Contextualisation
Max Payne, voilà le mètre étalon que Remedy s’était fixé il y a une vingtaine d’années, sans jamais réussir à atteindre ces sommets. C’est du moins le constat que j’ai pu tirer en me farcissant Alan Wake premier du nom, jeu assez lambda manette en main et qui misait tout sur sa narration, finalement elle aussi assez basique pour quiconque a déjà lu un Stephen King. Même constat pour Control en 2019, qui, s’il s’avérait bien plus ambitieux au niveau de ses visuels et de son gameplay, et proposait un univers intéressant inspiré de X-Files et de la Fondation SCP, peinait à se rendre réellement marquant faute de finesse dans l’écriture et d’engagement émotionnel du joueur. Pas la panacée donc, mais des jeux qui avaient des ambitions et une patte imparfaite mais distincte. La sortie d’Alan Wake II me laissait donc partiellement indifférent, avec une mentalité de “peut-être un jour dans un abonnement ou à petit prix” dont écopent beaucoup de jeux. Mais l’engouement général, public comme critique, a titillé ma curiosité au plus haut point, et je me suis donc lancé, avec une curiosité non feinte. La promesse d’un jeu somme, tant dans le fond que dans la forme puisque ce n’était pas un secret que le titre serait le premier pas dans un Remedyverse brassant toutes ses productions précédentes. Les tâtonnements hasardeux du studio finlandais avaient-ils enfin abouti sur une œuvre mature, où ambition et réalisation se joignent dans un tout cohérent et emballant?
Introduction
Alan Wake II propose au joueur d’incarner deux personnages : d’un côté l’écrivain éponyme, Alan, et de l’autre une nouvelle venue, Saga, enquêtrice du FBI arrivée dans l’état de Washington avec son partenaire (Sam Lake, aka le directeur créatif du studio, aka le visage de Max Payne) pour élucider une affaire meurtres occultes. Deux histoires se déroulant en parallèle et entre lesquelles le joueur est libre de jongler sur la majorité du jeu (il y a des goulots narratifs compréhensibles dans une telle construction), et qui, si elles proposent un cœur de gameplay similaire, possèdent assez de caractéristiques uniques pour renouveler l’intérêt au cours de la grosse vingtaine d’heures du soft.
Sagacité
Saga se rapproche plus de ce qu’on pouvait avoir dans l’opus de 2010, avec néanmoins des zones plus ouvertes et revisitables, sa partie consistant en l’arpentage des bourgades et forêts environnantes de Cauldron Lake, théâtre de l’intrigue déjà au centre du premier jeu. On crapahute donc dans les différents terrains proposés, l’exploration s'entremêlant de phases de tir qui sont sans doute le plus gros bémol du jeu tant elles paraissent molles et répétitives, notamment en comparaison de celles de Control. S’ajoute à cela un système de palais mental, dans lequel on va relier les différents éléments de notre enquête, faire du profiling paranormal et étudier les différents collectables qu’on aura ramassé. Si l’idée est alléchante sur le papier, notre capacité d’action (agency pour les anglophones, c’est plus parlant) est en réalité limitée à faire du glisser-déposer des différents éléments que l’on glanera par le scénario et les objets ramassés dans nos pérégrinations. Certes, il y a un côté satisfaisant à voir notre héroïne arriver à des conclusions logiques, mais le processus automatique bride largement le potentiel d’un tel système.
Alan Wake, l’écrivain, est quant à lui enfermé dans un univers parallèle où le temps et l’espace sont régis de manière chaotique, un univers reconstituant un New-York cauchemardesque qui n’hésitera pas à faire des clins d’œil à Max Payne (à défaut de le citer directement, les droits étant à ce moment détenus par Rockstar mais depuis rachetés). S’y déplacer sera bien plus compliqué, certaines portes ou échelles nous téléportant à des endroits impossibles tant l’aire de jeu est construite comme un espace liminal. En sus, les ennemis y seront plus nombreux, plus roublards, et surtout infinis. Contrairement au pan narratif de Saga plus orienté action, celui d’Alan vous demandera d’esquiver la plupart des affrontements pour vous enfoncer plus avant dans les ténèbres (et puisque mécaniquement les ressources y sont plus rares). Le gimmick ici est celui de changer des éléments du décor en réécrivant le roman meta qui régit nos aventures, et ce à la volée, avec trois à quatre variantes par salles clés. Plus intéressant que l’élément d’enquête de Saga, cette petite trouvaille permet de changer notre façon d’explorer déjà mise à mal par les éléments citées plus tôt. Le New-York fantasmé d’Alan est sans doute la partie la plus originale d’un point de vue purement ludique.
Si l’ensemble se tient plutôt bien, on reste dans les carcans traditionnels du genre TPS pour tout ce qui a trait à la jouabilité. Rien de révolutionnaire, mais le tout est bien ficelé, sans bug, et doté d’un sens du rythme et de variété dans les situations, empêchant toute routine de s’installer. Mais là n’est pas le fort d’Alan Wake II.
It’s not a loop…
Comme mentionné précédemment, Remedy a toujours brassé des influences variées, qu’elles soient littéraires (King, Lovecraft, le découpage en chapitres…), filmique et sérielles (Carpenter, X-Files, Twin Peaks…), ou issues de la culture Internet (la Fondation SCP, les Backrooms…). Mais jusqu’à présent, le studio d’Espoo n’avait pas réussi à dépasser ses inspirations pour se créer une identité propre. C’est ici chose faite, Alan Wake II assimilant ses maîtres pour créer un tout cohérent, original et fascinant. Le jeu se pose d’emblée comme une œuvre résolument méta, imbriquant les récits les uns dans les autres (emprunt d’Alan Wake premier du nom), amalgamant les médiums (Control), et allant jusqu’à impliquer le réel dans le fictif. Le tout donne un récit complexe qui fait la force du titre. L’écriture est enfin arrivée à maturité, donnant des personnages attachants, semant le trouble dans les certitudes du joueur quant à ce qu’on lui raconte, et mixant toutes ses pistes narratives dans un saut de l’ange qui finalement atterrit avec grâce sur un sol jonché des tentatives difformes précédentes. Un édifice qui va au bout de ses ambitions et ne leur nuit jamais.
Je n’irai pas plus dans le détail, car la surprise est un facteur motivant dans cette aventure, mais si vous avez aimé la scène du labyrinthe dans Control, sachez que Remedy a remis le couvert plus d’une fois pour livrer des moments qui feront date dans l’histoire du médium. Les équipes de Sam Lake n’ont par ailleurs pas oublié d’intégrer des moments plus légers, loufoques, créant un décalage avec les situations pour ainsi relâcher un chouïa la tension.
D’ombre et de lumière
La narration est par ailleurs servie par une immersion constante. Visuellement, le jeu fait des merveilles grâce à son moteur maison, le Northlight Engine, qui ancre définitivement le jeu dans le currentgen. Les environnements traversés sont à couper le souffle, que ce soient les rues sombres et chaotiques d’un New-York en déliquescence ou les rainforests denses de Washington, et marqués par des effets atmosphériques et éclairages tout bonnement bluffants.
La bande-son n’est pas en reste, car si les musiques d’ambiances sont assez discrètes, c’est toute une palanquée de chansons originales, la plupart diégétiques, qui viennent ponctuer l’aventure. Des morceaux de fin de chapitre, certains passant à la radio, et d’autres que je vous laisse le soin de découvrir, qui apportent un cachet supplémentaire à l'œuvre. Le design des effets sonores n’est pas en reste, apportant quelques sueurs froides lors de moments tendus vous rappelant que vous êtes effectivement dans un jeu d’horreur. Et enfin, bien qu’il soit triste d’avoir à le préciser, je n’ai pas eu l’ombre d’un bug sur l’ensemble de l’aventure. Une réussite technique en tous points.
Conclusion
Vous l’aurez compris, Alan Wake II est une pure merveille, effaçant tous les doutes que j’avais pu avoir assez rapidement. Remedy à capitaliser sur ses tentatives bancales de ces quinze dernières années pour livrer une œuvre somme singulière. Si on pourra regretter un certain classicisme dans la gestion des gunfights, il serait malvenu d’occulter le reste de l’oeuvre qui promet un avenir radieux au studio finlandais, parti pour étoffer son univers avec toujours plus d’ambition et de moyens suite au succès retentissant du titre.
Et c’est bien mérité ! Kippis !