Super Metroid
8.3
Super Metroid

Jeu de Nintendo R&D1, Yoshio Sakamoto et Nintendo (1994Super Nintendo)

Si l'on me passe la vanité d'une auto-citation :



On se demande parfois ce qui permet à Nintendo de conserver une telle suprématie dans ses domaines les plus investis : c'est que tous les éléments vont dans le même sens et concourent au même accomplissement. Le propos demeure simple et limpide dans l'esprit de concepteurs voués à mettre tout en œuvre pour le servir jusqu'au dernier pixel. Une détermination face à laquelle s'effacent l'artifice, la poudre au yeux et les ambitions contre-productives.



J'avais cherché à faire valoir à cette occasion que tout Mario est plate-forme. L'idée, aujourd'hui, est de montrer en quoi tout Metroid est exploration. Et le paragraphe vaut toujours au mot près.


D'une certaine manière l'objectif de cet article, à défaut d'en être la motivation première, pourrait être d'apporter une réponse à la question de la définition du metroidvania, discutée et rebattue depuis au moins l'émergence du terme lui-même dans la presse américaine après que Konami ait joué sa carte lugubre en 1997... Qu'est-ce qui fait un metroidvania ? La plateforme ? Le combat ? La 2D ? La non-linéarité ? Le world design en galeries ramassées sur elles-mêmes ? L'accroissement des aptitudes et des statistiques du personnage ? Le tout à la fois ?



I/ Définitions



L'étape liminaire consistera en un petit lexique à toute fin utile. Surtout, j'ai réalisé que des termes abondamment sollicités dans les échanges qu'il m'arrive d'avoir sur le site restent souvent non-définis alors même qu'ils revêtent, pour ma part, un sens assez précis. Les quatre premières entrées sont courantes, les acceptions proposées correspondent simplement à l'emploi que j'en fais. Les trois autres introduisent des concepts moins habituels, forgés par mes soins mais utiles je crois pour l'analyse. Ceux qui n'ont que faire de finesses sémantiques mais qui s'intéressent au pourquoi "Super Metroid est le plus grand jeu de sa génération" n'auront qu'à sauter entièrement le chapitre !


● Une mécanique de jeu est un principe de jeu transverse c'est à dire récurrent et systématique. Définition on ne peut plus universelle qui, pour se faire une idée, regroupe la limitation du mouvement autorisé d'un pion au jeu d'échec, la commande de saut dans un platformer, celle de tir dans un shoot'em up, la boussole à récupérer dans un donjon de Zelda, le proto-QTE de Dragon's Lair (comme sa version moderne) ou encore le gain de niveaux dans un jeu de rôle. Une énigme de jeu d'aventure, un script de progression (même interactif) ou quelque autre événement survenant ponctuellement au cours du jeu reste hors-champ puisque une mécanique, comme rouage du système où elle est située, conserve une fonction toujours identique et se tient prête à l'emploi à chaque fois que le joueur ou le game designer l'aura jugé pertinent. NB : j'appelle mécanique instrumentale une commande d'action mise à disposition du joueur, à l'exemple du tir ou du dash, et par opposition aux mécaniques structurantes, liées à sa progression ou à son évolution, telles que sauvegarde, permadeath ou distribution de points de compétence.


● Un système de jeu est un ensemble fonctionnel de mécaniques qui, par là, "font système". Le battle system d'un beat'em up, avec ses movesets, ses contres, sa parade et son esquive, illustre bien la notion du fait de sa complexité particulière. Un système est souvent composé de sous-systèmes (ou modules de gameplay) emboités les uns dans les autres pour constituer un dispositif efficace. Je réitère ici l'emploi d'un exemple aussi trivial que notoire, celui de Pac-Man. Le lecteur trouvera plus loin une semblable décomposition pour Super Metroid. Un tel diagramme par emboîtement voit toujours les mécaniques structurantes contenir les mécaniques instrumentales, à l'effectivité plus locale et à la portée plus immédiate.


● La structure est la morphologie générale d'un jeu déroulée dans l'espace et dans le temps, c'est à dire en termes plus spécifiques, le world design (espace) associé à la notion de progression (temps). On trouve à travers un nombre indéfini de variations et de gradations possibles cinq grandes approches pour la structuration d'un jeu, soient fermée, linéaire, pseudo-ouverte, semi-ouverte et ouverte (cf. II). La structure est donc cette conjoncture bidimensionnelle en prise directe avec la forme de l'espace de jeu et le rythme de la progression qui interagit par surcroît avec les mécaniques dans un rapport d'interdépendance étroit : système et structure se nourrissent l'un l'autre pour former un tout consistant. Enfin le level design, bien qu'inhérent à la structure, renvoie à une dimension plus fine et localisée ; d'en connaître le contour ne donne pas nécessairement d'information quant à l'agencement du jeu à grande échelle. Le chapitre suivant aura pour objet de recenser les principaux archétypes structurels rencontrés dans le jeu vidéo.


● Le metagame (parfois féminin, parfois meta-gameplay, en français métajeu) est une instance non-prescrite ayant pour effet d'infléchir en un certain sens le comportement du ou des joueurs : jeu plutôt offensif/défensif, individuel/collectif, lent/rapide, au corps-à-corps/à distance, égoïste/altruiste, dispersé/concentré, etc. Le metagame est une propriété émergente qui, puisqu'elle transcende le core game system donné par défaut, ne s'impose qu'a posteriori du stade de la conception. Toute tendance induite qui se dessine au cours de multiples sessions, tout ce que le jeu ne préconise pas explicitement mais qui se retrouve à coup sûr dans les comportements adoptés spontanément par les joueurs est de l'ordre du metagame. Le terme protogame (pour proto-gameplay, protojeu) peut symétriquement désigner l'application stricte de la consigne explicite, autrement dit le socle élémentaire de gameplay tel qu'organisé par le développeur et pratiqué par un joueur encore non-familiarisé aux finesses induites par le système.


Exemple : en octroyant à mon personnage démuni une épée dès les premiers pas dans l'univers virtuel (Zelda sur NES), le jeu m'exhorte sans ambiguïté à en faire usage au combat : ici l'on se situe au niveau "proto" et non "méta". Si maintenant je m'aperçois au fur et à mesure de mes expérimentations que la magie s'avère bien plus efficace, toute chose égale par ailleurs, que les coups directs (cas de Demon's Souls), je dirai que le "méta" du jeu m'incite à privilégier un build orienté magie au détriment du corps-à-corps. Puisque le metagame est émergent et empirique par définition, il ne correspond pas toujours à ce que les développeurs souhaitaient faire de leur jeu a priori, notamment dans le domaine complexe du jeu multijoueur où de menues altérations peuvent être opérées qui laissent intact le core gameplay : ajustements numériques, buff/nerf de compétences, ajout/retrait d'une mécanique, etc. Dans la hiérarchie des éléments constitutifs d'un jeu vidéo le metagame se trouve quelque part entre la 'dynamique' et le couple 'système/structure'.


● La dynamique de jeu, ou "supra-mécanique" telle que d'abord introduite sur le schéma systémique de Pac-Man, est un principe de jeu supérieur qui convoque à soi divers systèmes et mécaniques spécifiques. Il s'agit d'un terme général conférant au jeu une inclination majeure touchant le cas échéant à son meta de façon indirecte. Score, survie, combat, exploration, collection, roleplay et speedrun sont quelques exemples de dynamiques parmi les plus répandues, vagues par elles-mêmes mais très concrètement incarnées dans les éléments de système et de structure que les concepteurs auront choisi d'implémenter. Une telle "super" mécanique ne fait pas partie du game system proprement dit, elle n'est pas "tangible" comme peut l'être une mécanique ordinaire, ayant plutôt valeur de tendance générale induite par le système.


Exemple : Resident Evil prône la "survie" par l'intermédiaire d'un game system rigoureux combinant inventaire réduit, ressources limitées, sauvegardes comptées et battle system rigide, mais aussi à travers une structure semi-ouverte imposant au joueur de dangereux allers-retours. Exploration et combats sont ici assujettis à la survie qui reste le premier impératif ludique et imprime sa marque à la progression, ainsi que le reflètent structure, mécaniques et équilibrage du game design (attribution de valeurs numériques précises). Enfin, la dynamique ne doit pas être confondue avec le "rythme" : Gears of War et Vanquish pratiquent un rythme très différent tout en partageant la même dynamique.


● Le propos ludique est l'identité d'un jeu vidéo considéré comme œuvre irréductible en ses éléments. Moins incarné et saisissable encore que le précédent, cet objet n'en est pas moins le plus essentiel puisqu'il confère aux autres tout leur sens et leur valeur. Si jusqu'ici les notions souffraient bien d'être écrasées sous le poids de mots communs et de concepts englobants, la chose n'est pas si aisée avec le propos, singulier, non-généralisable par nature, ne pouvant être approché que par un développement substantiel et ciblé à la manière d'un profil littéraire ou d'une monographie. (D'où, en passant, le fait de ne pas y voir un biais pertinent pour la classification.) Le propos n'est pas de l'ordre du game design comme discipline institutionnelle puisqu'il relève de la vision personnelle d'un auteur, celle qui englobe, surplombe et détermine les différents constituants – systèmes, structure, éléments narratifs et artistiques. En revanche le propos est bien ludique, c'est à dire qu'il porte en soi l'intention de produire une émotion spécifiquement liée à la pratique du jeu. Le propos est, au fond et pour finir, la qualité précieuse et délicate d'une œuvre cohérente.


● J'emploie enfin le terme composante ludique pour désigner les ressorts ludiques fondamentaux trouvés dans un jeu. Cette notion se distingue des précédentes par son caractère fondamentalement subjectif c'est à dire relative à ce qui se produit au sein même du sujet lorsqu'il pratique un jeu ; il s'agira en particulier de déterminer les facultés physiques et/ou intellectuelles mises à contribution dans l'exercice. Nommément et principalement : l'effort physique (jeux d'action/arcade, sports, rythme et toute discipline engageant immédiatement le corps dans sa fonction mécanique), la réflexion pure déterministe (puzzle game, problèmes mathématiques, gestion exacte, etc.), la réflexion pure probabiliste (stratégie, tactique, toute matrice opposant deux intelligences qu'elles soient ou non artificielles) et la réflexion contextuelle (jeu d'aventure, roleplay, livres dont vous êtes le héros...). Plus couramment je parle d'action, de réflexion, de stratégie et d'aventure comme autant de "couleurs primaires" de la palette ludique sur la base de laquelle est élaborée la majorité des recettes connues – encore que la métaphore ait ses limites. Pour illustrer et bien signifier qu'il s'agit là d'un terrain différent de celui où se situaient les concepts précédents, remarquons que Counter Strike et Beatmania partagent la même composante majeure (l'action) sans avoir aucun rapport pour ce qui est des mécaniques, du système, de la structure et du propos.


Prenons un peu de temps pour donner de la chair à tout ça. D'abord un schéma synthétique ramassant l'ensemble des notions présentées (exception faite de la dernière), plus parlant que les mots sans les remplacer pour autant.


Ensuite le cas de Super Metroid dont on peut espérer qu'il finira par nous conduire sur le rivage du metroidvania ! On ne fera pas cas pour le moment du propos qui, vous l'aurez compris, aura besoin de toute la suite du texte pour être dûment cerné. Fort d'une 'composante' d'action mâtinée d'aventure, Super Metroid déplie sa 'dynamique' d'exploration (de loin majoritaire), de combat (expression moyenne) et de survie (faible expression) à travers une 'structure' de type organique intégral dont voici le détail. Il est possible, comme pour à peu près tous les jeux finis (dotés d'une fin), de faire primer une dynamique de speedrun et c'est alors le 'metagame' du jeu qui se trouve entièrement bouleversé. Pas mon sujet mais la remarque méritait d'être faite. Enfin pour ce qui est du 'système', voyez plutôt.



II/ Typologie des structures



Il m'a paru utile de détailler les modèles structurels les plus fréquents à travers une typologie schématique et illustrée. Je m'intéresse à la structure des jeux à grande échelle, je veux dire la plus grande qu'il soit permis d'utiliser dans chaque cas ; à échelle réduite tout peux changer car le level design prend le relais. Il importe enfin de voir qu'il ne s'agit là que de structures-types à même de se combiner, comme elles le font souvent, sans limitation a priori dans les variétés produites.


Considérer la figure suivante.



III/ L'exploration en jeu vidéo : un topo



Explorer, dans un jeu, revient à faire de la "reconnaissance de terrain" dans une optique double. Il y a d'abord la volonté de s'approprier le lieu investi dans sa totalité, c'est à dire d'en opérer en pensée une synthèse générale à mesure du dévoilement de sa topographie locale. Une mécanique bien connue et omniprésente depuis plusieurs générations (nettement moins en 1994) assiste le joueur dans sa tâche : la carte et sa variante minimap.


L'autre vocation de l'exploration ludique, plus ouvertement intéressée, est de repérer les points d'intérêt spécifiques disséminés dans les niveaux. Médikits, munitions, clés, tourelles, PNJ, leviers, objets potentiellement utiles à la résolution d'une énigme, que sais-je... et dans l'autre sens – qui revient au même du point de vue de la dynamique d'exploration –, ennemis, précipices, pièges, aires de DoT (damage over time), etc. Toutes ces choses qu'il m'arrive de regrouper sous le terme valeurs ludiques (loin de s'y restreindre). En bref, les deux visées pragmatiques de l'exploration touchent à la navigation, qu'elle améliore d'autant plus que les contours et la nature du terrain pratiqué sont connus, et à la progression, dont elle peut servir de moteur principal.


La découverte progressive (expression à prendre parfois au pied de la lettre comme avec le brouillard de guerre "découvrant" la map d'un STR) du contexte aménagé par le game designer, toujours à l'affût de valeurs ludiques et narratives disposées ça et là dans un dessein méticuleux, constitue une activité heuristique particulièrement riche en soi, stimulant esprit de synthèse aussi bien que mémoire et sens de l'observation ; d'où l'idée naturelle de faire de l'exploration un moment privilégié dans l'économie générale de la progression d'un jeu.


Petit arrêt sur le bord du chemin. Si l'on a bien compris ce qui fait la particularité et la valeur de cette dynamique sur le plan ludique, un paradoxe se fait peut-être jour : la structure open world ne favorise pas l'exploration dont elle semble en fait presque toujours exempte. Les jeux concernés ont bien la possibilité d'y recourir mais seulement à petite échelle, lorsqu'il s'agit de s'insinuer dans les replis d'un donjon ou de quadriller la superficie d'un village. Le monde ouvert proprement dit ne s'y prête guère car, d'une part, il n'est pas question d'en arpenter systématiquement chaque parcelle pour dégager une représentation globale propre à pouvoir naviguer de tête (dimension "synthétique" de l'exploration), à quoi l'on préférera de loin les nombreux indicateurs d'objectif infestant l'écran de jeu et le menu de carte (mécaniques anti-exploration qui la réduisent à un trajet sans effort). D'autre part le repérage d'éléments pertinents pour la bonne marche de l'aventure (ressources, dangers, points-clé etc. ; dimension "progressive" de l'exploration) n'existe que sous une forme atrophiée et fragmentaire au point d'en devenir négligeable. Au mieux a-t-on l'initiative de peupler son territoire de gibier sporadique, de collectibles sans conséquence ou de menaces intermittentes.


Puisque l'assimilation compréhensive d'une collision map n'est pas davantage son objet que le recensement intéressé des valeurs éparpillées, il est raisonnable d'affirmer que l'open world contrevient au principe d'exploration pour embrasser une autre forme d'utilisation de l'espace dans le jeu vidéo, plus souple, moins exigeante, mais qui a sa richesse. En quelque manière l'exploration trouve ici carrément son contraire. Cerner les limites avec minutie, non certes, donner plutôt le sentiment de leur éclatement total ! Aussi faut-il pour finir assener sans détour que structure ouverte et semi-ouverte n'ont rien de commun dans leur mise à disposition d'un espace de jeu, la gradation du linéaire à l'ouvert n'étant pas sans risque d'interprétation erronée. Et si l'on n'explore pas dans Red Dead Redemption, Assassin's Creed II ou Skyrim, la balade permise à travers un continent numérique débarrassé de structure contraignante confine, dans les jours de grande veine, à la flânerie la plus délectable, parfaite griserie que n'égale que le dépaysement éprouvé en circonstances réelles – d'où vient par ailleurs que l'union entre open world et simulation, ni composante ni genre ludique, se soit avérée aussi robuste et pérenne.



IV/ Le cas Metroid



L'exploration est, si l'on peut dire, une dynamique véhiculaire employée le plus souvent comme liant destiné à tenir ensemble les différents nœuds de la progression ; combats, énigmes, puzzles et autres. Ce qui signifie qu'elle a valeur de moyen servant une fin qui lui reste supérieure.


Si le beat'em up ravivé à l'ère moderne sous l'impulsion de Devil May Cry a eu tendance, de plus en plus, à aérer ses échauffourées de temps morts synonymes d'exploration (émaillée de plateforme pour maintenir le rythme), lesdites échauffourées conservent le beau rôle dans l'économie du jeu puisque c'est vers elles que tendent, entre autres, configuration du level design et placement d'objets. De même on aura beau se piquer de voir du pays à travers une campagne solitaire de Company of Heroes, chaque excursion demeure vouée à l'impératif logistique dicté par le méta du jeu : gestion des troupes et conquête de places fortes. Même les types de jeu semblant faire la plus belle part à l'exploration, tels qu'aventure, jeu de rôle et immersive sim, la subordonnent en réalité à une préoccupation plus impérieuse : aménagement d'énigmes (aventure traditionnelle), prédilection pour les systèmes et narration environnementale (immersive sim), développement d'une intrigue vécue à la première personne (cas du "vrai" RPG, walking simulator...), etc.


La singularité du metroidvania réside dans le fait de prôner l'exploration pour elle-même au mépris de n'importe quelle autre dynamique de jeu, parfois présentes mais délavées. Pénurie complète d'énigmes contextuelles, raréfaction extrême des puzzles adressés l'intellect, absence d'économie, combats expédiés comme pour signifier leur rôle subsidiaire, et la présence discrète d'un scénario qui se contente ordinairement d'introduire le héros dans son piège "macro" pour l'en extraire finalement en bouclant au passage les deux ou trois enjeux restants... Tandis que les plus radicaux spécimens – je pense à Bird Song – n'hésitent pas à creuser jusqu'au noyau ludique d'un registre qui se passe aisément d'univers et d'histoire proprement dits.


Et de fait Super Metroid n'introduit réellement aucune énigme à l'attention du joueur (comme le ferait par exemple un Zelda) et pas davantage de puzzle à lui faire ruminer. Si blocage il y a, il ne peut être dû qu'à une investigation imparfaite de la zone offerte à ausculter. À même peut-être de figurer la prééminence du principe d'exploration parmi les héritiers d'une forme révolutionnaire apparue en 1986, ce tableau à la valeur plus indicative que réellement démonstrative.


Le metroidvania branche l'exploration sur elle-même, en circuit fermé, au point qu'on n'y explore que pour accroître encore sa capacité à explorer. Et quoique d'autres types de jeu suivent un précepte similaire, pas un ne montre cette dévotion fervente à la cause du ratissage systématique. La chose est simple : il n'est presque aucune mécanique constitutive du phénomène planant au-dessus de la mêlée laborieuse qui se dérobe tout à fait à la logique exploratoire. L'une des plus élémentaires octroyées à Samus, supposée dévolue aux affrontements puisqu'il s'agit du tir, sert en fait en autant d'occasions (sinon davantage suivant la propension du joueur a épargner les créatures un peu toc qu'il trouve gambadant à ses pieds) à ouvrir la voie pour s'immiscer plus avant dans le ventre de la planète infestée.


C'est que Metroid n'entend pas s'appuyer sur une chose aussi triviale qu'une "clé", ou autre babiole équivalente, pour structurer et ménager la progression du joueur à travers ses labyrinthes minéraux (seules quelques exceptions, dont celle d'Echoes, à la règle). Ici les clés peuvent s'appeler Beam, Wave Beam, missile, super missile, bombes, super bombes, Speed Booster et j'en laisse, sauf qu'il ne s'agit pas de simples passes mais bien de mécaniques de jeu d'action à part entière dont la fonction est aussi, accessoirement a-t-on envie d'ajouter, guerrière. Le cas de l'Ice Beam, moins arsenal offensif que générateur de plateformes à la volée, reste un des plus éloquents, encore que ma préférence irait à la Power Bomb dont la puissance effrayante n'empêche que son utilité première réside dans la destruction de briques obstruantes et, avant d'acquérir la lunette de vision X, dans le dévoilement des éléments d'interactions masqués dans les décors... Mais l'accès à de nouvelles portions de la carte n'est pas la seule contribution directe du système d'upgrades au processus ; car explorer, c'est d'abord "se déplacer", or accroître l'endurance vitale du personnage et les réserves de munitions lourdes permet de se mouvoir bien plus sûrement et fluidement à travers les segments d'un monde où le backtracking est une norme impérative. Sans admettre cette logique, on a du mal à donner du sens au fait de finir par approcher les 2000 PV en fin de partie quand le contact urticant des bestioles ordinaires en retire moins d'une dizaine : l'idée sous-jacente est bien de ne même plus avoir à se préoccuper de la vermine pour embrasser la seule quête "archéologique" assignée au joueur.


Le biais le plus économique pour entériner l'idée que le metroidvania ne nourrit d'autre ambition que celle d'amener son sujet à naviguer dans un espace complexe me semble en définitive d'afficher cette unique image. Quelle autre famille de jeux d'aventure pourrait prétendre offrir une aperception parfaite de sa constitution, autrement dit une solution complète de son cheminement à travers une simple carte légendée ? Chose impensable pour le jeu d'aventure classique, incapable de se passer de justifications matérielles (sous forme de texte) pour rendre compte de tel ou tel progrès.



V/ Le metroidvania : définition par la structure



Une fois établi le prima de l'exploration sur toute mécanique particulière dans la recette élaborée par Okada, Yokoi et Sakamoto avant de mûrir sous la tutelle du troisième (il est frappant, au passage, de constater la notoriété acquise par Kōji Igarashi quand l'essentiel du travail avait été fait par les cerveaux de l'illustre Nintendo Research & Development 1 plus de dix ans auparavant), on conçoit mieux la pertinence de s'appuyer sur une définition d'ordre structurel plutôt que mécanique pour trier entre les jeux dans l'optique d'une classification.


Il est même permis de durcir la démarche en choisissant d'écarter tout critère d'ordre mécanique pour opérer ladite classification *, qu'il ait trait au combat (dont un certain Endeavor se passe allègrement), au RPG (en dépit de la contribution particulièrement laxiste et peu maîtrisée à cet égard du pourtant majestueux Symphony of the Night) ou même à la plateforme. Réjouissante expérimentation du talentueux Daniel Linssen qui le voit déplumer sans sourciller son objet ludique, Bird Song démontre par le fait le caractère accessoire des mécaniques instrumentales dans l'organisation d'un metroidvania, lui qui n'en avance qu'une seule : le saut.


*Le dernier de liste, on le verra, fait tout même exception.


Toujours à l'aune du modèle Metroid, cinq critères structurels pour une approche à la fois compréhensive et discriminante du genre. Les voici explicités avec la mention indicative des structures-types les plus concernées a priori (cf. doc "typologie des structures").


10 à #18 - Non-linéarité de la progression sur un mode semi-ouvert, idéalement appliquée à toutes les échelles bien que la prestation de Metroid II ait prouvé qu'un cheminement globalement linéaire n'empêchait pas les vertus d'une complexité topologique locale de s'exprimer à plein. La multiplication des voies et chemins praticables a plusieurs mérites, dont une forte emphase mise sur la mémorisation spatiale à court et moyen terme suivant l'étendue du réseau ainsi que sur la planification et l'optimisation des trajets ; dans chaque cas un travail mental rémunérateur dont le sens est conféré par la structure. « J'arrive d'en haut, à présent je m'engage par là sans oublier cette autre issue que je laisse pour plus tard, ni cet élément dont j'ignore encore la signification ; au retour je m'arrangerai pour éviter le corridor infesté en empruntant le passage dérobé, ce qui me permettra de récupérer tel objet laissé sur place à la première incursion... » D'une manière générale le semi-ouvert donne lieu à une exploration plus riche que la simple succession d'étapes prédéterminée, mais l'idée est moins ici d'éprouver une quelconque "liberté" (idée reçue assez impropre à restituer la force de ce type de structure) que d'en venir à comprendre un espace bel et bien contraint et limité, d'où il tire justement sa richesse, et qui d'abord nous "comprenait" lui-même comme une poupée russe en comprend une autre.


Contre-exemples : Le principe de non-linéarité, essentiel bien-sûr pour traduire l'identité ludique du metroidvania, prive formellement de la carte de membre différents jeux d'ailleurs voisins à certains égards, par la cohérence de leur world design, le gain d'aptitudes pour explorer et l'existence d'un pseudo-backtracking, à l'exemple de Devil May Cry, Primal ou Kirby, chacun résolument linéaire. À l'autre extrémité du spectre, le vrai monde ouvert semble tout aussi incomparable et incompatible avec les exigences particulières de la formule metroidienne.


6, #11 à #18 - Réversibilité de la progression géographique. On parle d'un backtracking permis à tout moment à partir de n'importe quel endroit de la map. Les points de non-retour, s'ils existent, relèvent de l'exception, à l'instar de l’atterrissage post-prologue dans Super et Prime. De revenir sur ses propres pas n'est pas seulement permis et encouragé pour compléter l'exploration avec les possibilités nouvelles offertes par l'évolution du personnage ou de l'inventaire, mais une étape inéluctable dans le déroulement-type associé à la plupart des formes semi-ouvertes, dont MV, Zelda-like, soulslike et survival horror. Brocardé parfois comme astuce facile pour ajouter quelques heures au compteur du jeu (avec plus ou moins de raison, il y aurait tant à dire par exemple sur son emploi controversé par Kojima !), le procédé renferme pourtant un potentiel ludique indéniable ayant beaucoup à voir avec l'appropriation progressive d'un lieu par le joueur qui, forcé d'en examiner l'anatomie dans le détail et par tous les bouts, en devient maître par l'entendement.


Contre-exemples : Non-linéarité n'implique pas nécessairement réversibilité, et réciproquement. La seconde, quand elle se veut "intégrale", implique en particulier que la progression ne soit pas segmentée d'une manière franche en niveaux ou en chapitres autonomes. Doom ou Prince of Persia, effectivement non-linéaires, propices aussi au backtracking, ne remplissent pas le critère de réversibilité à cause d'une telle segmentation, de même que Vampire Killer, alternative semi-ouverte au Castlevania originel parfois proposée comme exemple précoce de MV.


3, #6, #11 à #13, #16 à #18 - Continuité physique du level design. Il va s'agir de veiller à ce que la teneur de l'aventure reste compréhensible, consistante, proportionnée dans son entièreté. Manifestation à petite échelle du principe de continuité : des niveaux qui se coulent naturellement les uns dans les autres à la faveur d'un scrupuleux effort de transition, tandis que l'on constate à grande échelle le déploiement d'un tissu homogène et relativement uniforme. Aussi tous les niveaux du jeu se valent a priori, partagent le même statut, présentent les mêmes caractéristiques générales en dépit de variations individuelles parfois considérables. La continuité, caractère hérité du jeu d'aventure classique, vise à renforcer chez le joueur l'impression d'évoluer dans un monde matériellement crédible et vraisemblable, loin des artifices structurels habituellement mis en place dans les jeux vidéo telle que la succession discontinue de niveaux thématiquement caractérisés (forêt, eau, feu, etc.). Parmi les brillants ambassadeurs de la méthode à avoir su la marier à diverses formes, mentionnons Gradius, Ghosts 'n Goblins, Another World, Ultima Underworld, Half-Life, God of War, Dark Souls et bien-sûr Metroid (l'épisode II sans doute plus qu'aucun autre dans la mesure où il renonce à brusquer ses transitions en recourant aux traditionnels ascenseurs de la saga).


Contre-exemples : Toute structure qui suppose d'alterner entre un méta-niveau et des sous-niveaux échoue par définition à observer ce critère. Il permet ainsi d'écarter une grande majorité des jeux de rôle, typiquement soumis au régime "VCD" (village > carte > donjon) depuis les premiers Ultima, mais encore Zelda et son armée de clones (dont le récent Owlboy parfois étiqueté metroidvania et pourtant bien assujetti au modèle "overworld/donjons").


6, #11, #14, #15 - Organicité du world design. Où l'on s'intéresse à la cohérence de la map considérée globalement. Nous avons un "tout" composé de "parties" nettement distinctes, exigence déjà incompatible avec l'open world continu et étendu. Ces parties sont encore interdépendantes, non seulement structurellement (c-à-d communiquant entre elles dans l'espace) mais par le sens que chacune confère aux autres au plan de la diégèse. Le Temple des Anciens de FFVII ne remplit pas uniquement la fonction générique de "donjon", il n'est pas posé là par hasard mais revêt une fonction relative à l'histoire et à l'univers du jeu dans leur ensemble. Un niveau de Mario 64 en revanche n'entretient aucune relation étroite avec ses congénères ou le château servant de hub ; on le croirait à vrai dire parfaitement dissocié du reste du jeu, autonome, doté d'une souveraineté ludique et thématique propre, au point d'en pouvoir apprécier les vertus "plateformesques" sans même connaître ou se soucier du reste de l'aventure ; chose impensable avec un metroidvania (ou autre structure organique) où chaque niveau tient lieu d'organe à rapporter au corps du jeu dans son ensemble et à défaut duquel il perd son sens propre. La structure organique dans sa plus ferme expression conjugue donc système physique et système sémantique : elle se tient solidaire dans l'espace aussi bien que par le sens. Le résultat tient lieu de monde organisé au sens fort, souvent replié sur lui-même dans une logique de rétroaction et de circulation et adoptant une morphologie plus ou moins oblongue.


Contre-exemples : Design organique et linéarité sans être assortis par nature peuvent très bien coexister, ce qu'a montré de la plus belle manière Ueda par le biais d'Ico et de The Last Guardian. Inversement, beaucoup de jeux non-linéaires n'ont rien de très organique dans leur construction. C'est le cas de Castlevania II dont l'étrange constitution longiligne s'accorde mal avec l'exigence d’interconnexion. Profitons-en pour écarter d'un franc revers toutes les formes "pseudo-ouvertes" décrites en annexe, hétéroclites et dispersées.


-- Mobilité évolutive. Seul critère non-indépendant des mécaniques, si ce n'est qu'elles ne servent de point d'appui définitionnel que dans la mesure où elles ont trait à l'exploration, et donc encore à la structure. Aussi s'agira-t-il d'une catégorie bien spécifique de mécaniques instrumentales : celles impactant directement la capacité du personnage à se mouvoir dans l'espace de jeu. On tient ici la clé de la progression dans un metroidvania. Parmi les divers recours possibles pour structurer et graduer son cheminement (objets-clé façon point & click, mécanismes d'ouverture façon Tomb Raider, arrêt forcé façon beat'em up, puissance relative des adversaires façon RPG, etc.), Metroid choisit, comme son cousin Zelda mais avec plus d'aplomb encore, d'égrainer l'acquisition d'aptitudes liées au déplacement du personnage. Comme établi tout à l'heure ces aptitudes sont de véritables mécaniques d'action et pas de simples objets-clé, la différence étant que leur emploi ne se limite pas à débloquer un accès particulier mais s'avère bien "récurrent et systématique" pour le reste de la partie. Double saut, glissade, sprint, grappin, dash terrestre ou aérien, vol plané ou libre sont quelques-uns de ces "instruments cinématiques" mis entre les mains du joueur de MV pour s'approprier plus complètement les méandres numériques investis.


Contre-exemples : Il se peut que le critère de mobilité se révèle le plus discriminant de tous pour le metroidvania, celui qui le plus souvent permettra de trancher quant à l'appartenance ou non d'un jeu à la catégorie. Exyt me faisait remarquer que Dark Souls devrait pouvoir y prétendre, attendu qu'un certain nombre de facilités d'exploration deviennent disponibles au cours de l'aventure dont divers raccourcis judicieusement placés ; le critère d'accroissement progressif de la mobilité semble effectivement observé. Cette remarque, riche par là, m'amène à contrecarrer la possible confusion entre "mobilité" et "accessibilité". De débloquer un raccourci dans un jeu de Miyazaki accroît effectivement la seconde, mais la première en aucune façon, or toutes deux doivent se trouver attachées à la mécanique considérée pour satisfaire à l'exigence du critère : ouvrir au joueur de nouveaux accès et le rendre plus mobile d'une manière générale. Le fait est qu'aucune des facilités en question ne constitue une mécanique instrumentale d'action telle que celles recensées tout à l'heure. Sauf une en fait, mentionnée par Exyt : la roulade. Mais d'une part elle est accessible d'emblée, d'autre part le fait d'améliorer sa vélocité en jouant sur le poids de l'équipement du Chosen One, outre qu'il apparaisse marginal dans l'économie générale du game design, n'affecte guère la capacité du joueur à "explorer". Dark Souls n'est pas un metroidvania dans la stricte mesure où dès la première seconde il dote son personnage de tous les moyens physiques pour faire l'épreuve spatiale du monde environnant.


Non-linéarité, réversibilité, continuité, organicité, caractère évolutif de la mobilité du personnage. Aucun n'est la propriété exclusive du MV, seule leur combinaison en fait la spécificité. Cinq critères sont presque trop, je n'ai pas su faire moins parce que le MV est un genre complexe qui en chevauche beaucoup d'autres et qu'il n'en fallait pas moins pour le singulariser. Problème : ça ne suffit pas.



VI/ Science du rythme I : généralités



Au moment d'aborder la rédaction de cet article m'est venue l'idée de relancer une partie de Super Metroid. Initiative excellente pour moi mais plus délicate à assumer par rapport à l'analyse... Il ne serait pas raisonnable et d'ailleurs pas forcément souhaitable de prétendre rendre compte en quelques phrases de toutes les qualités qui concourent à faire de Metroid 3 l'une plus belles œuvres vidéoludiques de tous les temps ; comme il s'agirait de louer abondamment chaque compartiment du jeu, individuellement et dans leur synergie, l'exercice s'avérerait vite fastidieux et bourratif.


Chacun desdits compartiments exigerait en fait un papier indépendant, édifiant, précis, comme un enseignement sacré. Et l'on produirait une table des lois vidéoludiques à l'intention des épigones de Nintendo et autres prodiges du ludique numérique. Comment véhiculer un sentiment de gain en puissance aussi graduel qu'il est jubilatoire ? Comment prétendre à une cohérence telle que jouabilité, structure et univers audiovisuel paraissent absolument solidaires, rigoureusement indissociables ? Par quel tour de force parvient-on à unir pédagogie, intuition, richesse et profondeur sans générer une once de frustration ? Les réponses sont là, drapée d'une évidence qui entretient leur secret parce que la perfection se donne indivise. Mais baste. J'entends pour l'heure vous parler de la fonction du rythme dans le metroidvania, ce qui, j'en ai peur, va justifier un nouveau détour généraliste.


La question du rythme dans le jeu vidéo est complexe, et hors du champ déjà passablement mis à mal de cet article ! D'abord le terme est mal choisi puisqu'il implique un battement uniforme et régulier, ce qui n'est ni ce qu'on constate dans un jeu, ni ce qu'on y recherche. Pour preuve le "jeu de rythme" lui-même ne saurait se contenter de marcher comme un métronome sous peine de lasser dès la première minute ; il va lui falloir introduire de la variation, quelque forme de nouveauté pour entretenir l'implication et l'intérêt du joueur. De fait, dans le cas exemplaire du genre popularisé par PaRappa la monotonie apparente d'une ligne rythmique n'est qu'une circonstance particulière, momentanée, laissant bien vite toute sa place à la modulation du tempo et aux divisions de temps (1 inputs pour 1 temps, puis 2 inputs, 4, etc). Mais à la différence du rythme game, forme pure du jeu vidéo d'action, le metroidvania comme la majorité des "actionners" progressifs hybrides n'est pas sans ouvrir un espace de création, spontanée ou élaborée, au sein même de la structure préréglée.


Pour ce qui touche au rythme, c'est à dire au tempo dans le jeu vidéo progressif (dont le cheminement est balisé par le concepteur), il existe une règle simple et intégrée plus ou moins par tous : la rapidité du tempo est inversement proportionnelle à la durée d'une partie. C'est une moyenne : plus un jeu est intense et frénétique, moins sa longévité est grande.


Ce diagramme rapporte le tempo moyen constaté à la durée de vie nominale d'une huitaine de classiques ; j'appelle format ce rapport précis et les regroupements qu'il permet d'opérer. L'axe dévolu au rythme (vertical) est exempt d'unité de mesure pour la simple raison que réaliser les mesures effectives aurait demandé du temps et des moyens que je n'ai pas, mais il est tout à fait permis d'imaginer utiliser un quelconque analogue au BPM musical. Cet axe se veut exponentiel, si bien qu'on peut établir ici que Radiant Silvergun est grossièrement deux fois plus rapide que Doom, lui-même au moins quatre fois plus véloce qu'Half-Life² ou seize fois plus que Chrono Trigger. Pour un événement requérant à la fois l'attention et une contribution directe du joueur ayant lieu dans ce dernier, pas loin de seize seront ainsi advenus dans le FPS fondateur d'id Software. Dit encore autrement, Radiant suppose un joueur environ trente-deux fois plus actif (du point de vue restrictif du nombre d'inputs) que Chrono ! C'est du moins l'approximation sauvage à laquelle aboutit cette figure, les statistiques réelles n'ayant, donc, pas été faites. Enfin la bande diagonale en gris représente la ligne des formats où devrait se trouver la majorité des jeux du marché ; situé au coin supérieur droit un jeu se montrerait épuisant pour le joueur qui lui reprocherait son manque de modération, tandis que niché en bas à gauche le temps lui manquerait simplement de voir son parcours décoller au point de sembler inconsistant.


Mais une fois posée cette semi-évidence, rien n'a été dit de ce qui pour un jeu constitue un "bon" ou un "mauvais" rythme. Or, puisque la préoccupation d'un jeu est moins de définir un tempo moyen – donnée brute fortement dépendante du genre auquel il se rattache et du rythme personnel du joueur – que de parvenir à installer sur cette base la variabilité propice à faire émerger une session protéiforme et productive, je trouve approprié d'appuyer la suite du discours sur la notion connexe mais distincte de cadence.


La cadence n'est pas le rythme mais cette chose qui, en réglant d'après lui ses manifestations périodiques, le révèle et l'anime d'un mouvement entraînant. En réalité la cadence ne dépend pas même du tempo particulier au travers duquel elle s'exprime, tout ce dont elle a besoin, c'est de régularité, pour elle un cadre où s'aménage son originalité. Et ainsi que le danseur compose sa chorégraphie d'après, non le rythme, mais la cadence qu'il a lui-même choisi de matérialiser à travers lui, un bon jeu vidéo structure sa progression d'après la mise à profit "bien tempérée" d'une base rythmique définie dès l'amorce du développement, relative au format, susceptible de varier un peu mais à laquelle sa teneur particulière, son élan et son intensité ne peuvent jamais être réduits.


Bien-sûr les huit jeux sélectionnés pour illustrer la figure précédente ne l'ont pas été au hasard. C'est à chaque fois l'éclatant succès d'une aventure cadencée à la perfection à l'intérieur de son format (tempo + durée). Cas historiques quasi-archétypaux, ces œuvres ont en commun une exceptionnelle "science du rythme" – parlons maintenant de "cadencement" – qui révèle un certain nombre de constantes significatives : dynamisme (flow et prise en main), constance (pas de variation drastique du tempo), pondération (importance de ménager du calme dans l'action), narrativité (construction des séquences d'après la structure du récit), sens de la relance et, chose essentielle entre toutes, une capacité de renouvellement hors du commun. Un brin d'emphase à ce propos me conduirait volontiers à désigner Resident Evil 4 comme étant, de tous les jeux et sans ambiguïté, le plus proche d'une formelle perfection pour ce qui touche à la teneur d'une progression.



VII/ Science du rythme II : spécificités



D'ordinaire, l'exploration est une dynamique empreinte de lenteur. Le programme installe son utilisateur dans une recherche flegmatique dilatant les durées pour des sessions calmes et diffuses. C'est singulièrement vrai dans le cas du jeu d'aventure, par là aux antipodes d'une expérience de jeu typée arcade. Le geste du metroidvania consiste à récupérer la dynamique d'exploration, en principe dévolue au jeu d'aventure, pour la soumettre à l'impératif de l'action. Non pas qu'exploration et combats se succèdent chacun leur tour dans une dynamique enlevée, mais l'exploration elle-même devient principe d'action et son véritable moteur. La corrélation usuelle entre exploration et rythme lent est brisée pour de bon dans une continuation de l'entreprise amorcée par Zelda et poursuive plus tard, avec un curseur favorisant à nouveau l'action, à travers Yoshi's Island ou Mario 64.


Le maintien d'une cadence soutenue se fait dans Super Metroid de plusieurs manières et s'applique à toutes les échelles. Du macro ou micro : world design, level design et contrôle direct du personnage, chacun contribuant à la logique de circulation en vigueur en permanence au cours d'une partie. Celle de Samus dans les replis grouillants de la tanière des pirates, celle de la pensée du joueur qui partout prend ses appuis pour éprouver son milieu.


L'organisation du world design, circulaire, ramassé, abondamment irrigué de vaisseaux pour permettre à l'intruse cuirassée de rallier promptement un point éloigné de la carte, est déjà pour beaucoup dans la perfection du battement de l'aventure. Et c'est bien l'une des erreurs commises par le prometteur Hollow Knight (aussi du reste par le Metroid originel) que de s'épancher à l'excès dans toutes les directions en amoncelant des niveaux bien trop grands, nombreux et indifférenciés. L'une des clés gagnantes du metroidvania repose certainement sur la tenue d'un monde hétérogène sans y laisser sa cohérence, imposant sans déborder l'entendement... Mais la structure, pour ce qui concerne les jeux progressifs, s'étend aussi bien dans l'espace que dans le temps, ce qui implique de positionner savamment les différents points de progression successifs (récupérer la Morph Ball, puis les premiers missiles, puis les bombes, etc.) tout en ayant soin de communiquer à l'intuition et/ou aux sens du joueur la bonne à marche à suivre – d'ailleurs un autre aspect que la dernière "révélation" en date, par trop influencée par Dark Souls sans en assumer la diversité, néglige bien vite.


Il n'est pas du ressort de cette analyse – c'est encore heureux ! – d'établir une prescription formelle pour la conception d'un "bon" metroidvania. Nintendo lui-même a prouvé qu'il existait plus d'une approche possible pour toucher au but, comme avec Metroid II qui demeure un cas unique dans l'évolution du genre. Ses niveaux pensés comme de vastes "poches" autonomes, prétextes à un riche exercice de synthèse qui s'opère à trois degrés (chambres internes, galeries externes, carte d'ensemble), lui confèrent une envergure que même l'épisode 16 bits peut avoir du mal à égaler ! Le crescendo ici mis en place, avec "annonce" des métroides par la disposition d’œufs éclos, accroissement de la fréquence des rencontres et mutation progressive des créatures contribue de la même manière à en faire l'un des épisodes les plus frénétiques du lot.


Mais, on l'a vu, réguler efficacement le "flow" d'un jeu d'action ne consiste pas simplement à en optimiser la structure pour limiter temps morts, baisses de régime et va-et-vient intempestifs. Le dynamisme de la prise en main compte aussi pour beaucoup, et plus fondamentalement l'ergonomie mécanique affichée par le jeu. On trouve au fond ici une occasion supplémentaire de manipuler les deux catégories cardinales de la pensée du jeu vidéo, dont la cadence dépend de fait très largement ; l'une, de nature progressive, associée à la structure et qui représente la contrainte avec laquelle le joueur doit composer ; l'autre, de nature émergente, associée au système et qui constitue pour lui un espace de liberté relative. À tel point qu'il semble légitime de distinguer entre "cadence structurelle" (grand atout par exemple des américains God of War et Gears of War) et "cadence systémique" (mieux illustrée chez les orientaux Bayonetta et Vanquish). Aussi pour en finir avec le rythme causons maintenant jouabilité.


À la jonction entre maniabilité, relative à la souplesse d'utilisation du soft, et game system, plus particulièrement l'ensemble des commandes d'action dévolues au joueur, la jouabilité ramasse donc en un seul terme la richesse des possibilités d'action offertes et leur confort d'utilisation. Celle du jeu de R&D1 est entièrement pensée pour servir à la fois le rythme et l'exploration. Ainsi le saut allongé (dû aux High Jump Boots) décuple la capacité ambulatoire de la chasseuse de prime en même temps qu'il donne un sérieux coup de fouet à la dynamique générale de la progression – navigation, combat et plateforme, procédant tous ici du même élan. Du reste les mouvements de l'héroïne se veulent très amples, comme en attestent les valeurs déjà généreuses associées au saut et au sprint de base, mais surtout la connectivité entre les différentes commandes s'avère – pour qui la maîtrise – d'une fluidité et d'une fonctionnalité jamais retrouvées à ma connaissance dans un metroidvania.


Une mécanique d'action unique mérite cependant à elle seule une considération plus scrupuleuse. La Morph Ball apparaît en effet, d'épisode en épisode, comme l'inaltérable joyau de la couronne du système de jeu de la saga Metroid. Outre qu'elle soit pour beaucoup dans la dose d'émergence injectée (notamment par le biais de l'infinite bomb jump *) dans le déroulement essentiellement déterministe d'un épisode quelconque, la capacité de transformation recèle un fabuleux potentiel pour ajouter au punch et au dynamisme d'une partie. Aisément accessible et combinable avec le reste de la panoplie de mouvements, ce changement d'état chamboule le contrôle du personnage jusqu'à donner lieu, en jouant sur sa taille, sa forme et son inertie, à un tout autre mode d'appréhension de l'environnement, à la fois plus limité et complémentaire à la motricité ordinaire. Voilà bien une commande d'action tout entière vouée à l'exploration et non au combat (la réduction de la hitbox facilitant plutôt l'évasion), et qui par son aisance d'emploi, sa physique à part et sa polyvalence achève de transcender une cadence de jeu déjà rendue exceptionnelle à plus d'un égard.


*Par où l'on retrouve l'idée de rythme métronomique, l'IBJ supposant de maîtriser un tempo régulier avec, certes, une marge d'erreur bien supérieure à celle d'un rythm-game lambda. D'une façon générale l'explosion différée de la bombe lâchée en état de Morph Ball réclame un sens du timing un tant soit peu aigu ; le méconnu Silent Bomber de Bandai ira d'ailleurs assez loin dans cette voie précise.



L'aventure intérieure...



Un organisme vivant. Sans doute l'analogie la plus adéquate pour toucher du doigt la logique d'élaboration structurelle du metroidvania. Le protagoniste : un virus inoculé dans le réseau sanguin de l'hôte pour le fragiliser, lui pomper la moelle, aller et venir entre les organes anémiés en propageant la contamination septicémique. On se méprend sur la nature parasitique des métroïdes ; le seul parasite ici porte une combinaison Chozo et ne cherche qu'à faire croître sa capacité de résilience envers les assauts répétés des défenses immunitaires sécrétées, jusqu'aux bulbes flottants éponymes comme ultimes remparts biologiques, véritables lymphocytes tueurs d'étrangers reconnus trop virulents. Mais l'entité Zebes a eu beau dépister précocement l'agent infectieux et libérer aussitôt ses premiers anticorps, le taux de mortalité du germe pathogène ne laissait aucun doute quand au sort qui lui était réservé !


La métaphore fonctionne parce que tout ici est affaire de structure complexe, et l'entreprise de ce texte a simplement été d'en détailler l'anatomie (extension spatiale) et la dynamique évolutive (extension temporelle). Toute autre considération apparaît secondaire. Plateforme et combats n'importent dans le processus qu'en tant qu'"exhausteurs de rythme" ; laxistes, ils ne constituent jamais (à quelques boss et mid-boss près) un temps fort dans la dynamique du jeu dont ils expriment des modalités sans en manifester la substance. Il n'est même pas inconcevable que le genre décide de s'en passer carrément sans y perdre sa vertu – à l'image de quelques tentatives contemporaines déjà mentionnées – dès lors qu'il demeure le chantre de l'exploration mêlée d'action au point d'en devenir indiscernable. (Motif suffisant, répondrais-je maintenant à Grobox qui avait bien vu venir le coup, pour écarter The Witness une bonne fois pour toutes.) C'est bien ce à quoi était parvenu même empesé d'un surplus gênant en game design le renversant Castlevania de 1997. Et là où échoue précisément, à cause d'un rapport rythme/structure/système problématique (backtracking en excès et évolutivité en retrait équivalent à une cadence défaillante), un Hollow Knight inconfortablement assis entre la chaise de Sakamoto et celle de Miyazaki...


Qui sait pourtant... Si Super Meat Boy existe après Mario l'espoir est encore permis de voir un jour surgir un successeur digne de l'odyssée planétaire, capable d'en saisir l'essence fragile en vue de la perpétuer.


Documents annexes :


▪ Organigramme du jeu vidéo -> https://nsm09.casimages.com/img/2018/07/18//18071810313324220015811834.png


▪ Game system de Super Metroid -> https://nsm09.casimages.com/img/2018/11/15//18111509555724220015996323.png


▪ Typologie des structures -> https://nsm09.casimages.com/img/2018/11/02//18110202553624220015976498.gif


▪ L'exploration à travers les genres -> https://nsm09.casimages.com/img/2018/07/18//18071811003724220015811860.png


▪ Diagramme des formats -> https://nsm09.casimages.com/img/2018/07/18//18071811252524220015811916.png


(version PDF : https://www.fichier-pdf.fr/2019/11/14/metroid-vanilla---la-forme-du-jeu/metroid-vanilla---la-forme-du-jeu.pdf )

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le 25 juil. 2017

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Dunslim

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