"Aux ARMS, etc."

Imaginez. Vous êtes un vieux japonais proche de la retraite mais cependant spécialisé dans la réalisation de jeux vidéo infantiles. Certains de vos titres sont considérés à juste titre comme des classiques par un public qui a grandi en jouant à vos jeux. Ils en veulent davantage. Mais... que faut-il leur fournir ? Certes, la compagnie qui vous emploie a su bâtir un empire sur votre dos. Mais... que faut-il leur fournir ? Un simulateur de chien ? Un jeu où de petits monstres colorés vivent au ras du sol dans votre jardin de quelques mètres carrés ? L'aventure improbable d'un petit robot perdu sans son chargeur ? Qui sait. Alors, porté par les vagues mnémoniques de votre cortex cérébral vous vous souvenez d'un distant gadget produit par votre mentor Gunpey Yokoi. C'était une petite pince préhensile dotée d'une poignée mécanique censée permettre de ramasser de menus objets. L'objet n'était pas très efficace – il n'aura jamais d'application professionnelle – mais le concept est solide. Des bras... extensibles. D'un air pensif vous regardez au loin les lumières d'une ville japonaise qui pourrait tout aussi bien être Kyoto. Près de vous repose dans un calme presque zen une tasse d'un fluide pas totalement dissimilaire à l'idée générale que le grand public peut se faire du thé. Vous buvez. Le temps passe imperceptiblement. Des bras... extensibles. Soudain, l'idée vous frappe avec la vivacité d'une petite grenouille rebondissant sur le givre d'une mare hivernale. Ce sont des robots. Ou des humains futuristes. Cela n'a pas d'importance. Et leurs bras sont... extensibles. Ils se battent. Mais, attention, ce n'est pas Punch-Out. Oh que non, c'est tout autre chose. Les combats prennent place dans des arènes. Il faut se déplacer. Esquiver. Calculer. Espérer. Frapper. Oui, des bras extensibles... prennent du temps à arriver sur leurs cibles. C'est pourtant évident. Vous avez votre idée... et elle s'appelle ARMS! Avec un peu de chance les gamins qui vous entourent chez Nintendo sauront en faire quelque chose : vous n'avez jamais été très doué en game design. Trouver les idées ? Bien entendu. Mais les structurer pour faire un jeu ? Vous avez besoin de quelqu'un d'autre. Après tout, il suffit de lire votre curriculum vitae pour s'en rendre compte.

C'est ainsi que j'aime imaginer le processus mental du fameux gentleman japonais que certains ont la bonne idée d'appeler Shigeru Miyamoto. Je n'ai jamais cru a cette étrange théorie soutenue par tant d'autres et qui veut que l'homme coiffé comme Claude François soit soudain pris par de puissantes – presque électriques – crises d'inspiration lors de son bain du soir. Ce n'est pas son style. Il n'est pas de ces créateurs à sortir douze idées en trente secondes pour devoir en jeter une trentaine. Non. Il réfléchit. Il polit. Il améliore. Chaque itération supplémentaire apporte une sensible amélioration de la logique interne du concept. En somme... l'homme est soigneux. Précis. Peut-être même pointilleux. C'est ainsi qu'il est passé – en rapide succession – d'un Jumpman maléfique à un petit mafieux nommé Mario doté d'une sulfateuse pour tomber sur le futur ex-plombier kawaii qu'une génération a appris à tolérer malgré sa dépendance aux champignons. Tel est le puissant cheminement de ses processus cérébraux. Et cette fois-ci... il est tombé sur l'idée étrange et mystérieuse d'affubler divers personnages mignons de bras extensibles. Vous savez, pour la boxe. Par malheur – vu qu'il ne joue que très rarement aux titres issus des autres écuries – il ne s'est pas rendu compte que les charismatiques jeunes gens, ceux aux coupes de cheveux futuristes dont il oublie régulièrement les prénoms, avaient tiré de son idée... un excellent de clone de Virtual On.

Un état de fait, d'ailleurs, qui n'a rien de grave. Je vous sens dubitatifs. C'est normal. Vous n'êtes probablement pas assez imaginatifs pour comprendre précisément à quel point la chute météorique de la compagnie Sega vous a privés d'une longue liste de merveilles modernes potentielles dans ce style étrange et unique qui a fini par couler définitivement la Maison du Hérisson dans notre plan de réalité. Cependant... notre monde n'est pas le seul. L'esthète éveillé aux techniques de méditation transcendantale devine sans problèmes l'existence d'autres univers parallèles. Il sent que sous d'autres latitudes les saveurs délicates de nouvelles version de Panzer Dragoon chatouillent les palais de gourmets vidéoludiques venus d'un autre monde. Il perçoit qu'ailleurs Virtua Tennis est devenu l'e-sport favori d'une génération toute entière. Un monde étrange, cela va sans dire, mais dont le bon goût indéniable aurait su apprécier ARMS. Le jeu avec les bras extensibles. Vous savez, pour la boxe. Ils auraient pu lui pardonner sa similarité étrange avec les mécanismes d'esquive, de tir, et peut-être même de déplacement du fameux Virtual On de Sega. Ils auraient peut-être même apprécié cette étrange manière moderne de jouer qui exige que l'on s'abrutisse à répéter des tâches répétitives pour enfin débloquer le plein potentiel de ses guerriers chamarrés. Je crois que vous, les enfants, vous appelez ça le grinding. Sans-doute en hommage à Jet Grind Radio, un titre décidément très répétitif. Peut-être même que dans cet univers idyllique un titre de cette qualité aurait été présenté là où il ne saurait lasser ses clients par la répétitivité de son propos. Qui sait, ailleurs, peut-être ont-ils encore des salles d'arcade.