Il va m'être difficile de résumer en quelques lignes mon sentiment à l'égard de ce Baldur's Gate.
Mais ça tombe bien car on a le temps justement; dans Baldur's Gate face à un obstacle récalcitrant, il est bon d'étudier soigneusement ses options car une alternative est souvent à portée de main sans que le joueur s'imagine qu'elle soit concrétisable au premier abord; notre esprit s'est habitué ces dernières années à une structure assez cadenassée de RPG linéaires et scénarisés et il est bon de renouer avec ce délectable sentiment de liberté où l'imagination du joueur semble être la seule limite à une aventure désentravée; une illusion bien évidemment mais une illusion tout de même sacrément tenace et dont l'éclat n'est que rarement terni durant la centaine d'heures nécessaires pour venir à bout de ce périple faramineux.
Une épopée dont l'exigence de mise en scène ne connaît pourtant nulle altération malgré sa longévité invraisemblable; en 2007, Mass Effect avait imposé un nouveau standard de qualité à l'industrie du jeu de rôle : les conversations seraient désormais dynamiques et le champ/contre-champ se banaliserait bien vite dans les productions occidentales alors que les créations Japonaises demeureraient plus traditionalistes en la matière. Une évolution enthousiasmante mais qui entraîna également dans son sillage une simplification rapide du jeu de rôle (dès les suites de Mass Effect) face au soin apporté à l'habillage de ces discussions et l'orientation globale du genre vers le support de la console au lieu de son interface PC originelle : une roue de plus en plus dénuée d'options au détriment de la liste de choix traditionnelle et des résumés de dialogues de plus en plus succincts jusqu'à aboutir au tristement célèbre "sarcasme" de Fallout 4. Pendant plus d'une décennie, il a été évident aux yeux de beaucoup que les RPG choisissaient généralement leur camp entre cette présentation soignée ou une arborescence de possibilités plus prononcée et les précédentes productions de Larian Studios étaient clairement très épurées en ce sens sur la composante visuelle de leurs discussions; pourtant, Baldur's Gate 3 arrive comme une fleur et réussit l'exploit impensable pour ces nombreux prédécesseurs : celui de concilier la richesse interactive des RPG d'antan avec la qualité immersive des RPG d'aujourd'hui, balayant tout le reste de la concurrence avec une désinvolture presque insolente; peut être les bougres ont-ils développés des outils bien plus performants que leurs concurrents ou bien le crunch a-il été à nouveau la friandise préférée durant ses six années de développement mais le résultat demeure sans appel : l'efficacité des conversations demeure imparable alors même qu'il est possible de déclencher ses dialogues à tout moment avec nos compagnons ou les nombreux passants, poursuivant leur vie dans ce vaste de Fantasy. Un véritable tour de force mais c'est également loin d'être le seul.
This War Of Mine
La Fantasy est un genre adéquat pour laisser libre cours à l'imagination de ses concepteurs et sans chercher à renier les inévitables archétypes du genre, l'univers de Baldur's Gate est empreint d'une sincérité que peu ont réussis à égaler avant lui. Il est particulièrement impressionnant à ce titre de constater la personnalité insufflée aux nombreux citoyens de ce monde fictionnel; je ne parle même pas des formidables compagnons qui marqueront les esprits des joueurs au fer rouge ou des remarquables Quest Givers aux motivations diverses mais simplement des gens ordinaires de ces vastes contrées, de ces personnes brisées par des évènements atroces et qui poursuivent malgré tout leur existence avec détermination à l'image de ces réfugiés diablotins que vous croiserez très tôt dans votre périple pour vous émouvoir peut être de les retrouver par hasard au détour d'une ruelle durant le troisième acte. Le monde de Baldur's Gate ne tourne pas simplement autour de votre poire et la structure narrative segmentée en Actes permet judicieusement d'illustrer l'évolution de ces communautés à travers le temps tout en conférant une crédibilité plus tangible à la poursuite de votre périple au fil des semaines. Mais les compagnons, parlons en tout de même, tous magnifiques dans leur lutte acharnée contre une infortune tenace; des êtres écrasés par le poids d'une divinité indifférente à leur sort ou les manigances des puissants de ce monde, ils sont le plus bel éclat de Baldur's Gate 3, le meilleur reflet de vos décisions et je ne saurais que trop vous conseiller en conséquence de créer un personnage original pour profiter pleinement de leur inénarrable compagnie.
Entendons nous bien néanmoins, l'écriture n'est pas toujours d'une finesse remarquable encore plus quand un mastodonte comme The Witcher 3 demeure encore vivace dans nos mémoires sur un terrain relativement similaire; Raphael nous refait le coup du Diable manipulateur mais il est bien moins nuancé et inquiétant que Gaunter de Meuré; la vieille inquiétante nous refait le coup de la sorcière des Marais mais vous ne serez jamais aussi dérangés que face aux Moires de Velen; bref, vous risquez à plusieurs reprises de vous référer à une autre œuvre de Fantasy au détriment de Baldur's Gate 3 mais c'est là que l'importance du choix revient à nouveau sur le devant de la scène et c'est bien une composante essentielle de l'écriture d'un jeu vidéo. Là où le Sorceleur se contentait (brillamment) de nous confronter au dilemme du moindre mal ou de Charybde et Scylla, la structure de Baldur's Gate 3 est celle de toutes les audaces, même quand elle implique d'envoyer chier l'invitation d'un antagoniste, de se mettre durablement à dos un potentiel allié ou de prendre une décision radicale dont les conséquences ne seront pas forcément immédiates; le RolePlay est ici toujours au premier plan et il vous appartient de déterminer l'aiguille morale de votre personnage, largement encline à fluctuer au cours de ses nombreuses péripéties : le jeu est très clairement le RPG valorisant le mieux les exploits héroïques du joueur depuis la gloire lointaine de Bioware mais il n'est pas forcément toujours avisé d'agir en justicier vengeur, d'autant plus lorsque l'ennemi est en surnombre. A ce titre, la difficulté Équilibrée est parfaitement recommandée pour une expérience exigeante, sans être harassante de difficulté, où le challenge des combats pourra très clairement impacter vos choix moraux et vous inciter à faire preuve de davantage discrétion ou de subtilité si nécessaire.
Et alors que le titre peut parfois sembler quelque peu poussif dans son inévitable gestion de l'inventaire et parfois étourdissant dans toutes les possibilités accordées par les sortilèges et autres potions magiques, il est d'une redoutable efficacité en ce qui concerne ses mécaniques de persuasion; l'inclusion du hasard et de l'aléatoire caractéristiques du jeu de rôle papier ne m'avaient jamais trop convaincu jusqu'ici dans le cadre d'un jeu vidéo, qu'il s'agisse d'un jeu aussi célébré que Disco : Elysium ou plus mitigé comme Vampire : Swansong, mais Baldur's Gate 3 est le premier titre dans mon expérience de joueur à reproduire efficacement cette tension inhérente au fameux jet de dès; les inspirations offrent une nouvelle chance au joueur de retenter d'atteindre le sacro-saint chiffre 20 mais elles ne peuvent être cumulées qu'à quatre (ce qui incite à les conserver pour un moment propice ou au contraire les dépenser pour ne pas gaspiller leur accumulation, tout en encourageant également l'exploration), certains objets offrent des avantages bienvenus sur certains types de dialogues et vos compagnons peuvent également influer dans vos chances de réussite; de plus, il ne faut pas oublier que vous pouvez retenter votre chance en incarnant directement l'un de vos compagnons avec ses attributs propres comme l'intimidation dans le cadre de Karlach; oh et puis, c'est vrai qu'on peut ranimer les morts pour les interroger dans ce jeu? Bref, une fois encore, l'imagination est le maître mot. ;)
Farewell, old friend
Une fois n'est pas coutume, je vais me permettre d'émettre quelques écueils en conclusion de cette critique; les quelques réserves qui empêchent ce titre d'atteindre mon Top 10 / Panthéon de mes jeux préférés (il a déjà durablement sa place dans celui des RPG):
-Comme je le suggérais plus tôt, j'ai choisi d'incarner Astérion pour cette première aventure, principalement pour la perspective alléchante d'incarner un vampire alors qu'il était impossible d'en façonner un de toutes pièces avec la création de personnages. Mais cela aurait justement dû me mettre la puce à l'oreille : le jeu n'offre malheureusement qu'un RolePlay assez limité dans la peau d'un prédateur aux dents longues; aucune option de dialogues lié au vampirisme, aucune gestion de la soif de sang au cours de l'aventure et de manière globale, je ne conseillerais clairement pas cette option pour les nostalgiques de Vampire : la Mascarade, la présence des inquiétants séducteurs étant largement en retrait au cours de ce périple titanesque, même en comparaison d'un Elder's Scrolls. Et au demeurant, Astérion est un personnage extrêmement apprécié par la communauté, notamment pour son Voice Acting exceptionnel, donc il est sans doute préférable de le garder en tant que compagnon. Sachez néanmoins qu'il offre un profil intéressant pour les joueurs avides de discrétion et de persuasion (deux domaines dans lesquels le jeu excelle), ce qui explique sa relative mise en avant par rapport à ses confrères même s'il ne sera pas forcément votre atout principal durant les combats.
-Le jeu instaure un cycle assez étonnant de retour au campement une fois la nuit tombée afin de récupérer des forces : il fonctionne très bien en matière d'équilibrage global et de routine familière mais l'impossibilité de visiter les zones de jeu dans une ambiance nocturne est tout de même regrettable pour un titre aussi immersif; clairement la manière dont un Baldur's Gate 4 pourrait se distinguer à ce sujet. En contrepartie, le campement recèle de nombreux dialogues marquants qui ponctuent agréablement le quotidien paisible de ces soirées, sans atteindre pour autant la virtuosité d'un Red Dead Redemption 2 sur ce même principe.
-Le titre n'échappe malheureusement pas à la malédiction du troisième acte avec un certain essoufflement de sa formule à ce stade; j'ai notamment été confronté à une étonnante récurrence des combats en comparaison de mes péripéties précédentes mais cela résultait peut être de mes choix ou de l'ordre dans lequel j'ai choisi d'accomplir les quêtes (le jeu étant toujours d'une grande flexibilité en la matière).
-Le titre n'est, hélas, pas exempt de quelques bugs persistants et durant ma partie, le blocage de mes compagnons face à un précipice (au lieu de me suivre en sautant à leur tour) m'a occasionné quelques énervements lorsqu'un combat a débuté sans leur présence, vu qu'ils restaient plantés comme des cons à regarder le vide en arrière. :p
Bref, quelques complaintes de râleurs invétérés qui ne sont que quelques gouttes dans un océan de magnificence créative. Baldur's Gate 3 est de la trempe de ces jeux exceptionnels dont on se dit qu'ils représentent des anomalies au sein de leur médium; une aventure qui concilie autant l'intime que le spectaculaire, la grande épopée que le drame personnel; ces titres où le joueur se questionne longuement sur la pertinence de ses choix car il ne regrette en rien de consacrer autant de temps à un monde fictionnel.
Une œuvre qui, plus important que tout, stimulera enfin votre imaginaire.