Marie & Jim

- Qu'est-ce qui t'arrive, Marie ? Je crois que tu as besoin d'un remontant !

- Je ne me sens pas très bien Jim, j'ai la tête qui tourne, j'ai envie de vomir... Parfois, je vois même des choses qui n'existent pas.

- Comme quoi, par exemple ?

- J’ai croisé Jasmine ce matin, à la Forteresse Folâtre, et elle était au bras de Ryan !

- De Ryan ? Voyons, Marie, tu sais bien qu’une telle chose est impossible. En colportant de telles rumeurs, tu te fais l’amie du voyou…

- Tu as raison, mais je n’ai de toute façon rien dit à personne : après les avoir dépassés, je me suis retournée, et ils avaient disparu.

-C’est donc la preuve que cette scène n’a jamais existé, Marie. Tu dois être en descente de plasmide, il faut que tu te calmes un peu sur les injections. Si des fois tu as un doute, rappelle-toi ce que dit toujours Andrew : A est A, et donc, mathématiquement, la réalité est objective. Ce que tu peux voir, mais qui ne te semble pas logique, n’a aucune importance, puisque la réalité est, indépendamment de comment tu la perçois.

- Mais Atlas…

- Qui est Atlas ?

- Voyons Jim, ne fais pas l’idiot, tu sais très bien qui est Atlas.

- Oui.

- Et donc Atlas a remis en doute tous ces principes, il dit que désormais l’époque est à l’altruisme, au regroupement et à l’entraide.

- Voyons, Marie, Atlas est l’ami du parasite, et tu le laisses t’influencer ? Tu m’inquiètes de plus en plus.

- Mais s’il avait raison ?

- Raison sur quoi ?

- Si l’altruisme était une solution ?

- Une solution à quoi ?

- Mais à la crise que traverse Rapture, Jim ! Le trafic de plasmide s’intensifie ces derniers jours, et la pénurie guette. La population est sur les nerfs, et ne demande qu’une injonction d’Atlas pour craquer.

- Quel rapport avec l’altruisme ?

- Jim, ne fais pas l’idiot !

- Tu te laisses déborder par tes émotions, Marie. Calme-toi, essaye de réfléchir.

- Je suis calme. Et l’altruisme alors ?

- Mais qu’est-ce que l’altruisme, Marie ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

- Il parait par exemple qu’on vit bien mieux à Rapture en sauvant des petites sœurs plutôt qu’en leur volant égoïstement leur Adam.

- Comment cela est-il possible ?

- Car celles-ci nous récompensent ensuite ! Tu vois.

- Mais si tu sauves des petites sœurs dans l’idée future d’obtenir une récompense, où est l’altruisme là-dedans ? Tu as certes l’impression d’avoir effectué une bonne action, mais tu attends une récompense pour cela, une reconnaissance.

- Mais ceux qui sauvent des petites sœurs le font de manière absolument désintéressée !

- Le font-ils ? Combien peuvent se targuer d’avoir sauvé une petite sœur sans rien attendre en retour, ni récompense ni reconnaissance d’aucune sorte ? Combien auraient sauvé une petite sœur, avant d’accepter qu’on leur crache dessus et qu’on les traite comme une limace de mer, tout en trouvant ça parfaitement normal ?

- Mais…

- L’altruisme pur n’existe pas, Marie. Aider quelqu’un dont tu estimes qu’il mérite cette aide n’est pas un acte d’altruisme, et tu attendras au moins une reconnaissance de sa part, un sourire. L’altruisme n’est donc aucunement la solution de tes problèmes, du moins pas au sens où tu l’entends.

- Tu es si dur, Jim. Et les faibles alors ? Si tu estimes qu’ils n’ont pas besoin de ton aide ?

- Tout faible peut faire montre de compétence et de volonté. Un faible n’ayant aucune de ces notions n’a rien à faire à Rapture. Les faibles de Rapture sont forts.

- Si les principes d’Andrew sont si parfaits, alors comment expliques-tu la Révolte d’Atlas ?

- Rapture a été construite sur un modèle qui ne sied pas aux hommes ordinaires. Or, elle n’a pas été peuplée que d’hommes extraordinaires, là est la faute.

- Comment ça ?

- Ryan part du principe que toutes nos transactions sont honnêtes, que nous traitons tous d’homme à homme avec le plus grand sérieux et la plus grande objectivité. Un capitalisme de pointe, en somme. Mais Atlas est un pillard, un de ces hommes corrompus comme il en regorge à la surface. Il a drogué la population avec son trafic d’Adam, puis a rassemblé tous ces parasites désormais dénués de cervelle afin de formater sa révolution, dans le but de prendre le contrôle de Rapture.

- Serait-ce là une des principales limites de l’objectivisme ?

- Voyons Marie, ne parle pas en ces termes, tu vas effrayer tout le monde.

- Réponds-moi, Jim.

- Eh bien, oui… la non-perfection de l’homme, et les capitalistes malhonnêtes sont en train de faire sombrer l’exceptionnelle et objective utopie de Ryan.

- Jim, pour ma surdose de plasmides…

- Oui ?

- Ca me fait peur. J’ai peur de ne pas connaître mes limites.

- Voyons, Marie, l’absence de limites est une des principales doctrines de Rapture ! Nous refusons de contrôler la vie des gens, chacun doit être assez responsable et réfléchi pour connaître ses propres limites.

- Mais regarde les gens, Jim ! Ils sont complètement défoncés aux améliorations génétiques. Et je ne parle même pas des modifications physiques que le Dr Steinman réalise à tour de bras. N’y a-t-il pas une limite à l’absence de limite ?

- Marie, ne crois-tu pas que tu penses trop ?

- Mais, Jim… C’est toi qui m’as dit de penser…

- Oui, mais il y a des limites à ce que tu dois penser.

- Je croyais qu’il n’y avait pas de limites ?

- Marie, écoute-moi bien, ce que je vais te dire est très important : Rapture, n’est pas une ville manichéenne. Tout n’est pas noir ou blanc. Les gens essayeront de t’embobiner en te disant des inepties simplistes, comme par exemple que l’altruisme est la solution à l’objectivisme. Tout cela est terriblement simpliste ! Rien n’est aussi facile à Rapture.

- …

- Ce que je vais te dire restera notre petit secret. Je suis un fervent défenseur de Ryan et de sa politique, et pour cela il m’emploie même à la propagande. Mais cette propagande n’est que pour les esprits faibles, égarés et perdus, qui n’ont rien à faire à Rapture. A la surface, il parait que pour gérer ces gens, ils ont mis en place un ministre Responsable du moral de la Nation, tu imagines ? Non, la propagande vaut mieux que certaines autres alternatives, pour gérer ce genre de personnes.

- Tu t’égares, Jim. Je sais très bien ce que tu fais, rappelle-toi que je suis sensée être la potiche convaincue par ta propagande dans les spots audio que nous diffusons toutes les demi-heures.

- C’est vrai. Donc oui, bien sûr qu’il y a des limites. Mais ce sont les limites même des limites. Je ne suis pas philosophe, loin de moi l’idée de prétendre l’être, mais je me sers simplement de mon cerveau pour analyser les situations. Or, rien n’est aussi simple que les gens pensent le penser, quand bien même ils ne pensent de toute façon pas. Je veux dire, repense à notre discussion sur l’altruisme et l’objectivisme, on passe à côté du plus important.

- Et le plus important est ?

- Les dangers qu’il y a à suivre une doctrine aveuglément.

- Donc, tu penses que la doctrine de Ryan est dangereuse ?

- Non. Je pense.

- Non, tu penses ?

- Oui, je pense.

- Jim, cesse donc de te donner des faux airs d’intellectuel.

- Je pense que suivre aveuglément une doctrine est dangereux, quelle qu’elle soit. Car on laisse alors son cerveau de côté pour défendre son parti pris, coûte que coûte, sans en admettre les faiblesses, et en en exagérant les forces, nous éloignant ainsi chaque fois un peu plus de la raison.

- Donc, tu penses que la doctrine de Ryan est dangereuse ?

- Si on la suit aveuglément, oui.

- N’est-ce pas ce que tu fais chaque jour un peu plus ?

- Non, Marie, j’en donne simplement l’impression. Rappelle-toi, la réalité est, indépendamment de comment tu la perçois.

- Mais pourquoi Jim, pourquoi suivre Ryan s’il nous emmène droit dans le mur, s’il se voile la face ?

- Car Rapture est une ville extraordinaire, Marie.

- Mais quel rapport…

- Que penses-tu des nouveaux éclairages ?

- Comment ?

- Les éclairages. Mon cousin, l’ingénieur électricien en chef de Rapture, les a complètement retravaillés dernièrement.

- Je ne vois toujours pas le rapport…

- Mais comment sont-ils ?

- Magnifiques, je dois avouer. L’ambiance de chaque quartier est désormais grandement renforcée par sa gestion de l’éclairage.

- Et la décoration alors ? Et l’architecture ?

- Magnifique, Jim, magnifique. Rapture est une ville magnifique, à l’ambiance unique, même si depuis peu elle me fiche plus la trouille qu’autre chose.

- Voilà.

- Voilà quoi ?

- Rapture est une ville tellement extraordinaire qu’elle vaut bien quelques sacrifices.

- Et pour Rapture, tu es donc prêt à suivre Ryan dans le mur, quitte à faire couler cette même Rapture, que tu aimes tant ?

- …

- Tu n’es qu’un pion, Jim. Un pion pensant, mais un pion quand même.

- Tu es trop manichéenne, Marie. Cependant…

- Oui ?

- La propagande m’agace, je changerais bien de domaine. Tu crois que Julie Langford embauche ? J’ai toujours rêvé d’être bucheron.

- Ryan ne te laissera pas partir.

- Que faire alors ?

- Jim, tu ne crois pas que cette discussion est inutilement longue ?

- Hein ?

- Je veux dire, autant les deux premiers tiers de notre échange étaient ultra-productifs, autant là on tourne un peu en rond, à dire des banalités…

- Mais…

- Le début était passionnant Jim, vraiment, mais là je pense qu’il est réellement temps de s’arrêter.

- Arf, j’imagine que tu as raison… De toute façon, on repasse sur l’antenne dans deux minutes.

- Dis, il ne te resterait pas une dose du plasmide Bonheur Artificiel ? J’en aurais bien besoin pour la prochaine diffusion.

- Marie, je t’ai dit de te calmer sur les injections.

- A quoi bon, Jim ? Tu ne seras jamais bûcheron en Arcadie, pas plus que je ne serai danseuse privée pour Sander Cohen. Nous sommes prisonniers ici. Autant en profiter comme nous le pouvons.

- Bon, tiens.

- Merci.

- En tout cas, retiens bien qu’Atlas est un bandit, le rejoindre est impossible.

- Mais pourquoi ?

- Il nie la raison.

- Et ? Il finira par s’en rendre compte. L’émission est dans vingt secondes, Jim.

- Un grand homme de la surface a un jour dit : « celui qui brise une chose pour apprendre ce qu'elle est a quitté les chemins de la raison. » Si cette chose est la raison, j’imagine que c’est encore pire.

- Alors nous sommes perdus.

- Ce même homme a dit que tout ce qui est or ne brille pas, et que tous ceux qui errent ne sont pas perdus.

- Jim…

- Et pourtant, Rapture brille de mille feux…

- Jim !

- Qu'est-ce qui t'arrive, Marie ? Je crois que tu as besoin d'un remontant.

- Je ne me sens pas très bien, j'ai la tête qui tourne, j'ai envie de vomir... Parfois, je vois même des choses qui n'existent pas.

- Tu es en descente de plasmide, Marie. Il faut que tu te calmes un peu sur les injections. Ça va passer en un rien de temps. N'oublie pas que plasmide bien choisi t'embellit la vie !