Nombreux sont ceux qui ont accusé Beyond de ne pas être un jeu, de n'être qu'un film "interactif", à l'instar de Heavy Rain, grand frère spirituel et tout aussi décrié à l'époque. Seulement, Beyond est très différent de ce dernier, et ne réussit qu'à prendre que les mauvais côtés des deux médias dont il est tiré : c'est un film bien trop long, et lent, et un jeu trop facile et dont les interactions sont presque inutiles.
Qu'est ce qui permettait à Heavy Rain de rester captivant, malgré ses nombreuses cinématiques ? Deux choses : l'interaction et le scénario. Okay, celui-ci n'était pas brillant, mais il réussissait quand même à instaurer un certain suspense, et surtout une pression énorme pour le joueur, qui pouvait échouer sa quête en ratant des séquences. Et on en arrive à l'interaction : pour éviter de manquer des indices, ou de laisser un personnage mourir (ce qui peut arriver plusieurs fois dans HR), il fallait rester concentré et appliqué. Et Beyond a fait exactement l'inverse : on n'incarne qu'un seul personnage, qui ne peut jamais mourir, et le scénario est une sorte de quête spirituelle, entrecoupée de scènes d'action hollywoodiennes et de banalités du quotidien d'une jeune adolescente en crise. Du coup, pas d'enjeux, le tout est extrêmement décousu et la narration éclatée (qui est en soi une bonne idée, je développerai plus loin) ne permet jamais de se sentir impliqué dans une quelconque quête. Plus de pression, plus de suspense, juste en fait, le récit de la vie d'une jeune fille.
Et puisque David Cage est opposé au concept de Game Over, le joueur ne peut jamais mourir, et peut donc se permettre de rater les séquences de "jeu", sans que le jeu ne sanctionne réellement le joueur. Afin de rendre le jeu plus accessible à un plus grand nombre, Cage a aussi décidé de prendre les joueurs pour des enfants regardant un Dora l'exploratrice : Jodie se pose des questions tout haut "Mais comment sortir d'ici ?", et la caméra bienfaisante de Cage nous montre une porte accessible juste sur le chemin ! Ce qui entraine une linéarité jamais vue dans un jeu vidéo auparavant : même quand on semble être dans un environnement libre, la caméra guide les pas de Jodie, de sorte qu'on peut plus ou moins toujours maintenir le joystick vers l'avant sans crainte de se perdre. Du coup, exit l'exploration ou les niveaux un peu ouverts.
Le comble, c'est cette mission en Afrique, qui cristallise parfaitement tous les défauts du jeu : on reprend un gameplay "populaire" (Cage est un grand fan de Call of Duty), on le simplifie à l'extrême en affichant en grand à l'écran les quelques touches à enclencher au moment précis où il le faut, on réduit le level design à des couloirs, au sens littéral (et à un niveau pire que COD), on impose une caméra qui ne permet pas de toute façon de bien voir le reste du niveau, et concrètement, on maintient le stick vers l'avant en tapotant sur quelques touches à l'écran, pour faire des assassinats ou acrobaties. Ça c'est au niveau du gameplay. Maintenant, cette séquence parvient également à être ridicule d'un point du vue cinématographique/scénaristique, tant elle est convenue ("la guerre c'est mal, je tue des gens, et après je me rends compte que derrière chaque soldat, il y a aussi un homme, WAW" ou "on m'a manipulé, la CIA n'est pas une agence de bienfaisance dans le monde, OMG") et inutilement longue. C'est une séquence d'action ratée, elle n'apporte rien au scénario global (enfin si, Jodie comprend que la CIA ce n'est pas bien) et elle dure une demi-heure !
Même les bonnes idées, comme la présence de Aiden, l'esprit qui habite Jodie, finissent par tourner en rond et ennuyer (surtout que la relation Jodie/Hayden est prévisible elle aussi). Au début, on trouve ça intéressant de pouvoir voler comme un esprit, et casser des trucs, mais au final, on en arrive à faire tout le temps la même chose : enfoncer une porte, étouffer un garde, faire sonner le téléphone pour éveiller l'attention. Le tout répété ad nauseam. Le pire dans tout cela, c'est que Cage ne maitrise pas son background : il a crée un univers fantastique, mais au final le tout est fort trouble, puisque Aiden semble avoir plus ou moins tous les pouvoirs possibles et inimaginables : soigner, télékinésie, prendre possession du corps de quelqu'un, barrière magique, destruction. D'où vient ce pouvoir, quelles sont ses limites, quelle est la logique de la supériorité d'Hayden sur les autres esprits : tant de questions (peu intéressantes) qui restent sans réponse et qui démontrent la faiblesse de l'univers posé par Cage.
Toutefois, le jeu a quand même certaines qualités, comme l'impressionnant travail graphique réalisé, c'est vraiment l'un des plus beaux jeux de la PlayStation 3. La narration éclatée, évoquée plus haut, est aussi une bonne idée, puisqu'elle permet quelques petits twists, quand on passe de Jodie adulte à Jodie enfant, et que cette partie explique une partie des agissements futurs de la jeune héroïne. Enfin, le gameplay réussit quand même, malgré ses nombreux défauts, à être varié, et le jeu est assez diversifié (shoot, combats spirituels, infiltration, combat au corps à corps, dialogues), même si le tout reste très simpliste.
Mais ce qui me dérange le plus dans Beyond, c'est cette impression d'avoir joué à une superproduction hollywoodienne-wannabe kitch au possible, avec des dialogues convenus, des grandes morales niaises et des scènes d'action cheap (mais qui sont pourtant ambitieuses). L'impression d'avoir visionné une oeuvre que je n'aurais jamais vue au cinéma, et qui se payait le luxe d'être beaucoup trop longue et plus chère qu'un film. Alors oui, Beyond, c'est aussi une vision différente du jeu vidéo (et du cinéma), mais le mélange reste trop bâtard que pour être vraiment intéressant. Pouvoir interagir (aussi sommairement) sans véritablement avoir d'influence sur le déroulement de l'action/du scénario, ça n'a pas grand intérêt.