Étant donné le succès tonitruant de Baldur's Gate 3, je ne pense pas qu'une autre critique complète louant tous les mérites du jeu (et ses quelques défauts) vienne ajouter grand chose à ce qui a déjà été dit. Mais je voulais revenir sur des points que je trouvais intéressants à souligner sur le titre, en particulier vis à vis des précédentes productions de Larian et de la façon du studio de concevoir son jeu.
La première différence majeure avec les autres jeux de Larian, c'est bien sûr le système de jeu, basé ici sur Donjons et dragons, dont je suis pas toujours hyper fan en jeu vidéo, surtout parce qu'on l'a déjà beaucoup vu. Sur le principe, je préfère le système de points d'action et surtout les pouvoirs des Orginal Sin. Téléporter des ennemis dans la lave, transmuter des surfaces et transformer sa tête en gorgone pour pétrifier les gens, c'était quand même sympa. Mais à défaut d'être hyper original, DnD, c'est quand même hyper riche, et la forte interactivité avec l'environnement qui avait fait une partie de la renommée des OS est toujours bien présente, il y a donc de quoi faire. Pour exploiter tout ce potentiel, Larian reprend la même formule qui avait fait le succès des OS, soit une structure de RPG au final assez classique, mais centrée autour de rencontres et de combats (beaucoup de combats) tous conçus avec attention, un contenu que vous serez aussi encouragé à consommer pour gagner en puissance dans un jeu pouvant se montrer difficile (bien que BG3 m'ai paru bien plus docile que les deux précédents titres du studio, surtout à la fin où on roule dessus). Ça paraît con dit comme ça, mais il y a deux grandes qualités qui se dégagent dans la manière de concevoir de Larian. La première, c'est l'absence de gras. Quand tout a bénéficié du même soin, on a tout de suite plus envie de tout voir. La seconde, c'est que le studio fait en sorte que ça vaille le coup. Il y a toujours l'effort de créer des situations uniques et variées qui iront mettre à profit la créativité du joueur. La richesse d'un système ne représente au final qu'un potentiel, et le gameplay le plus riche finira par être chiant comme la pluie si rien ne vient pousser le joueur à l'exploiter. Le studio l'a bien compris, et à travers un challenge assez relevé et des situations qui se renouvellent sans cesse (en particulier les combats: vous ne ferez jamais face aux mêmes conditions deux fois), chaque outil du joueur pourra être mis à profit, même ce vieux parchemin qui traine au fond d'un sac depuis douze heures, ou ce trou béant qui ne demande qu'à être rempli par un vilain qui marchait trop près du bord. Baldur's Gate 3 est sans doute le jeu le plus riche de Larian à ce niveau, moins au sein des combats qu'en dehors. En causant, s'infiltrant, utilisant des sorts, empilant des caisses ou en poussant des gens dans des trous, y a toujours moyen de s'en sortir ou de cheaser un boss comme un margoulin (beaucoup ont fini dans des trous), et ça, ça fait plaisir.
Un autre point que je trouvais intéressant à souligner est la manière dont le titre pousse le joueur à interagir avec et enfreindre les règles du monde du jeu. Elles sont par ailleurs simplistes: pas tuer, pas voler, pas entrer par effraction, sinon les locaux viendront vous partager leur idée de la justice. Pas de système de faction ou de réputation, par exemple. Mais là ou beaucoup de titres ont tendance à éviter les conséquences si vous agissez dans le cadre d'une quête, c'est ici tout le contraire. Voler est toujours une bonne idée et certaines missions requièrent même que vous enfreignez la loi du patelin. Il est d'ailleurs facile d'arriver dans les camps que vous aurez choisi comme ennemis dans un état neutre, et serez encouragé à assassiner discrètement, voler et trahir sans trop qu'on vous remarque pour prendre l'avantage avant qu'une bataille décisive ne prenne place. A ce système simple mais bien utilisé j'émettrais quand même quelques réserves, les limites étant assez visibles, deux en particulier pour moi. La première, c'est que s'il est interdit de voler, il n'est absolument pas mal vu de poser. Donc si une petite souris vient déposer 40 kilos d'explosifs à côté du gros monstre pas encore hostile, on lui fera pas plus d'histoire que si elle venait livrer une pizza. Le résultat est certes toujours satisfaisant, mais il aurait peut être été plus intéressant de devoir fournir quelques efforts de plus avant de remplir le slip du boss de poudre à canon. La seconde, c'est pousser des gens dans des trous. Comme subtilement évoqué plus haut, j'aime beaucoup ça. Le problème, c'est que le fait de pousser lui-même n'est pas considéré comme une agression, ce sont les dégâts à la réception qui provoque l'hostilité des riverains. Et si on pousse quelqu'un dans un trou sans fond, le jeu ne considéreras pas qu'il ait pris des dégâts. A quelques occasions, vous pourrez donc éliminer toute une bande de clampins qui verront leurs collègues sombrer dans l'abysse en attendant calmement leur tour. Une défaillance amusante, mais une défaillance quand même.
Malgré ces griefs, ça fait plaisir de voir un jeu qui pousse à interagir avec un monde qui répond à vos actions. Après, comme évoqué, le système reste assez simple, et le gros de la réactivité sera gérée par choix narratifs et d'affiliation (assez impressionnant par leur nombre et leur prise en compte, bien gérée sauf dans un acte 3 un peu cassé), mais c'est quand même sympa (j'aimerais un RPG qui se concentre un peu plus sur ce genre d'aspects, mais c'est pas tellement à la mode).
Si, mécaniquement, Baldur's Gate 3 reste donc très proche des OS, la plus grosse évolution vient sans doute de la mise en scène, selon moi pas étrangère au grand succès du titre par rapport aux autres jeux de Larian. Avant, c'était bien écrit, et tout, mais toute l'action était décrite par le narrateur (avec force talent) pendant que les persos restaient plantés en attendant que ça se passe. Ici, on a droit à des cinématiques, qui viennent sans doute marquer une nouvelle étape pour les RPG occidentaux. On a eu les regards dans le blanc des yeux de Fallout, les champs contrechamps de Mass Effect et les persos un peu plus vivants de the Witcher 3, mais c'est ici un niveau au dessus. Déjà, ça bouge bien quand ça parle, mais surtout, chaque scène vient donner corps à vos choix de dialogues. On sort les couteaux, on s'entretue et bien pire encore, on a jamais l'impression que les actions des personnages sont limitées par l'absence de mo-cap qu'on pouvait pas sortir pour chaque occasion. Cela donne aux dialogues un vrai sentiment de vie, d’interactivité et de surprise, où chaque option peut provoquer un résultat très divertissant. Et ça compense fort bien le système de skill check pour les choix de dialogues, que je trouve pas forcément super pertinent pour un jeu vidéo, même si c'est très bien utilisé ici: les actions ont des conséquences directes, les builds de persos sont bien mis en valeur, et j'ai beaucoup aimé que certaines actions, objets ou connaissances vous permette d'outrepasser certains skill check. On retrouve aussi quelques défauts encore synonymes avec le genre, comme les compagnons en background qui font rien ou les limites dans l'animation de votre propre personnage, mais on reste quand même face à une belle avancée dans les dialogues interactifs du style.
Bien sûr, tout cela ne fonctionnerait pas aussi bien si les choix proposés et les situations n'étaient pas soutenus par une écriture digne de ce nom. Cet aspect a déjà été beaucoup discuté, alors je ne vais pas m’étendre et simplement dire que c'est très réussi bien qu'un peu trop dispersé (y a vraiment tout dans DnD), et que le studio profite vraiment de cette nouvelle caméra pour mettre en valeur les personnages, en particulier les compagnons (à un point où pouvoir les choisir comme persos principaux n'a pas vraiment de sens, d'ailleurs).
Les fondations forcément classiques de Baldur's Gate 3 ne portent pas préjudice à ses réussites. Larian a pondu un jeu riche et réactif, offrant une liberté d'action toujours plus grande à un joueur systématiquement encouragé à en tirer profit. Éternel insatisfait que je suis, j'aurais préféré un système de jeu un brin plus original, mais bon, c'est Baldur's Gate, et y a les Original Sin pour ça. Si vous n'y avez pas joué et que vous avez aimé BG3, je ne peux que vous les conseiller. C'est certes un peu moins cinématique, mais tous les qualités sont déjà là (et on peut téléporter des gens dans la lave, c'est presque aussi bien que les pousser dans des trous).