatteur qui laisse à penser que quelques semaines de polissage supplémentaires n'auraient pas été de trop. Pas de déception en revanche sur les cinématiques, irréprochables dans leur réalisation bien que souffrant d'un rythme de narration pas toujours des plus dynamique.
Ce qui est paradoxal avec cette nouvelle direction artistique, c'est que l'on y gagne en couleur autant que l'on y perd en humour. Non pas que cette étrange fable anti capitaliste n'ai pas matière à se prendre au sérieux, mais avouons-nous que sans les pitreries des employés, plus d'un enfant sur deux aurait écourté sa visite de Rupture Farm à l'époque. Terrible conséquence, Abe n'est plus habilité à lâcher les gaz en public. Parait-il que cette feature iconique n'eut jamais été tout à fait du goût du Lorne qui s'était fait un peu forcer la main pour l'intégrer.
Mais imaginez un peu le tableau, déjà qu'Abe a la bouche cousue le voila maintenant avec le cul bouché. Et que dire de ces pauvres Mudokons désormais privés de toute personnalité. Triste de constater qu'alors que l'industrie réalisent toujours plus de progrès en matière de narration environnementale, Oddworld fais lui un bond en arrière en réduisant ses meilleurs acteurs à de simples collectables.
Alors bien sûr pour compenser, ils sont plus nombreux. Tellement nombreux que l'on se dit parfois qu'en en perdant quelques-uns en route personne ne verra la différence. Une terrible erreur de jugement, car ce serait là sous-estimer le pouvoir du karma.
Vous connaissez probablement la chanson, plus vous sauver de Mudokons plus vos chances d'obtenir la meilleure fin augmentent. Mais là où autrefois la différence se mesurait à une simple cinématique, il est ici question de deux niveaux supplémentaires complètement inaccessibles si vos efforts pacifistes ne sont pas jugés suffisant par la force suprême. Une décision fort discutable bien qu'à priori ces deux derniers sont déconseillés à toute personne n'ayant pas fait récemment renouveler son ordonnance d'antidépresseurs.
Et c'est normalement à ce moment précis que le mélenchoniste errant se prépare à hurler en commentaire qu'il faudrait être un monstre pour laisser une telle force vive de travail sous le joug d'un entreprenariat aussi diabolique. Gageons que si le vocabulaire du meneur ne se résumait pas à "salut !" et Suis-moi" il serait plus aisé de guider ses camarades sur la voie de la révolution. Car devinez le bien, le gamespeak, système chargé des interactions entre créatures et accessoirement pilier du game design de L'Exode d'Abe est ici réduit à son strict minimum.
Et puis de vous à moi, en dépit de toute sa bonne volonté, le Mudokon est quand même bien plus qualifié pour descendre une bière que pour monter un plan d'évasion. Déjà dans Mudokon il y a con. Coïncidence ? Pas sûr. Abus de langage ? OK, pas de problème. J'attends la plaidoirie de l'intelligence artificielle.
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S'il y a un constat à tirer sur ce Soulstorm, c'est que pour une relecture censée améliorer l'expérience d'antan, il se voit amputer d'un bon nombre d'éléments qui faisait la renommée de son modèle.
Un gameplay étonnamment amoindri, un bestiaire réduit, un humour bridé, un compositeur parti en vacances, des niveaux disparus, sans forcer la liste se rempli d'elle-même. Sur une autre feuille, le joueur consciencieux dressera tout de même la liste des nouveautés pour observer avec effroi de quel côté penche la balance.
Déjà ce double saut. De prime abord surprenant quand on sait qu'Abe est un être faible par nature, il nous vaudra quelques passages de plateformes à base de cabrioles sur des barres de singe. Pas sur que c'est ce qu'on retiendra.
Ensuite les phases de Tower Defense. Dans le jargon on les appelle les instants World War Z. Des séquences haletantes où des centaines de fidèles grimpent sur des murs en pensant naïvement trouver la terre promise au sommet. Une aubaine pour les forces armées qui n'ont plus qu'à tirer dans le tas, mais parfois un calvaire pour le joueur prophétique censé les protéger. Dans l'idée ce n'est pas si mal, on sent bien la volonté de faire varier les plaisirs au cours de l'aventure. Dans l'exécution, c'est pas toujours la fête comme dirait l'autre. Et je me tairais bien sur d'évoquer les moments de rail shooter.
Last but not least, l'intégration d'un système de crafting. D'une ergonomie peu intuitive, il a pour lui de permettre de diversifier ses approches. Mais dieu a un jour dit qu'avant de crafter tu ramasseras. Et si tu meurs par mégarde et que tu retournes au dernier checkpoint, alors tu ramasseras encore. Et ainsi à chaque mort tu ramasseras. Et quand tu seras repu de tous ces ramassages, alors dieu videra ton sac, pour qu'au prochain niveau tu puisses ramasser encore. Je vous le demande, est-ce qu'Abe a vraiment quitter sa position d'agent d'entretien pour en être réduit à passer son temps à fouiller des bennes à ordures ?
Reste donc la question fondamentale : Qu'est-ce que cette supposée relecture apporte réellement au grand projet du Lorne ? Trois bouts de lore et des jolies cinématiques ? Autant faire un film. Trop différent pour pleinement contenter le fan nostalgique. Trop bancal et dépassé pour captiver un nouveau public. A peine assez satisfaisant pour ne pas craquer et ressortir la playstation du grenier.
Reste la satisfaction de voir Abe reprendre un peu de service. Lui qui, déjà dans les 90' avait compris qu'amasser de la moollah et chercher des followers étaient les véritables clés du succès. Ni le plus fort, ni le plus agile, pas le plus beau et encore moins le plus intelligent. Un anti héro comme on n'en fait plus. Lui qui a vécu les pires humiliations mais qui refuse de cesser son combat. Et rien que pour ça il mérite notre soutien.