Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr
Rejeton du classique indé Hotline Miami, dont il propose une sorte d’épure, Ape Out un jeu d’action vu du dessus qui accomplit efficacement son projet : nous donner le contrôle d’un gorille furieux au moment précis où il s’échappe de sa cage et se rebelle contre ses geôliers. Armé seulement de ses poings pour tenter l’évasion, ce dernier ne sera meurtrier qu’au corps à corps : tout le gameplay consistera donc à jaillir sur les ennemis armés de pétoires, avant qu’ils aient le temps de nous aligner à distance.
2 SECONDES CHRONO
Au long de ces 4 actes de 8 niveaux, et autant de variations décoratives (des bureaux d’un immeuble à un port industriel), le titre déploie cette situation de base en de nombreuses variantes en jouant sur ce qui s’apparente à de la pure géométrie en temps compté. Du point de vue de l’espace, le jeu n’est qu’affaire d’angles, de lignes et de segments : angles de vue, lignes de tir dont il faut sortir au plus vite et distances à l’ennemi, qui ne sont jamais aussi sécurisantes que lorsqu’on les réduit au maximum pour mettre l’opposant à portée de nos coups. Dans le cas contraire, s’engage un jeu de déplacements-réflexe pour sortir de la ligne d’exposition et esquiver le tir, qui ne tarde jamais à arriver – on dispose d’à peine plus d’une seconde pour trancher sur ce que l’on doit faire.
Ape Out consiste donc aussi en une dilatation du temps, dans cette intervalle qui va de l’instant où l’on est vu par l’ennemi à celui de son tir. Presque tout le jeu, ou du moins tout son challenge, se niche dans ces minuscules parcelles de temps, qui ne cessent de reposer une même question ludique : doit-on foncer vers l’ennemi ou battre en retraite en cassant sa ligne de tir ? Les situations déclinent cette problématique en une pratique assez fine d’entrée et de sortie de l’action, entre jaillissement courageux hors couverture (qu’il s’agisse d’une porte, d’un container où d’un angle de mur) et fuite en zig-zag entre les balles, les dents serrées jusqu’à la prochaine sortie ; pratique qu’il diversifie à bon rythme en introduisant régulièrement de nouveaux ennemis (snipers à l’acte 2, lance-flamme à l’acte 3…) et variations sur le level-design aléatoire (open-space dangereusement décloisonnés, vides mortels) qui nous invitent sans cesse à des réajustements de tempo et de gestion de l’espace.
LE BRUIT ET LA FUREUR
Il faut dire, pour finir, que sa présentation visuelle et sonore ne manque pas d’élégance, sur un mot d’ordre qui serait « fluidité et énergie » : au sein d’un même acte, les chapitres s’enchaînent sans interruption comme autant d’espaces connectés par des sas, introduits seulement par une titraille en lettres capitales placardées sur tout l’écran. Quant à l’univers visuel, il est entièrement figuré par des aplats sans textures, faisant souvent flirter le jeu avec l’abstraction pure : couleurs sombres pour les murs, surfaces claires pour les sols, que viennent bientôt recouvrir des explosions de peinture rouge sang.
L’habillage sonore communique habilement avec ces tableaux visuels, et contribue à infuser l’ensemble d’une énergie infectieuse, calant ses percussions sur la course de notre gorille, comme si chaque coup de cymbale ou de caisse claire était directement produit par le foulement de ses pattes sur le sol : leur rythmique effrénée, qui évoque un solo de batterie jazzy, est la parfaite expression musicale de l’état de panique éberluée et animale qui pilote le jeu et le nourrit d’une certaine hystérie… tout l’enjeu pour le joueur étant, précisément, de « calmer le jeu », de reprendre la maîtrise de l’espace et du tempo d’une manière qui sera, elle aussi, à improviser à la volée.
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