Je soupire, parce que ça va être long.
Joueur vétéran de CRPGs, j'ai à peu près tout fait dans le genre. Baldur's Gate 1 et 2, Icewind Dale, Neverwinter Nights, Planetscape, Fallout 1 & 2, Pillars, Divinity, Tyranny, les deux Pathfinders (Wrath est une masterclass), bref. Comme tout le monde, j'attendais BG3 avec impatience. Après tout, ça ne pouvait qu'être énorme : une licence cultissime du cRPG, avec le talent de Larian qui nous a pondu l'excellent Divinity Original Sin 2 voilà quelques années. Et le jeu sort, sous les tombereaux d'applaudissements, tout le monde sursaute, tressaille, explique que le jeu est légendaire.
Du coup, moi - sceptique maladif - j'évite de m'embarquer dans la hype. Et j'y joue quelques mois après sa sortie. Le jeu mérite t-il toutes les louanges qui lui tombent dessus ? Eh bien, je vais être ce casse-couille répondant par un "Oui, MAIS".
Si vous voulez une critique positive qui pointe les nombreuses qualités du jeu sans se laisser aveugler par la hype ou le plaisir de jeu au point de ne plus voir les défauts, vous êtes bien tombé.
Parce que BG3 EST légendaire, sur beaucoup de points. Déjà, le machin a une gueule, des cinématiques, et des animations qui sont juste folles pour le genre du CRPG. C'était impensable pour moi de voir ça dans un RPG pur et dur. Mass Effect par exemple, offrait une expérience assez cinématique, mais Mass Effect est un action-RPG. Là, tu fais largement plus ce que tu veux comparé à Mass Effect, et il y a bien plus de PNJ à qui parler. Le motion-capture fait un bon taff pour donner vie aux personnages. Des personnages d'ailleurs, dont le design est globalement impeccable, surtout les compagnons. Je suis pas fan de tous leurs designs, mais j'évite d'être trop subjectif.
Les décors des trois actes, quant à eux, sont... ben, impeccables aussi, en fait, je n'ai rien d'autre à dire. Surtout la fameuse ville qui a donné son nom à cette saga, qui est ab-so-lument magnifique. Le jeu est sublime pour le genre, c'est tout. J'épilogue bien plus longtemps sur les points négatifs des jeux que leurs points positifs, mais quand un point est nickel, tu veux dire quoi de plus ? Si, dans de rares cas, les personnages ont des expressions, ou des gestes un peu erratiques ou étranges, mais c'est vraiment pas plus choquant que dans d'autres jeux.
Mais les krrrrRRrrafismes, à la limite, dans un CRPG, on s'en balek la nouille. C'est un bonus, quoi.
Passons au gameplay hors dialogues et moments de RP, et bordel il y a rien à faire, c'est une masterclass aussi. Déjà, la création de personnage. Des classes que tu peux build de plusieurs façons, avec sous-classes, sachant que tu peux mixer tout ce bazar, combiné à des dons variés tout droit tirés de D&D 5E, les theory-crafters peuvent s'arracher un peu les cheveux dessus. Plein de races, la personnalisation de ton personnage est pas forcément la plus poussée du monde mais est quand même très très satisfaisante. Une fois en jeu, tu commences avec une myriade d'actions de base, comme sauter, te faufiler, aider quelqu'un, qui fournissent une bonne base pour évoluer dans le monde du jeu. La barre de raccourcis est assez claire et tu peux même organiser ta propre barre de raccourcis si celle du jeu de base te casse les couilles (je conseille pour ceux qui vont jouer des casters comme Magicien.)
Le jeu a une interactivité folle. Tu peux attaquer un pont sur lequel se tient un ennemi, et cet ennemi prendra des dégâts de chute en tombant, tu peux créer des surfaces comme dans Divinity, tu peux faire tomber des choses sur les ennemis, tu peux jeter n'importe quel objet... Bref. Beaucoup de possibilités, pas infinies, mais beaucoup. Si t'ajoutes à ça les possibilités ajoutées par diverses manœuvres martiales (si vous jouez Maître de Guerre vous en avez PLEIN), pour étourdir, désarmer l'ennemi; et les possibilités ajoutées par les sortilèges, t'obtiens des combats où tu peux être plutôt créatif. Les combats sont bien rythmés, il y a pas trop de combats ni pas assez. Il y a peu de "combats poubelle" qui sont là pour rien où vous écrasez l'opposition et il ne se passe rien d'intéressant. Et le fait que les personnages avec la même initiative puissent jouer simultanément dans le même tour est une idée merveilleuse qui fluidifie les combats. Certains combats sont même de véritables puzzles, qui vont demander une préparation ou une stratégie spécifique.
Fidèle à la tradition et à son nom, votre serviteur a joué un nécromancien, et c'était plutôt fun. Bon, D&D oblige, faut attendre QUINZE ANS avant de pouvoir réanimer le moindre mort-vivant, mais ça c'est pas la faute de BG3, c'est la faute de D&D. En tout cas, c'était plus fun que dans DoS 2. Parce que DoS 2 vanilla, la nécromancie était... décevante. Très peu d'invocations, une en fait.
Bon, le gros morceau : les dialogues, les compétences, le roleplay, quoi. Premier point positif, les compétences sont constamment mises à l'épreuve. Et globalement, le jeu évite globalement l'écueil où t'as des compétences qui ne servent jamais. T'as à manger pour tout le monde, et tous les types de classes peuvent briller à différents moments... à part si l'aléatoire vous baise la gueule et que vos jets de dés sont à chier, mais ça personne n'y peut rien. (La seule exception c'est Acrobaties, qui honnêtement sert... très peu.)
Et ce, attention, même pendant les dialogues ! BG3 fera des tests passifs de Perception, d'Investigation, de Constitution, de n'importe quoi lorsque votre personnage peut détecter, deviner, ou résister à quelque chose. Et évidemment, des actions actives sont présentes, vous pourrez intimider, mentir, persuader, le trio classique, mais vous pourrez aussi frapper des PNJ, les voler, bref, plein de trucs. Le jeu et les PNJ réagissent en permanence à votre race, votre classe.. Tout ça, c'est EXCELLENT, c'est vraiment le genre de truc que je veux voir dans un RPG.
MAIS. (Là, on arrive au mais. Parce que votre serviteur, il fait partie de ces salauds qui jouent des personnages à la moralité douteuse. Je suis pas là pour être le héros et déménager avec Ombrecoeur dans une maison avec deux enfants et un labrador !)
Mais, parce qu'il y a aussi d'autres choses que j'aime voir dans un RPG. A savoir : différentes voies. Et différentes voies intéressantes, qui offrent chacune un contenu à peu près égal. Mais dans BG3, ce n'est pas le cas. Oh, t'as différentes voies, c'est sûr. Mais une te récompense, est moralement correcte, te file de l'équipement, et des personnages qui t'offriront des quêtes plus tard. L'autre te laisse un jeu plus vide, avec moins de loot, et moins de personnages, et RIEN pour compenser.
En fait, je vais mettre les pieds dans le plat : la voie méchante est très peu satisfaisante et peu travaillée. Et surtout, je me demande si pour Larian, Chaotique Mauvais ne serait pas le seul alignement mauvais. La plupart des choix mauvais se résument à tuer des gens pour le lulz, par sadisme, et 90% du temps, ça ne te rapporte rien. Très honnêtement, pour quelqu'un qui aime jouer un mal rationnel, je me suis en fait retrouvé à faire des choix gentils 80% du temps tout en étant le connard occasionnel. Et ça, ce n'est pas satisfaisant. Jouer Dark Urge n'aide pas vraiment d'ailleurs : soit vous succombez à vos pulsions et être l'incarnation même du Chaotique Mauvais, soit vous résistez... mais le jeu vous traite ultimement comme un héros à ce moment-là.
Et le plus gros problème, c'est le manque CRUEL de contenu si tu prends la voie mauvaise. Je détaille en spoil :
Genre, allez, le plus évident, les gobelins et le camp de réfugiés. Eh ben, si vous finissez l'acte 1 du côté du camp de réfugiés, boum, Acte 2 et 3, vous avez plein de PNJ que vous pourrez rencontrer par la suite, avec des quêtes, et des marchands qui ont des objets uniques. Mais soyons fous, et imaginons que vous ayez l'idée de vous liguer avec les gobelins (ce qui est une idée douteuse même pour un personnage mauvais. Mais mettons : je pourrais prendre le contrôle du culte de l'intérieur.) Eh ben, cool, tu vas buter plein de PNJ que tu ne rencontreras pas plus tard, tu vas rater leurs quêtes, tu vas rater du loot et plein de trucs. Mais le jeu a sûrement un truc pour compenser la mort des Tieffelins, non ? Euh... ouais. Un compagnon, Minthara. Mais en fait non : parce que depuis un patch récent, le compagnon tu peux quand même l'avoir plus tard si tu te mets du côté réfugiés et que tu l'assommes. Du coup, quel intérêt de prendre la voie "mauvaise" ? Ouais, vous avez deviné : AUCUN. A part eheheh j'ai aidé les méchants. Pire, tu perds trois compagnons, Wyll, Karlach, Halsin et potentiellement QUATRE si tu persuades pas Gale de rester ! Pareil pour l'Acte 2. En fait, le jeu semble t'offrir une voie mauvaise où tu peux intégrer le culte de l'Absolue pour l'usurper, mais ça n'aboutit sur rien, en réalité. La fin maléfique, tu peux la prendre même si t'as joué full gentil jusque là. Jouer mauvais, tu finis trahi ou seul, avec un jeu juste plus vide, avec moins de contenu. Et Gortash, pauvre Gortash. J'aime beaucoup Gortash, sa façon de voir les choses était similaire à mon personnage. Mais même si tu t'allies avec lui (et son alliance est sincère, il l'honore ! Ca c'est du Loyal Mauvais qui loyalise), ben pouf, le scénario le dégage en un rien de temps, parce que le scénario veut qu'il meure. J'ai eu la sale impression que BG3 me punissait constamment pour ne pas être un paladin du bien. Et BG3 te punit constamment pour ne pas être un paladin du bien parce que BG3, je retombe sur mes pieds, t'offre beaucoup trop de choix mauvais consistant simplement à tuer des gens juste pour tuer des gens (et la Dark Urge n'aide clairement pas), ou rejoindre des gens méchants parce qu'ils sont méchants même si c'est contre tes intérêts objectifs. A contrario, Pathfinder : Wrath of the Righteous te fournit des voies mauvaises (et neutres, et bonnes) intéressantes, parce que ces voies t'offrent du pouvoir, des objets, et Pathfinder te permet de jouer un mal plus intelligent, un mal civilisé. Baldur's Gate 3 ... un peu, vite fait, mais pas trop, et c'est un de ses plus gros défauts. Je ne vais même pas parler de Tyranny, sur ce point, ce jeu est - véritablement - insurpassé.
Bref, BG3 souffre quelque peu d'une écriture bancale qui limite parfois sérieusement les possibilités de roleplay, parce que les nuances morales que te propose le jeu sont... limitées et se résument souvent à "Héros du monde entier" ou "Enculé de psychopathe", et c'est tout. Malgré tout, t'as quelques pépites et choix qui restent intéressants même quand tu prends le "mauvais" choix, je pense à Astarion par exemple, qui devient quasiment un nouveau personnage, mais je ne vais pas m'étendre dessus. Malheureusement, c'est pas la majorité du genre, et j'ai pas tellement pris mon pied. T'as même pas d'épilogue si tu prends la fin maléfique, alors qu'ils pourraient te demander ce que tu vas faire de tout ce pouvoir. Ce serait un bon moment de roleplay. Meh. Tant pis. Ce sera peut-être pour une Definitive Edition.
Ai-je oublié quelque chose ? Ah, pour retourner au positif, les musiques. L'OST est un banger absolu, tout le monde va vous marteler les oreilles à propos du thème de Raphaël mais la réalité, c'est que la moitié des musiques du jeu mettent une bonne cartouche à tous les jeux sortis la même année (et le thème de Raphaël est pas la meilleure à mes yeux). Elles sont toutes de qualité, même si certaines mélodies tendent à revenir un peu trop, à la Divinity Original Sin 2 qui te spammait un peu trop son thème principal, mais il y a peu de chances de s'en lasser.
Le scénario est globalement OK, c'est pas mauvais ni vraiment zinzin, la quête principale est pas forcément la plus palpitante jamais vue - j'ai largement préféré les intrigues secondaires, plus intimistes, personnelles, humaines - mais elle fait honnêtement son taff. Tout est globalement bien expliqué niveau lore, donc même les néophytes de D&D peuvent en profiter et comprendre ce qu'il se passe, et il y a quelques révélations bien senties.
Dernier point de cette critique, un peu négatif, qui retire un second point : le manque de finition. Ca rejoint un peu ma critique sur le manque cruel de contenu pour la voie mauvaise. Par exemple, Minthara a encore des dialogues qui déconnent, et elle mentionne des événements... qui ne se sont pas encore produits. L'optimisation est pas forcément folle à certains lieux. Quelques bugs où je suis coincé et je ne peux pas bouger sans réelle raison, et obligé de redémarrer le jeu. Bref. Des choses qui, je pense, seront sans doute corrigées par Larian, ils ont généralement un bon suivi des jeux qu'ils publient. Et oui, je comprends, à un moment ils devaient bien sortir leur jeu de l'early access blabla, mais moi je juge le produit froidement.
Petite parenthèse sur le multijoueur : il est bien géré, pas de souci, mais le problème c'est que les compagnons font une partie de l'intérêt du jeu. Et qui dit plusieurs joueurs dit des compagnons en moins avec vous, donc... c'est moins intéressant. Si vous êtes 4, vous n'aurez même pas de compagnons avec vous, donc pas de dialogues avec eux hors-camp, etc... Gardez-ça à l'esprit ! Jouer avec ses amis peut-être amusant, mais on perd un peu en immersion et en interactions avec les PNJ en général. Une solution pour conserver l'intérêt des compagnons est de les jouer directement, puisque BG3 vous propose de JOUER vos compagnons, à la manière de DoS2 avec ses personnages Origines. Toutefois, vous ne pouvez pas les personnaliser.
Pour conclure, BG3 c'est un plat succulent, mangez-en, même si la garniture est pas ouf à certains endroits et que ce sera pas forcément du goût de tout le monde.
Certains vont haïr ce jeu, on sait pas trop pourquoi, probablement par haine du mainstream, je sais pas. J'ai vu des critiques mentionnant une interface bordélique alors qu'elle est largement plus claire que ne l'était celle de BG1 et 2. J'ai vu des gens sur Twitter critiquer le jeu "Il y a du cul partout" alors que franchement c'est dosé, ils n'abusent pas du tout. J'ai vu des gens dire que le combat tour par tour c'est pas intéressant et je me demande pourquoi ils jouent à des RPG en premier lieu cette bande de glands, faut retourner sur Skyrim à ce stade. J'ai vu des gens dire que les compagnons étaient nuls, parce qu'évidemment les compagnons de BG1 et BG2 étaient des merveilles d'écriture (non pas du tout).
D'autres vont dire que c'est le meilleur RPG de l'univers, que waaah il y a masse de choix, et cette seconde affirmation est - généralement - vraie. Il y a même des dialogues créés pour des situations trèèès spécifiques qui n'arriveront qu'à 0.1% des joueurs. Problème, c'est bien pour faire des vidéos Youtube "CES DIALOGUES QU'ON DECOUVRE SIX MOIS APRES LA SORTIE DU JEU", mais à côté de ça la voie méchante est vide, n'offre rien de spécial et a peu d'intérêt. Pas de marchands exclusifs, peu de loot, peu de quêtes, pas de companion exclusif. Et c'est pas la possibilité de pouvoir fumer un écureuil d'un coup de pied gratuit que ça change ce fait. Le pire, c'est que Larian a tout à disposition pour faire une voie méchante intéressante, il suffit de remplacer les tieffelins par les gobelins ou les cultistes de l'Absolue. Leur pitch de base "Ok, la voie méchante c'est d'usurper le culte de l'Absolue" est BON. Mais ils capitalisent pas dessus ! Il y a presque pas de contenu pour ça. Tu finis quand même par confronter le culte frontalement et le jeu te ramène de force sur la voie gentille de toute façon. C'est un... gros souci gênant pour "le plus grand RPG de tous les temps", quand même. Surtout qu'ils nous ont hypé la voie méchante pendant un petit bout de temps pendant l'early access.
Du coup, 8/10, un point en moins pour le manque de finition, un point en moins pour le manque flagrant de contenu pour la voie mauvaise (juste un point parce que c'est spécifique, 90% des joueurs jouent de purs héros et ne font pas face à ce défaut.) TOUT le reste est excellent, bien au-delà de la moyenne de ce que la plupart des RPG parviennent à accomplir. J'espère que le manque de finition sera fignolé avec une Definitive Edition ou les patchs à venir, qui sait, peut-être qu'ils vont m'arracher un 9/10 les enfoirés. Sur ce, bon jeu à vous et faites gaffe à Astarion parce que ce salaud a un charme irrésistible.