Comme d’autres compagnies japonaises, Konami a du mal à passer le cap des années 2000, de la génération 128 bits (PS2, Xbox et Nintendo GameCube) à la suivante avec la PS3 et la Xbox 360. Le marché du jeu vidéo s’est occidentalisé, et avec lui de nouvelles attentes sont à satisfaire. Les développements de jeux étant de plus en plus longs et coûteux, les studios doivent penser à l’échelle du globe pour se vendre dans le plus de territoires possibles.
Ces studios du Japon mènent différents projets, entament différentes approches, et parmi celles-ci l’appel à des compagnies occidentales en est une. Capcom demande ainsi au studio suédois Grin de relancer la franchise Bionic Commando avec deux jeux en 2008 et 2009 ou délocalise sa suite Dead Rising avec le studio canadien Blue Castle Games Inc. qu’il rachetera en 2010. Sega rachète en 2006 Secret Level basé à San Francisco et qui développera Final Fight : Streetwise et Golden Axe Beast. En 2005 la compagnie lance un nouveau studio, basé en Angleterre, Sega Racing Studios, qui relancera la franchise Sega Rally avec deux jeux en 2007 et 2008. Sega participe aussi régulièrement avec Sumo Digital, qui développera de nouveaux Virtua Tennis, Outrun et les amusants Sega Superstar Tennis et Sonic & Sega All-Stars Racing à la fin des années 2000. Les exemples sont nombreux.
Il s’agit donc de la fin d’une décennie mais aussi une période charnière pour ces grands noms du jeu vidéo japonais qui ont longtemps été les principaux maîtres du marché console.
La compagnie Konami a encore de la vigueur, elle peut compter sur ses plus importantes franchises dont Metal Gear Solid, Pro Evolution Soccer ou Silent Hill, mais là encore certains soubresauts sont à noter. Les derniers Silent Hill seront développés par des studios extérieurs et occidentaux, avec des résultats mitigés qui signeront la fin de la série.
Parmi les autres licences phares, Castlevania est l’une des plus appréciées, avec ses aventures pleines d’action dans un contexte horrifique inspiré des productions de la Hammer. Mais la série végète un peu. Elle a trouvé refuge sur la GBA ou la Nintendo DS, terres d’accueil des développeurs japonais aux ambitions plus mesurées, pour des épisodes dits Metroidvania, mélangeant action et exploration. Parallèlement, des épisodes dérivés sont produits, entre remakes et portages (dont l’excellent Castlevania: The Dracula X Chronicles ) mais aussi de curieuses tentatives avec Castlevania Judgement, jeu de combat sur Wii ou Castlevania : The Arcade, jeu de tir.
Mais comme d’autres confrères et concurrents, Konami décide de miser sur l’international avec sa licence baroque dont les ventes déclinaient, en la confiant à MercurySteam, studio espagnol. Le développement est compliqué, l’entente entre Konami et les développeurs parfois précaire. Heureusement, Hideo Kojima, l’homme phare de la compagnie avec ses Metal Gear Solid, prend le projet sous son aile qui peut enfin sortir en 2010 sur PS3 et Xbox 360 puis PC. Et c’est une réussite incroyable.
La série tournait autour de l’opposition entre le bien et le mal avec l’opposition sur plusieurs siècles de la famille Belmont contre le seigneur Dracula. Ce nouveau Castlevania relance l’histoire pour une nouvelle chronologie, plaçant le héros, Gabriel Belmont, au centre. Ce dernier, membre de la Confrérie de la lumière est envoyé par son ordre pour enquêter sur la mort de sa femme, tuée par des adorateurs de l’ombre qu’il va devoir arrêter.
En dehors de ses retournements de scénario, dont certains assez classiques, et d’une certaine confusion dans les objectifs demandés, cette histoire originale vaut surtout pour son ton, résolument adulte, même désespéré. Dans un monde ravagé par les forces du mal, Gabriel est déterminé à avoir sa vengeance, à la lisière de la folie après avoir perdu sa bien aimée. Une revanche au goût amer qu’il obtiendra par la force des armes et des accessoires qu’il trouvera au fil de ses aventures, parfois au prix du sang.
Ce monde de Lords of Shadow se révèle saisissant. La direction artistique est d’une beauté monstrueuse. Dans ce monde ravagé, les ruines sont omniprésentes, la désolation est grande. Les paysages sont disproportionnés par rapport au joueur, qui semble parfois comme un insecte lors de certains plans larges, prêt à se faire écraser. Les tanières de monstres ne laissent que peu de doute sur leurs intentions belliqueuses dans un monde où toute paix est précaire. L’un des plus beaux environnements s’admire avec cette plage de ruines de golems, anciens protecteurs d’un monde abandonné par les dieux et les hommes. Pourtant, parfois, un oiseau s’envole, un rongeur se faufile, inconscients des guerres entre les créatures aptes à la guerre. Des petites touches de vie et de nature entre des panoramas désolés, que la caméra du jeu met parfaitement en scène.
Le bestiaire du jeu change donc de visage, s’éloignant des influences de la Hammer et des animés japonais. L’influence du Seigneur des Anneaux est manifeste, avec ses trolls et autres araignées, pour une esthétique plus sombre, voire inquiétante. Les surprises sont nombreuses. Le Dragoliche, monstrueux et gigantesque dragon en impose. Certains designs sont incroyables, d’une beauté gothique et sombre, comme le Chevalier noir golem, massive créature à l’armure fascinante. Les squelettes qui étaient le menu fretin des autres opus ne sont plus là pour nous accueillir, mais reviendront plus tard, bien moins inoffensifs que précédemment.
Pour aller au bout de son périple, Gabriel peut compter sur ses poings, ses armes et ses techniques. La série Castlevania s’était déjà aventuré aux aventures en 3 dimensions, sur N64 et sur PS2, pour des résultats moins convaincants que ses déclinaisons en 2D. Pour ce nouveau volet, le jeu est inspiré de cette mode de jeux d’action instaurée par God of War, avec la même rage de vaincre.
Les niveaux à traverser, magnifiques rappelons-le, sont assez linéaires, en dehors de quelques exceptions. Le chemin va d’un point à l’autre, entrecoupé de quelques énigmes, d’exploration et d’affrontements. L’obtention de nouvelles reliques permet de nouvelles capacités, dont certaines débloquent de nouvelles zones dans les précédents niveaux, mais cela reste assez léger, légère concession à la formule Metroidvania des versions 2D.
Pour autant, Lords of Shadow se révèle ardu, certains niveaux terminés procurent un véritable soulagement. Gabriel doit lutter pour sa survie dans ce monde perdu et désolé, et le joueur le ressent bien. Si lors de certaines phases d’exploration, les chemins de grimpette sont assez évidents et permettent de souffler un peu et de profiter des magnifiques décors, le jeu devient tout de suite plus délicat quand il faut en venir aux armes.
Les ennemis sont résistants, et souvent demandent d’exploiter leur point faible. Ceux de base sont déjà des épreuves à appréhender, mais les affrontements contre les boss relèvent encore un peu plus le niveau. Bien sur, Gabriel peut compter sur son fouet, mais aussi des armes secondaires, qui rappelleront des souvenirs aux amateurs des vieilles versions. Il bénéficie aussi de pouvoirs de l’ombre et de la lumière, chacun avec un effet différent, dont le vice va parfois jusqu’à influencer la nature des attaques des armes en main. Heureusement, les faiblesses des monstres face à certaines d’entre elles sont rappelés dans une encyclopédie en jeu, qui s’enrichit des nouvelles découvertes rencontrées.
Les combats sont donc brutaux et exigeants, mais aussi assez vifs, malgré une certaine lourdeur voulue. Gabriel peut sauter, esquiver ou parer les attaques, là encore avec de nouvelles déclinaisons de capacités plus tard. Le joueur doit donc garder la distance pour ne pas se retrouver submergé par la foule, mais aussi s’attaquer aux créatures présentes tout en esquivant les attaques portées contre lui. La scénographie des affrontements accentue cette tension, les coups portés offrent un impact plaisant.
Cette difficulté n’est donc pas là que pour rallonger la durée de vie, car si les affrontements n’offrent guère d’apaisement, c’est que c’est tout l’univers de Lords of Shadow qui est dans cette tension dangereuse. De plus, elle impose au joueur de maîtriser toutes les nombreuses possibilités qu’offre le jeu, révélant un système de jeu à la fois maîtrisé mais qui se fond avec le ton du jeu.
Une fois le jeu terminé, le joueur a le loisir de revenir dans les niveaux pour en découvrir les derniers secrets, de remplir certains défis (hélas peu amusants) ou de monter d’un cran la difficulté. Un deuxième tour est largement recommandé pour ces raisons ou pour redécouvrir ces décors incroyables et profiter encore un peu de ce système de jeu bien rodé.
Après ce succès public et critique, la saga Castlevania n’a plus existé que sous le patronage de MercurySteam avec un épisode dérivé, Mirror of Fate sur Nintendo 3DS, PS3 et Xbox 360 en 2013 et Lords of Shadow 2 en 2014 sur les mêmes consoles que le premier.
Et depuis ce coup d’éclat, la série Castlevania comme tant d’autres licences de Konami est à l’abandon, en dehors de quelques portages. C’est d’autant plus regrettable que Netflix a produit une série animée respectueuse et appréciée, il aurait fallu profiter de cet engouement.
Pire. Même si les versions de la sous-saga Lords of Shadow sont rétrocompatibles sur consoles Xbox, il est dommage que les volets n’aient pas été portés sur des générations plus récents, avec un petit coup de chiffon sur les aspérités. Lords of Shadow étant déjà magnifique dans son jus de l’époque, une petite conversion technique ne pourrait que le réaffirmer. Ce pourrait être l’occasion aussi de profiter d’une version complète comprenant les DLC, toujours vendus à des prix exorbitants sur le magasin en ligne de la Xbox 360.
Certes, Konami s’est détourné du jeu vidéo. Mais le fait qu’Hideo Kojima ait participé au développement du jeu joue peut-être aussi sur la volonté de laisser cette pépite croupir dans l’oubli. Le développeur phare ayant été licencié par la compagnie en 2014, une affaire qui avait fait du bruit à l’époque.