Je n’avais pas beaucoup aimé Alan Wake en 2010.
Encore une fois, ça commence bien, pas vrai ? Mais il vaut mieux préciser les choses d’entrée de jeu : en cette lointaine année où beaucoup se lamentaient sur les cris de Vanille dans les couloirs d’un certain Final Fantasy XIII, Alan Wake avait pourtant été ma grande déception jeux vidéos de cette époque, en tant que grand adorateur des Max Payne du même studio. Pourquoi donc ? Très rapidement : une structure narrative assez foireuse en série télévisée (conséquence du redécoupage laborieux d’un jeu initialement conçu comme un Open World), peinture grossière de l’imaginaire du célèbre romancier Stephen King et surtout la raison même qui légitimait l’existence de cette suite : Alan Wake premier du nom était un jeu d’action très vite redondant alors qu’il avait déjà le potentiel en son temps d’être un Survival Horror. Fort heureusement, à toutes choses malheur est bon, car Remedy a eu une décennie entière pour réfléchir à la conception d’une suite éventuelle, suite à l’échec commercial du premier volet ; là où une suite immédiate aurait certainement réitérée la structure traditionnelle de son grand frère, le retour inespéré d’Alan Wake en 2023 est donc l’occasion de renouer avec l’Horreur avec un grand H ; pas vraiment une prise de risque inconsidérée étant donné le retour en grâce des Resident Evil à l’aspect plus horrifique mais rares sont néanmoins les franchises à oser fluctuer de genre au sein du médium interactif et à première vue, tout semble être mis en œuvre pour offrir à Alan Wake le retour crépusculaire qu’il méritait déjà en son temps.
Est-ce réellement le cas en définitive ? Je vous spoile d’entrée de jeu la fin de cette critique, comme le jeu s’amuse lui-même à nous teaser son dénouement en permanence : oui mais seulement dans un tiers de l’aventure.
Car malheureusement Remedy a voulu voir les choses (trop) en grand à l’occasion de cette suite et s’évertue à nous proposer deux aventures bien distinctes dans leur rythme et leur tonalité, deux aventures censées être complémentaires mais qui à l’image d’un certain Spider-Man 2 tendent surtout à créer une disparité dans l’expérience proposée et une aventure finalement extrêmement en dents de scie.
Pour résoudre l'enquête, Appuyez sur X
Pire, Alan Wake 2 commence même de la plus mauvaise des manières en nous présentant durant son prologue sa facette interactive la moins reluisante, à savoir son abominable mécanique d’investigation. Je vais être clair : j’ai fait pas mal de jeux d’enquêtes dans ma vie, des jeux narratifs, des jeux centrés sur la déduction d’un coupable ou des titres surnaturels mettant en œuvre la compréhension du joueur dans des tableaux figés dans le temps et je pense pouvoir affirmer sans grande exagération qu’Alan Wake 2 propose la pire gestion d’une enquête que j’ai vu dans mon parcours de joueur. L’antre mentale de notre bien aimée Saga part pourtant d’une intention louable de retranscrire à l’écran les fameux tableaux d’indices associés à tous les récits du genre mais les concepteurs se refusent à chaque instant de faire vraiment confiance aux neurones du joueur en ne sollicitant aucune réflexion de sa part, juste une gentille et docile coopération pour mettre en permanence à jour les nouveaux éléments de l’enquête sur ce tableau chimérique. Bon, alors tant pis, on s’en fout du coup et on ne met pas ce fichu tableau à jour ? Hé bien non, car l’étape s’avère indispensable à chaque moment charnière de l’aventure : les éléments nécessaires à la progression vont littéralement apparaître dans la carte suite à nos « déductions » (le mot est bien fort mais que voulez vous) et vous aurez beau avoir déjà deviné la marche à suivre, le déroulement de l’énigme ou même le personnage à qui parler, l’action ou le dialogue associés ne seront pas disponibles tant que cette étape fastidieuse ne sera pas accomplie.
NOM DE DIEU, je n’ai jamais vu ça : Alan Wake 2 vous demande littéralement de mettre à jour vos objectifs de mission, au lieu que le jeu exécute cette tâche redondante par lui-même, sans même nous accorder une vraie implication dans l’investigation. Parce que oui, cette apparition miraculeuse des indices, c’est déjà foireux en soit pour un jeu d’enquête mais ça reste cohérent avec l’univers du titre au moins mais pour le reste, c’est le festival de la facilité scénaristique et de la passivité interactive : Super Saga active son Septième Sens et se voit résoudre toute seule les enquêtes avec un raisonnement complètement surréaliste qui tombe d’entrée de jeu dans le paranormal, parvenant à déduire le trajet de la victime sur dix kilomètres par la brindille qu’elle a écrasée en chemin. Bref, je ne vais pas m’attarder sur cet aspect plus que nécessaire mais sachez que l'aventure commence d’entrée de jeu là-dessus et de la pire des manières : on vous apprend que vous pouvez collecter des indices dans l’environnement et parler avec des PNJ ; on vous amène ensuite dans une cité explorable à votre guise et là…Hé bien non, que dalle, il faut suivre le déroulement prévu du récit sans même avoir droit à un dialogue annexe ou une information complémentaire, bref quelle idée franchement laborieuse et je pense honnêtement que même les productions Quantic Dream gèrent beaucoup plus efficacement leur collecte d’indices dans leurs missions d’enquête pour impliquer un tant soit peu le joueur dans l’action. C’est dire !
Bon, c’est bien joli tout ça mais Alan Wake 2 c’est quand même censé être un jeu d’horreur, non ? Allez, venons-en immédiatement, même si les retrouvailles avec Alan s’opèrent plus tardivement qu’espéré : notre écrivain fétiche, plongé littéralement en plein cauchemar, est fort heureusement le fer de lance créatif du jeu et sa bouée de sauvetage en maintes occasions. Le changement de décor se veut ici radical puisque l’action ténébreuse du récit d’Alan Wake se déroule dans un New York fictif aux ruelles inquiétantes, parsemés de graffitis interpellant directement notre protagoniste et à la topographie fluctuante selon nos actions et l’humeur du maître des lieux. Il n’y a pas à chercher bien loin la référence principale puisque Matrix est cité immédiatement avant même de pouvoir déambuler dans cette ville étouffante mais il y a pire comme inspiration et il faut admettre qu’elle est parfaitement digérée entre le choix de ses couloirs verdâtres, le flou nébuleux de certains décors qui évoquent des anomalies dans la simulation et l’omniprésence de ces ombres oppressantes traquant sans relâche Wake tels des agents omniscients veillant à ce que le mouton ne s’échappe pas de sa prison. L’ambiance est exceptionnelle et donne lieu à de véritables tours de magie durant la progression du joueur avec ces environnements altérés en temps réel, ces escaliers improbables qui nous font atteindre le sommet d’un immeuble en empruntant des marches vers le bas ou ces bouleversements instantanés qui brisent soudainement la monotonie de notre navigation ; c’est bien simple : il faut remonter jusqu’à Arkham Knight (en 2015 tout de même) pour retrouver un jeu se jouant ainsi des repères du joueur et incarnant directement la folie grandissante de son personnage par l’intermédiaire de son environnement. Mais ici le joueur n’est pas seulement un spectateur condamné à la passivité puisque ses cauchemars incluent de surcroît une mécanique d’écriture parfaitement cohérente avec son propos et très agréable à utiliser dans les multiples intrigues disponibles et les altérations des niveaux en conséquence (tout l'inverse de la mécanique d'enquête de Saga donc). Hé oui, enfin, un titre Next Gen qui exploite véritablement les chargements immédiats octroyés par les nouvelles consoles à des vertus créatives et non simplement pour le confort du joueur ; bref, ça fait franchement du bien et alors que les séquences de Wake ne sont paradoxalement pas dénuées d’angoisse, elles constituent une vraie bouffée d’air frais dans une expérience bien trop convenue dès le retour à la réalité.
Silent Wish
Car oui, il faut malheureusement revenir tôt ou tard à la triste réalité de Bright Falls : Alan Wake 2 propose une alternance entre deux campagnes distinctes et même si le jeu se veut linéaire dans son déroulement durant le premier quart de son aventure, il fait preuve par la suite d’une flexibilité remarquable dans le choix accordé au joueur de rythmer par lui-même sa progression, même si elle implique également un certain risque que le scénario n’en devienne décousu. Il m’a été impossible d’abandonner Wake durant les missions qui lui sont dédiées tant l’atmosphère de ce New York Film Noir était haletante (qu’est-ce que ça promet pour Max Payne, purée), de telle sorte qu’il m’a fallu en retour enchainer d’une traite toutes les missions consacrées à Saga , là où un basculement plus mesuré aurait peut être été plus opportun pour ne pas trop entacher mon expérience globale. Car outre la mécanique d’enquête déjà largement évoquée (promis, on ne va pas y revenir), l’aventure de Saga me laisse extrêmement perplexe face à son classicisme permanent et sa suspension d’incrédulité bien souvent malmenée ; c’est comme si l’équipe de Remedy s’était simplement accordée de faire preuve d’expérimentation dans le cadre des niveaux de Wake étant donné le contexte cauchemardesque de l’Antre Noir et s’était résolue en contrepartie à faire preuve de beaucoup plus de retenue auprès de Saga, lorgnant sans vergogne vers les autres ténors du genre : les niveaux sont ainsi structurés de manière interconnectée avec la même composante Point and Click Light des Resident Evil (en moins bien), le jeu nous balance d’entrée de jeu le même déni psychologique que Silent Hill 2 (en moins bien) et même la séquence la plus flippante de cette campagne est une repompe éhontée de la démo…du premier Amnesia. Pire, le jeu s’évertue à réitérer laborieusement la difficulté adaptative de Resident Evil 4 avec des Loots aléatoires selon les réserves du joueur ; le problème étant que l’équilibrage est visiblement à la ramasse puisqu’on se retrouve bien vite avec une surcharge de ressources même dans la difficulté la plus élevée et que la moitié des boites ouvertes deviennent alors désespérément vides en conséquence (là où en de telles circonstances, Resident Evil 4 avait au moins la décence de donner un peu de sous à Léon pour les emplettes chez le Marchand). Et puis, il ne faut pas être trop regardant sur la cohérence globale de l’ensemble, déjà une tare du premier Alan Wake en son temps : on papote gentiment avec trois PNJ qui restent sagement près de leurs baraques en ruine avant d’abattre un possédé, dix mètres plus loin ou dans le bâtiment d’à côté, parce que visiblement personne ne s’étonne d’entendre des coups de feu régulièrement dans ce patelin (même quand la fusillade a lieu littéralement dans l’hôtel d’à côté mais bref). Le tout avec un bestiaire franchement pas très folichon à combattre alors que le titre devrait pouvoir se permettre toutes les fantaisies en la matière vu son sujet. Sans même parler de problèmes de lisibilité assez étonnants de la part d’un studio expérimenté comme Remedy avec cette forêt inutilement touffue et restrictive dans les déplacements accordés ; bref, chez Alan Wake, Saga c’est décidément pas plus fort que toi.
C’est bien dommage car comme il fallait s’y attendre avec Remedy, l’enrobage visuel et sonore s’avère à nouveau d’une facture exceptionnelle : le Sound Design est ahurissant à de nombreuses reprises et la direction artistique de haute volée, plutôt bien appuyée par l’intégration fréquente de séquences vidéos pour brouiller la frontière entre réalité et fiction (Hellblade l’avait déjà aussi fait avant plus subtilement mais chut) ; de nombreux bugs entachent malheureusement cette excellence créative mais malheureusement, c’est le lot de bien des jeux en cette nouvelle génération interconnectée (ça tombe bien, Alan Wake 2 n’a pas de boite non plus :p). Reste maintenant à aborder un problème épineux au centre de cet enchevêtrement créatif, littéralement l’éléphant au milieu de la pièce dont le visage ne cesse de hanter son créateur infortuné et le joueur confus devant tant de nombrilisme intellectuel, il s’agit bien sûr de la qualité concrète de l’écriture derrière tout le bordel capillotracté qui sert de cache misère à ces dialogues hasardeux et parfois d’un fort mauvais goût. C’est malheureusement là toute la limite qui caractérise Sam Lake depuis Alan Wake premier du nom justement ; Sam Lake est un bonhomme éminemment sympathique mais il a une fâcheuse tendance à être trop ambitieux pour son propre bien (voir clairement prétentieux dans le cas présent) et il s’enlise constamment dans des récits inutilement alambiqués qui étouffent la moindre portée émotionnelle pour le joueur et surtout le développement de ses personnages, bazardés constamment d’un bout à l’autre de ces délires temporels sans jamais avoir le temps de souffler pour affirmer un peu leur personnalité propre.
Alan Wake en est lui-même un exemple flagrant dans le cadre de ce second volet : alors que son emprisonnement dans l’Antre Noir aurait pu être l’occasion d’une mise en abyme terrifiante sur sa frustration liée à l’écriture, les cauchemars prennent ici clairement la forme d’un terrain d’expérimentations où Remedy est davantage intéressé par fournir des ruptures de ton en convoyant tous les médiums créatifs existants que d’explorer réellement la psyché tourmentée de son héros maudit.
Même registre du côté de Saga qui se voit pourtant affublée d’une intéressante prise de conscience d’être le personnage central d’une histoire qu’elle n’a pas voulue ; intéressante manière de mettre en évidence l’emprisonnement d’un personnage interactif dans le cadre d’un jeu vidéo…Mais non, nous sommes encore en présence d’une énième Mary Sue des années 2000 qui va parvenir à lutter face à l’adversité grâce à un mystérieux don hérité de ses ancêtres parce que ta gueule, c’est magique ; Sam Lake n’étant visiblement pas plus doué que nombre de ses confrères lorsqu’il s’agit de dépeindre un personnage féminin doté d’une vraie force de caractère (encore un point sur lequel Baldur’s Gate 3 domine toute la concurrence en cette année 2023).
Parce que qu’est ce qui importe réellement dans Alan Wake 2 ? Les personnages ? Ou l’idolâtrie autour d’un concepteur qui s’amuse à mettre en scène sa propre création ? Difficile de ne pas croire la seconde option quand le visage de Sam Lake apparaît littéralement toutes les minutes dans le cadre de cet Alan Wake 2, telles des réminiscences de l’ancienne gloire du studio (Max Payne est un personnage omniprésent et le fil conducteur de l’intrigue, bien qu’il ne soit pas nommé explicitement comme tel) ou l’égo d’un créateur englué dans ces intrigues rocambolesques sans que personne n’ose lui avouer en interne qu’il s’est déjà perdu en chemin. Kojima et David Cage sont pourtant réputés pour être les plus gros melons de l’industrie mais je doute qu’ils se seraient un jour accordés une telle exposition au sein de leur création ; Sam Lake a visiblement droit à un laissez-passer général puisque les joueurs crieront aisément au génie pour quelques ruptures de ton inattendues quand l’ensemble lorgne dangereusement vers la rétrospective d’un auteur trop enclin à apprécier son reflet déformé dans un miroir.
On peut s’en agacer comme on peut s’en amuser et à dire vrai, je ne suis pas totalement réfractaire à la démarche ; un peu comme un sourire de connivence quand Xavier Dolan nous refait pour la dixième fois le coup de l’homosexuel frustré face à une mère étouffante ; les vieilles marottes sont parfois attachantes mais dans le cadre d’Alan Wake 2, Sam Lake tourne autant en rond que son propos, le véritable artiste piégé dans une boucle c’est lui et il est regrettable que personne ne s’insurge sur ses répétitions pour mieux l’aider à aller de l’avant.
Ce n'est pas une spirale...C'est un tourbillon!
Alors au final, quelle impression prédomine dans les émotions contrastées véhiculées par cet Alan Wake, deuxième du nom ? Une œuvre indéniablement généreuse mais trop longue pour son propre bien, une œuvre qui se veut audacieuse d’un côté et convenue de l’autre, une œuvre prétentieuse dans sa narration et pourtant efficace quand l’écriture est directement intégrée au cœur de l’action ; une œuvre malgré tout oui et pas une énième suite opportuniste qui se contente de suivre le sillage tracé par son prédécesseur, une œuvre qui ne se résume plus seulement à un pastiche d’un romancier célèbre (et plus talentueux) et une œuvre en ce sens bien supérieure à son modèle.
Mais je peine malgré tout à comprendre les critiques élogieuses à l’égard de cet Alan Wake 2 dont la vacuité me semble assez évidente, dès lors qu’on a gratté un peu sa surface arrogante : l’intrigue est bien trop souvent un pastiche laborieux de Twin Peaks jusque dans sa thématique de la dualité monstrueuse, le scénario se permet de réitérer avec un calme éhonté le même rebondissement que Silent Hill 2 (avec de surcroît l’usage d’une vidéo) et le dénouement nous confronte à l’inutilité même des actions opérées au cœur de cette suite en renouant, telle une boucle, avec la même tournure de phrase qui concluait son prédécesseur.
Bref, une fois encore, j’ai le sentiment qu’il suffit qu’un jeu étale inutilement sa confiture sur une trop grande tartine pour susciter l’engouement général, même quand il peine à l’évidence à renouveler son propos ou proposer une évolution conséquente de son gameplay (à l’image d’un certain The Last Of Us : Part 2 qui rentre aisément dans une telle catégorie ; après au demeurant, moi j’adore Red Dead Redemption 2 qu’on pourrait aussi facilement inclure dans cette optique mais on ne va pas polémiquer plus longtemps).
Une suite déjà supérieure à son modèle bien trop timoré en son temps mais ni une grande étape pour les jeux d’horreur ni une affirmation éclatante d’un jeu auteur au sein de l’industrie.
Juste un grand pas pour Remedy mais un petit pas pour le jeu vidéo, dans son ensemble.
Mais nul doute que Sam Lake, lui, doit se sentir sur un petit nuage. ^^