Perception
5.9
Perception

jeu vidéo de The Deep End Games (2017PC)

Depuis son annonce sur Kickstarter, je suis très dubitatif devant Perception, le pitch prometteur semblant tenir plus du gimmick que du game-changer. Pourtant, mettre le joueur dans la peau d'une non voyante à vraiment du potentiel pour créer si ce n'est de la peur, au moins de la tension. Mais pour cela, il faudrait que ce détail soit réellement au cœur du jeu et du gameplay.


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La manière dont Perception nous présente le handicap de son personnage est directement inspiré du Daredevil de Johnson. En somme, l'écran affiche en nuances de bleu-nuit les détails du monde "éclairé" par ce qui est censé être le son produit par l'environnement. Le vent contre la maison révèle donc l'ensemble de son architecture extérieure. Les bruits de pas montrent jusqu'aux plus fines aspérités du parquet. Le jeu base donc une partie de son gameplay sur de la navigation "à vue" en tapant avec sa canne au sol, éclairant les salles et couloirs.


Pensant peut-être que le jeu serait trop laborieux avec ce seul affichage, les développeurs ont ajouté deux aides qui réduisent à néant le peu d'efficacité qu'aurait pu avoir ce choix esthétique sur la navigation: en appuyant sur Ctrl, on tourne le regard du personnage vers le prochain objectif et ce à travers les murs; et le contour des portes apparaît en vert, quand le reste du jeu est quasiment entièrement en bleu.


Je pense que les deux paragraphes précédents mettent en exergue le fait que Perception, malgré la prétention de nous faire jouer un personnage aveugle, est un jeu qui attire énormément l'attention du joueur sur sa partie visuelle. L'ensemble du jeu peu paradoxalement se faire sans son, tant la navigation est téléguidée par les aides. Aides qui gâchent le peu d'effet de désorientation que l'affichage noir et bleu peut offrir par moment.


Et en un sens, c'est presque "tant mieux", puisque la partie auditive est parfaitement à côté de la plaque, comme si les développeurs n'avaient pas du tout saisi ce qu'il y avait d'effrayant dans le fait d'être aveugle dans une maison grinçante que l'on ne connaît pas.


Déjà, le son extra-diégétique est trop présent. La musique n'est que rarement complètement éteinte et le moindre document ou objet que l'on regarde provoque un bruit assez fort. Les notes stridantes et autres artifices accompagnant les tentatives de sursauts n'aident pas non plus à laisser la pression montée. Rien que dans ce secteur, on est déjà submergé. Quand au son de la diégèse, il est amplifié par une sorte de reverb. L'écho constant ne donne aucune personnalité sonore aux différentes pièces que l'on traverse. La spatialisation du son est fonctionnelle, mais sommaire. On a vaguement une distinction des directions mais aucune utilisation de fondu pour simuler les cloisons qui étouffent les bruits par exemple. Le jeu manque très cruellement de nuance sonore.


Et pour un titre horrifique, c'est déjà un problème en soi, le son étant un élément capital, souvent plus encore que le visuel. Mais quand ce dernier est, encore une fois, muni d'un pitch de départ mettant en avant un personnage pour qui le son est un allié dans les déplacements et une source d'intenses soucis (on ne sait pas d'où il vient concrètement puisqu'on ne le voit pas), c'est juste impardonnable. Ici, c'est du niveau d'un Resident Evil 7 ou d'un Dead Space dont on a besoin, rien de moins.


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Le jeu est par ailleurs incroyablement conventionnel en terme de gameplay. Et à ce niveau là, difficile de dire si la mécanique a influencé le visuel ou l'inverse. Toujours est-il que le jeu, par son esthétique finalement assez claire (malgré l'image souvent sombre) avec cette représentation visuelle du son qui révèle jusqu'aux micro-détails taillés dans des portes, permet de faire faire la chose la plus usité dans les jeux d'épouvante en vue à la première personne indépendant: trouver des trucs. Le jeu est littéralement structuré autour de la recherche d'objets que le personnage dit chercher dans cette immense bâtisse. Du début à la fin, on appuie sur Ctrl, et on suit les ouvertures de portes vertes qui conduisent à ce que l'on aperçoit à travers les murs.


Et le jeu ne laisse AUCUNE latitude au joueur. Les portes s'ouvrent et se ferment, se verrouillent et déverrouillent sans aucune explication, cohérence ou logique, suivant simplement le désir des développeurs. On passe son temps à cliquer sur chaque porte en attendant de trouver celle qui s'ouvre vers la pièce suivante. Et entre chaque porte on tapote Espace pour que la canne éclaire l'environnement...enfin pas trop, sinon on risque d'attirer le monstre.


Oui, parce que Perception a vaguement une entité monstrueuse qui pointe le bout de son nez à mi-chemin de l'aventure. Loin de revitaliser la progression, ce dernier n'a aucun impact positif ou négatif. Déjà parce que le seul bruit qui puisse l'invoquer est celui de la canne. Le joueur peut courir comme un marathonien sur le parquais qui résonne, ou activer tous les audiologs du manoir en même temps sans jamais attirer la créature. De plus, si jamais après avoir spammé la touche Espace, le monstre se révélait et l'attrapait, le joueur meurt en un coup mais revient à l'objectif en cours, quelques pièces en arrière...rien de bien effrayant là dedans. Alors, on peut effectivement se cacher, mais à quoi bon?


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Si seulement la narration rattrapait la médiocrité ambiante et la déception du concept si peu utilisé...


Malheureusement, on est face à un des jeux d'exploration à la première personne les plus banals que j'ai pu toucher à ce niveau. Le jeu démarre avec pour seul prémisse que l'héroïne a vu en rêve une maison et des objets et veut savoir ce que cela signifie. Elle plonge donc dans la bicoque et parle en permanence pour exprimer ce qu'elle ressent sur ses découvertes - ou pas d'ailleurs, car le jeu propose une option pour qu'elle ne fasse pas de commentaire en jeu. Et ce qu'elle découvre est ennuyeux au possible dans la forme comme le fond.


Une énième histoire de famille massacrée par une malédiction violente, présentée sous forme de réminiscences spectrales, de "souvenirs" ou apparitions oniriques, de changement de décors impromptus et de monologues sortis de nul part de la part de l'héroïne qui n'a en apparence pas grand chose à voir avec l'histoire (mais en fait peut-être que si?)...dans un monde où Layers Of Fear fait mieux visuellement, Amnesia: The Dark Descent fait mieux en terme de progression de la folie, et Outlast fait mieux en terme de rythme pour délivrer son histoire, Perception ne fait que s'ajouter à un tas de jeux insignifiants sur le plan de la narration. On ne ressent strictement rien pour l'héroïne ou pour son enquête. Trop peu est donné au début pour en avoir quelque chose à faire. L'explication de sa présence est trop fine et ses rares interactions avec son petit-ami par téléphone ne livrent aucune émotion, aucun attachement supplémentaire. Sans même s'attarder sur l'improbabilité qu'une personne sans problème de vu puisse trouver quoi que ce soit dans une baraque aussi grande, encore moins une personne aveugle qui ne connaît pas la maison, le jeu est juste ennuyeux à suivre en terme de trame.


Et pour la millième fois, ces maudits audiologs et autres notes partout ne sont qu'un complément narratif. À moins d'avoir un jeu entièrement construit autour de leur découverte comme Gone Home, on ne peut pas en faire un objet d'exposition principal sans que cela soit extrêmement étrange.


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Je parais sans doute extrêmement tendu sur un titre de si petite envergure, en ne présentant presqu'aucune qualité et m'acharnant sur un paquet de "détails". Cependant, je pense que Perception est un exemple typique de l'idée extrêmement intéressante qui vire au gimmick sans intérêt. Le cas d'école des développeurs qui ne saisissent pas l'intérêt de leur concept initiale, la force de leur pitch. À cet égard, Perception est de ces jeux médiocres si amers: les actes manqués. Jouer un personnage aveugle, dans le contexte présenté, à savoir une maison immense et jamais visitée, c'est taper directement dans l'épouvante la plus efficace, celle qui s'appuie sur l'imaginaire et l'inconnu. Seulement l'esthétique, les aides visuelles et le level-design accompagné de sa progression linéaire casse tout suspens, toute tension. Le son est trop dense et manque de nuance et de SILENCE. Le monstre n'est qu'un ajout forcé qui ne sert en rien le jeu, et la narration fonce encore dans ce micmac inconsistant d'hallucinations, de rêves et de souvenirs que l'histoire ne prendra jamais le temps d'expliciter - à croire qu'on a oublié que les maîtres du genre, la Silent Team avait un lore entier pour expliquer ce qui se passait dans leur saga phare pourtant entièrement bâtie sur le flou entre réalité et perception hallucinée.


Si on le regarde par le prisme de ce qu'il aurait pu être, Perception laisse donc un arrière goût rance. Si on le prend pour sa valeur propre, on s'y ennuie car c'est un jeu d'épouvante assez médiocre qui ne tire pas parti du peu d'artifices qu'il met en place...très dispensable quoi qu'il en soit.

seblecaribou
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le 4 juin 2017

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