Les travaux de Miyazaki et de ses équipes de From Software ont quelque chose de captivant. Ils pourraient se contenter de surfer simplement sur la réputation, réelle mais tout de même exagérée, de la difficulté des Souls. Leurs jeux pourraient devenir une sorte d’exagération, une déformation de cette formule, ce que l’on peut parfois reprocher à Dark Souls II, qui, sans sombrer totalement dans ce travers, manque de la justesse que l’on retrouve dans les jeux dirigés par Miyazaki. Mais le bougre, lui, n’est pas de ce genre.


Le succès des jeux de From Software s’explique, certes, en partie par leur difficulté, mais également – et surtout dirais-je – pour tout ce qui entoure ce cœur exigeant. Il y a une réflexion, une pensée dans ces jeux qui est tout à fait fascinante, qui donne cette saveur particulière et envoutante.


Bloodborne ne trahit pas cette savante alchimie. À la surface, c’est simplement une sorte de Dark Souls victorien, plus rapide dans ses combats. Cette approche est acceptable, mais très incomplète, superficielle même.


La philosophie dans les combats est en réalité très différente, poussant le principe de balance entre risque et gain à son paroxysme. Tout dans le jeu est réfléchi pour pousser le joueur à constamment peser le pour et le contre de ses actions, l'audace réussie étant récompensée. Le système de regain est le fer de lance de cette nouvelle philosophie derrière le gameplay. Les conséquences sont nombreuses. On notera donc que les combats sont bien plus mobiles, une sorte de sublime danse macabre. Le jeu est également plus accessible, plus apte à pardonner si on ose et ce malgré la sensation initiale – fausse selon moi – d’être bien plus vulnérable que caché derrière un bouclier. Enfin, reste le pari ultime, celui des coups de feu, permettant à la fois de temporiser les combats et de servir d’arme de la dernière chance. Pari et gain. Voilà une façon de jouer totalement opposée à la patience et la rigueur d’un Demon ou un Dark Souls, alors que l’on part des mêmes bases.


Au-delà, Miyazaki va à nouveau nous plonger dans un univers sans compromis. C’est sa marque de fabrique, et il nous faut, nous autre joueurs, accepter de plonger à notre tour dans l’imaginaire torturé du bonhomme. L’univers de Bloodborne a quelque chose de magnifique dans sa décrépitude, dans son aspect halluciné. Quand nous avançons dans le jeu, tout devient de plus en plus étrange, effrayant et même dérangeant. Les rues victoriennes délabrées du centre de Yarhnam sont en effet trompeuses. Rien ne vous prépare aux véritables desseins que le jeu a pour vous, du changement progressif et réussi dans la direction artistique. Bloodborne est en réalité une plongée profonde dans la psyché humaine, son inconscient, touchant aux rêves. Une apnée dans les abimes sombres de la folie et du cauchemar.


Il est alors normal que tout cela soit grotesque, que l’on soit dérouté par ce que l’on découvre. Je ne suis pas un amateur d’horreur, pour être tout à fait honnête je déteste me faire peur. J’ai eu des moments de malaise pendant mes sessions de jeu. Mais la fascination dérangeante pour cet inconscient prenait à chaque fois le dessus. On ne sait jamais si tout ceci est réel ou si cela n’est qu’une sorte d’hallucination macabre. Le jeu se garde bien de répondre à cette question, laissant comme d’habitude les joueurs interpréter à leur guise les bribes d’informations qu’il pourra récolter. Je vois cela comme une réussite, car donner une véritable réponse aurait été décevant. C’est l’ambigüité qui rend le tout intéressant, j’en reste persuadé car il y a une véritable invitation à la pensée et à la réflexion. C’est difficile d’accès, et c’est là l’un des problèmes des jeux de Miyazaki. Certains comme moi y seront sensibles, que ce soit de façon consciente ou bien simplement dans le ressenti. L’ambiance comme toujours est à même de vous capturer, car ce n’est pas un jeu à scénario mais bien un jeu d’atmosphère. D’autres se sentiront juste floués, pris pour des idiots que l’on mène en bateau, et c’est un sentiment légitime.


Alors disons le une fois pour toute : la singularité des jeux de Miyazaki est à la fois leur force et leur faiblesse.


Mais à partir du moment que l’on est réceptif, on ne peut que s’incliner devant la cohérence de ce jeu, de bout en bout. Ses thèmes sont toujours servis, admirablement, par la superbe direction artistique, gothique à souhait, foisonnante, mais aussi biscornue et étrange. Pour comprendre ce qui se déroule dans l'univers de Yarhnam, il faut jeter directement son regard sur ce qui dérange, symbolisé par la jauge de lucidité en gameplay, mais également dans l’univers du jeu par la symbolique des yeux. Le jeu hurle d’amour pour Lovecraft, avec cette étrangeté morbide. Le background est passionnant quand on s’y penche, malgré sa difficulté d’accès. Il est surprenant à bien des égards, j'éviterais donc de tout révéler dessus. Que dire en revanche sur la maestria du level design, toujours aussi bien agencé ? Il tient du génie, j’ose à nouveau le dire, Miyazaki et From Software me fascineront toujours par leur maîtrise de ce dernier.


Mon seul regret serait finalement peut-être que les affrontements proposés par le jeu sont en majeure partie moins marquants que dans les précédents jeu du studio. Ils ont tendance à se ressembler et sont donc dans l’ensemble moins réussis, à quelques exceptions près. Mais c’est peut être un reproche qui m’est personnel. Le jeu est peut-être aussi moins riche que ses ancêtres spirituels. À voir.


Le bien, le mal ? Cela n’a pas vraiment cours à Yarhnam. Notre chasseur ne cherche qu’une solution aux mystères qui l’entourent, et nous, on se questionne sur ce qu’on découvre. On doit forger notre chemin dans le sang, alternant entre le sentiment d’euphorie lorsque nous sommes victorieux et celui d’appréhension, quand on s’enfonce toujours plus profondément dans l’inconnu. Une bien belle peinture de la folie, oui.

Nivarea
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le 3 nov. 2015

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Nivarea

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