Entre maladresse et maîtrise...
Je tiens tout d'abord à préciser que je vais passer outre le débat du gameplay qui n'a ici pas vraiment lieu d'être. Car à moins d'avoir vécu dans une grotte ces dernières années ou être sourd et muet, David Cage n'a jamais caché ses motivations.
Sachez cependant qu'il y a plus de gameplay participatif mais moins de choix déterminant que dans Heavy Rain, sauf lors des derniers chapitres. Un parti pris que l'on peut comprendre aisément puisque cette fois-ci l'histoire se déroule que d'un seul point de vue, à savoir celui de la jeune Jodie Holmes.
Là ou Heavy Rain multipliait les angles narratifs grâce à plusieurs personnages que l'on incarnait tout du long, ici on ne quitte pas les basques de l'héroïne et de son étrange acolyte fantomatique.
A noter que même si cette idée est passionnante sur pleins de points, elle s'avère relativement limitée au final.
Car quoique l'on fasse, on retombera toujours sur les rails de l'intrigue, même si pleins de variations et de petits embranchements restent possibles jusqu'à s'élargir vers le dernier tiers.
L'aventure est subdivisés en vingt-six chapitres qui font office de flasbacks racontés de façon non-chronologique par l'héroïne. Leur durée de vie individuelle change en fonction des choix de mise en scène et peut aller de dix minutes jusqu'à plus d'une heure de jeu.
Sur l'ensemble du soft, il faut compter une petites dizaines d'heures pour arriver au bout de l'histoire, tout en gardant à l'esprit qu'en fonction de certains de vos choix, cette dernière peut être amputée de passages entiers. Intéressant en terme de rejouabilité.
Cependant, ces différents chapitres restent très inégaux en terme de qualité, et l'on peut passer du brillamment réussi à du très moyen, voir carrément médiocre.
Donc en fonction des sensibilités de chacun, c'est un peu la roulette russe et on se met presque à appréhender le chapitre suivant.
En ce qui me concerne, c'est le chapitre "Navajo" qui m'a posé le plus de problème, aussi bien dans sa qualité d'écriture que de sa réalisation.
Entre des situations ubuesques et complètement connes ainsi qu'un Level design laborieux, ce fut un long chemin de croix que de parcourir ce mauvais trip.
"La Mission" et " l'antre du dragon" se posent aussi là en terme de situations délirantes et mal amenées.
Bref, je n'y crois pas une seconde et ça me sort totalement de l'histoire.
Pourquoi ne pas être resté dans une aventure feutrée, loin des conventions hollywoodiennes qui sont à mon sens les parties les plus mal fichues de Beyond?
Bien entendu tout n'est pas à jeter - loin de là - et certains passages fonctionnent à merveille: David Cage et son équipe excellent dans un style d'écriture plus intimiste mais perdent totalement le contrôle lorsqu'ils veulent se la pêter grand spectacle.
A force d'avoir trop écouté ceux qui n'étaient pas partisans de Heavy Rain, Cage donne l'impression d'avoir voulu contenter tout le monde.
Mais malgré les grosses et vilaines casseroles que se traine le jeu, il y a un truc qui a fonctionné sur mon affect vis-à-vis de Jodie.
Personnellement, c'est un des personnages de jeu vidéo les plus attendrissants et attachants qu'il m'ait été donné de voir.
Subissant les grands écarts de style d'écriture de chapitre en chapitre, Jodie, magistralement interprété par Ellen Page, peut être perçue comme une entité à part entière tant elle illumine le jeu de sa présence, déambulant avec grâce dans ce qui s'apparente souvent à une série B moyenne.
Une héroïne pries au piège, au même titre que le joueur, d'un monde virtuel avec lequel elle tente de se dépêtrer.
Vivre une telle dichotomie dans un jeu ou une oeuvre de fiction est pour ma part une grande première!
Parfois je posais la manette (oui, vous pouvez souvent le faire ici) tellement j'ai été bluffé par toutes les émotions complexes qui passaient à travers ce visage de pixel.
Même les micro-expressions faciales sont ici parfaitement retranscrites! (sauf chez les PNJs à usage unique qui sont souvent grossièrement réalisés)
Notons également que les rôles secondaires sont fascinants, que ce soit en terme de modélisation et de jeux d'acteur, même si certaines expressions peinent encore à franchir les frontières de la "Uncanny Valley".
Techniquement, les petits gars de chez Quantic ont fait un boulot titanesque qui donne le tournis même si là aussi, cela peut être inégal entre les différents chapitres.
Passionnant par moment, agaçant voir mauvais par d'autres, Beyond Two Souls est une œuvre bicéphale trop gourmande qui part un peu dans tous les sens. La faute sans doute à son créateur, qui peine à canaliser toutes les ambitions qu'il a cristallisé autour de son histoire.
Heureusement que Jodie soit aussi réussie, car elle reste tout le long du jeu un atout de taille, permettant d'éviter de justesse l'effondrement d'un ambitieux édifice aux bases fragiles.