Il a de cela quelques jours, je lisais sur ce site une critique sur The Messenger (oui, je sais : rien à voir) écrite par le vénérable Bohr et dans laquelle il se plaignait d’une « surabondance » sur la scène indé « de titres qui cherchent à se hisser plus haut que les autres en proposant un concept, une idée, un visuel, ou à jouer sur la corde sensible des gamers. » Et moi, sitôt j'ai lu ça que ça a tout de suite fait écho avec l'expérience que j'ai pu avoir sur le jeu dont il va être ici question : Carto. (Et nous revoilà dans le sujet. Vous voyez, ça n'a pas été long !^^)
Parce qu’en effet, moi je suis plutôt le genre de « gamer » qui se laisse facilement séduire par un concept aguicheur. Preuve en est : quand j’ai pris connaissance de ce Carto, je me suis tout de suite dit : « ouah ! Le concept a l’air génial ! Il faut que j’y joue ! » Et quand bien même, après m’être rancardé auprès de mes éclaireurs, il semblait qu’il y avait un solide consensus pour dire que « Carto, en fait c’est pas ouf », que ça ne m’a pas empêché de succomber pour autant sitôt je l’ai vu passer en promo sur le Nintendo eshop.
Or, maintenant que j’y ai joué, je peux vous le confirmer : Carto, effectivement, ce n’est vraiment pas ouf…
…Et ça me fait franchement chier d’avoir à le reconnaitre.
Bah ouais, ça me fait chier parce que – franchement – il était malin et excitant le concept de ce Carto !
Le monde sur lequel on évolue est littéralement une carte, composée de feuillets carrés qu’on peut détacher, ajouter, faire pivoter ou recomposer à notre guise.
Vous l’avez donc compris : c’est nous qui avons la maitrise sur l’espace que l’on est invité à explorer. Déjà, rien que ça, j’adore.
Mais là où le concept se montre très vite efficace c’est que, bien évidemment, l’intrigue que l’on est invitée à parcourir, ainsi que les personnages qu’on est amené à rencontrer, vont nous faire comprendre que, pour avancer dans l’aventure, il va nous falloir comprendre quoi disposer, où le disposer et comment.
L’air de rien, tout ça se lance très rapidement, de manière très accessible, et le tout en sachant immédiatement montrer les possibilités ludiques offertes par ce type de jeu.
Untel ne peut être trouvé qu’à l’Ouest de la maison, au bord de la mer ? OK. Je prends le fragment de carte sur lequel il y a la maison, je le mets à l’Est de ma carte, puis je dispose à l’Ouest le fragment où figure le rivage. Je n’ai plus qu’à m’y rendre. Bingo ! Je tombe sur la personne indiquée. Facile. Malin. Marrant.
Parfois même, trouver la solution débloque un pan de carte supplémentaire. La source se trouve en amont de la forêt. J’aligne mer, foret rivière et – bim – ma source apparait.
A d’autres moments on me demandera de reproduire des figures, d’aligner des traces d’animaux, de regrouper des objets ou des gens sur des coins qui se touchent. Même parfois, le jeu nous fera jouer avec des cartes d’intérieur où il faudra savoir réfléchir en termes d’étages, de jonctions d’escaliers ou de portes…
C’est vraiment malin. Bien pensé. Bien narré. Vraiment très efficace…
…Mais seulement voilà : moi je trouve qu’on se fait quand même vite chier.
Pourtant le jeu s’efforce de multiplier et de diversifier les univers, de même qu’il essaye d’enrichir et de complexifier ses mécaniques ludiques. Tout ça, on ne peut clairement pas lui retirer.
Mais les lois du jeu vidéo sont parfois impénétrables. Malgré les meilleures intentions du monde, il y a des mayonnaises qui ne prennent pas, et c’est clairement le cas de ce Carto me concernant.
Déjà, c’est tout con, mais l’atmosphère ne me parle pas du tout.
On baigne tout le temps dans les couleurs pastel, le crayonné, le dépouillement… Comme sur une carte papier quoi… Alors ça a du sens hein ! Ça je ne dis pas ! …Mais du coup qu’est-ce que ça manque de caractère !
L’univers visité est petit, mais en plus de ça, il est quand même relativement vide. Cet univers ne parvient jamais vraiment à faire monde. L’illusion ne prend pas, si bien qu’on ne s’approprie pas l’endroit.
Alors, là encore, je comprends bien les enjeux de tels choix. Des parcelles de cartes plus riches auraient rendu les possibilités de combinaisons multiples plus difficiles à gérer, à la fois pour les développeurs que pour les joueurs. Surtout que la lisibilité des motifs et le nombre réduit d’informations est une donnée indispensable à respecter pour rendre les énigmes accessibles…
…Mais bon, encore une fois – et je n’y peux rien – c’est ce qui fait qu’en contrepartie, je n’arrive pas à m’impliquer.
Même chose : je peux sincèrement comprendre ce choix d’avoir fait un jeu en niveaux, nous amenant sans cesse à repartir de zéro une fois un niveau fini. Ça permet de varier les univers, de changer plus brusquement les mécaniques ludiques liées à un monde, et surtout ça permet de maintenir un niveau de difficulté accessible à tous, évitant au joueur de se retrouver petit-à-petit à gérer une carte de plusieurs centaines de fragments…
…Seulement voilà, la contrepartie de cette stratégie-là c’est qu’une nouvelle fois, on a tendance à d’autant plus se détacher des lieux qu’on nous invite à les abandonner rapidement… Et cela quand bien même le jeu nous conduit parfois à les réinvestir !
En fait, je pense que ce jeu a opté pour la mauvaise stratégie. Au lieu de ne jouer que sur l’agrandissement de la carte par une offre progressive de nouveaux fragments, puis de tout reprendre à zéro une fois la carte trop grande et diluée, les développeurs de chez Sunhead Studios auraient eu tout intérêt à explorer cette autre piste qu’aurait été l’enrichissement de fragments.
Déjà, d’un point de vue ludique, je pense que ça aurait ouvert la porte à des mécaniques et des énigmes bien plus diversifiées et enrichissantes. Se dire qu’en rapprochant tel élément de tel personnage, ou telle ressource de tel village, ça nous amènerait à faire apparaitre de nouveaux éléments ou – mieux encore – d’en transformer certains, ça aurait pu être terriblement excitant.
Imaginons d’ailleurs que ces éléments soient apparus comme des stickers susceptibles de chevaucher plusieurs fragments, offrant ainsi la possibilité au joueur de créer ses propres jonctions entre fragments, ça aurait été démentiel ! Y compris d’un point de vue narratif !
Et bim ! On rajoute un pont ici entre deux villages jusqu’alors séparés par un ravin ! Et là on construit un aqueduc entre cette source et cette fontaine abandonnée. Et là on déplace ce moulin loin de ce relief qui l’empêche d’être exposé au vent. On ouvre une route ici. On permet à un forgeron de s’installer là. Soudain notre carte aurait pris vie ! Et surtout elle aurait pris vie grâce à nous ! Selon nos choix !
…Ah mais quel jeu ça aurait été !
Alors après vous me répondriez sûrement qu’un tel jeu aurait été bien plus complexe à mettre en place, et sur ce point je serais d’accord… Sauf qu’à mes yeux, ce n’était clairement pas infaisable. Plus casse-tête hein ! Mais pas infaisable…
…Et malheureusement, je pense que si Sunhead Studios ne s’est pas engagé sur cette voie-là, ce n’est pas vraiment pour les impossibilités techniques que ça posait, mais plus parce que… Bah ils avaient déjà leur jeu-concept quoi… Alors pourquoi se casser le cul à essayer de le pousser jusqu’à ses limites ?
…Et c’est là que je me retrouve soudainement en total accord avec les propos de ce cher Bohr… La profusion de jeux-concept, c’est gentil hein, mais à condition que ça sache aller au-delà de son concept. A condition que ça sache pousser jusqu’au bout son idée de jeu, dans toute son entièreté.
Parce qu’au fond, il est là le principal défaut de ce Carto.
Au lieu d’explorer encore plus en amont le concept qu’ils se mettent à défricher, les petits gars de chez Sunhead ont préféré découper la même idée en plusieurs niveaux, déclinant autant que faire se peut les quelques mécaniques ludiques qu’ils étaient parvenus à en tirer.
Le problème c’est qu’à bien tout prendre, et malgré les efforts, en ne restant qu’au premier niveau d’approche de leur concept, les développeurs se sont très vite retrouvés limités dans leurs possibilités, tournant dès lors assez vite en rond.
De là, on peut comprendre leur volonté de compenser par une narration multipliant les personnages et les sous-intrigues, et si tout n’est pas inintéressant là-dedans, je dois bien avouer qu’au bout du compte, ça fait quand même grandement cache-misère. Pire, ça fait un peu boulet au pied.
Parce qu’au final, plus on avance dans l’aventure et plus l’intrigue prend le pas sur les énigmes, à tel point qu’au bout d’un moment, j’ai fini par vivre cette dernière comme un poids mort à devoir se coltiner ; un truc qu’on devait se trimballer en permanence et cela juste pour multiplier les détours, diluer le temps passé sur un niveau, détourner notre attention du fait que tout ça se ressemble un peu…
Encore une fois, il est vrai que l’ensemble reste malgré tout plus que convenable mais, d’un autre côté – et au bout d’un certain temps – ça n’a clairement pas été capable, me concernant, de produire une promesse suffisamment appétissante pour m’inciter à aller jusqu’au bout de l’intrigue.
Arrivé au niveau 7 (sur 10), moi j’ai laissé tomber mon tablier.
Sans regret.
Alors oui, que cela nous serve de leçon.
C’est vrai que c’est sympa ces studios indé qui entendent explorer tout le champ des possibles du jeu-concept. Et, encore une fois, ce n’est clairement pas moi qui vais renier mon appétit pour ces démarches-là. Mais attention malgré tout. Attention à ne pas pécher par orgueil ou par fainéantise. Car ce Carto nous l’a bien démontré : pas poussé jusqu’à son terme, un jeu-concept peut très vite accoucher d’un jeu mi-fait. Or, quoi de plus terrible qu’un concept gâché ?
Attention donc, mesdames et messieurs les développeurs. Vos riches idées méritent toutes d’être plus audacieusement traitées. Auquel cas, tel ce Carto qui a trop joué d’esbroufe, votre jeu finira parmi cette triste catégorie des jeux malins mais pas ouf…