Cas difficile que celui de l'élève Alien : Isolation.
[SPOILER]
D'un côté on a la promesse, 100% tenue, de faire honneur à la licence, de traiter enfin les films tels qu'ils sont : des oeuvres adultes, froides, stressantes, atmosphériques. Outre les hommages et emprunts directs, des boucles issues du score de Goldsmith en passant par quelques clins d'oeils appuyés, le jeu parvient à recréer à l'identique l'ambiance du film de Scott. Avec ses machines crasseuses qui fonctionnement mal, son futur low-tech étonnamment crédible, et une fidélité de tous les instants à ce splendide design souvent très européen, Alien : Isolation fait mouche. A la fois hommage et moment narratif clé, le message de Ripley mère a sa fille est à ce titre un frisson délicieux qui rattraperait presque les défauts du jeu. Bref, ils ont tout compris.
Dire que le jeu est une tuerie visuelle, un chef-d'oeuvre d'atmosphère, serait un compliment bien timide. Rarement, de mémoire de joueur maintenant quarantenaire, une telle osmose entre graphismes, travail sonore, décors, effets de lumière et level design aura brillé sur un moniteur (ou une télé, ne soyons pas bégueule). Comme dans le film, chaque pièce paraît avoir son utilité, chaque morceau de mur existe, transpire, suinte. Et fume, beaucoup. Le passage dans le réacteur est une tuerie d'ambiance qui mérite à elle seule de mettre 40 balles dans le produit. Aucun doute, Alien : Isolation est une réelle claque sur ce point, qui fait sans doute 80% de la note.
Ca, c'était pour le bon côté. Le moins bon, lui, s'appelle jeu vidéo. Et là, fatalitas!, Alien : Isolation ne fait simplement pas mieux que la concurrence. C'est un jeu d'infiltration qui nous enfonce chacun des clichés du genre au chausse pied dans la gorge, un cas d'école du game design prévisible et anonyme. Vous avez plein d'armes ? On vous les retire. Vous avez flippé avec un alien ? On vous en colle 3. Vous en avez marre d'ouvrir des portes ? On vous inflige le passage "Die Hard" avec scripts à gogo, sol qui s'écroule et plafond en flammes, comme une totale capitulation face à la difficulté incroyable de la tâche : faire peur, avec un seul et unique alien, et ce sur 10 ou 15 heures de jeu.
Dès qu'il a été annoncé il était clair que le concept d'Alien : Isolation était une gageure que seul un grand, très grand studio (aidé d'un grand, très grand game designer) pouvait relever. Et comme on le craignait, The Creative Assembly a du sortir tous les poncifs du placard afin de copieusement meubler entre ces moments plus inspirés ou l'alien redevient enfin, comme il se doit, le centre de toute discussion.
Comment ne pas soupirer de tristesse de voir des PNJ sans consistance mener notre Ripley fille par le bout du nez au cours de missions Fedex (c'est tout comme) ? Comment ne pas déprime quand le studio nous fait le coup des types avec des flingues, ou sombrer dans les tréfonds de l'ennui face à ces couloirs remplis de putains d'androïdes ? Pour tout dire, à la fin, je les évitait en courant : c'était plus facile, et surtout moins chiant.
Quant à l'alien, si - même en difficile - on parvient assez aisément à en comprendre sa logique, à mettre à jour les failles du système, il reste la star souvent malheureuse de ce trip incroyable aux articulations pleines d'arthrose. Magnifié, starisé, il est lui aussi traité avec la même déférence que tout le matériau d'origine. Quand son comportement n'est pas totalement scripté (les deux dernières missions, nulles), il parvient même à faire flipper, en dépit de réactions parfois surréalistes. On sait que programmer une IA aussi ambitieuse n'est pas à la portée du premier crétin venu, mais entre les moments "je te vois" alors qu'il ne nous voit pas, et les moments "je ne te vois pas" alors que le corps d'Amanda dépasse d'un mètre au-dessus du bureau, la suspension d'incrédulité en prend parfois pour son grade.
La mission était difficile, voir impossible, on le savait. Coller la trouille, la vraie pétoche, pendant toute la durée d'une campagne solo, avec un seul alien pour ennemi, et un terrain de jeu aussi hostile qu'indifférent. C'est donc la plus grosse déception de cet Alien : Isolation : qu'il ne soit finalement qu'un bête jeu d'infiltration comme les autres, avec ces humains armés ou ces robots qui font des rondes, ces phases d'action forcées pendant lesquelles on vous contraint à prendre les armes, ce dosage maladroit de moments "oh my god" et de délicieuses plages de tension. Et puis, quitte à choisir de histoire raconter CETTE hitoire, autant le faire avec de vrais personnages et de vrais enjeux. Mais là encore, Clichéville, le commun, le barbant, le plat.
Alien : Isolation est donc un magnifique voyage, immersif en diable, ultra prenant dans ses meilleurs moments, porté jusqu'à la grâce par une DA, un design (aussi bien visuel que sonore) d'exceptions. Ces types-là sont des brutes pour ce qui est de l'atmosphère, et pour créer des terrains de jeux vivants et crédibles. Côté jeu vidéo, c'est plutôt la tartine côté confiture sur le tapis, et c'est dommage. Alien méritait bien tout ce respect, il méritait sans doute beaucoup plus d'audace.