Le monde des jeux vidéo a été témoin d'une collaboration historique, que la presse japonaise baptisa le “Dream project”. Ce projet ambitieux avait pour objectif de réunir des figures emblématiques des deux plus grandes firmes dans le milieu, telles que Hironobu Sakaguchi, célèbre pour son travail sur la série Final Fantasy, et le duo Yuji Horii et Akira Toriyama, reconnus pour leur contribution à la série Dragon Quest. Ensemble, ils créèrent un jeu sous l'égide de Square, alors leader dans le développement de jeux vidéo.
Ce jeu, résultant de cette collaboration exceptionnelle, a été perçu à l'époque comme un rêve devenu réalité, rassemblant des talents de renom dans l'industrie. Ce qui le distingue, c'est non seulement la stature de ses créateurs mais également la qualité exceptionnelle du produit final. Malgré son approche orthodoxe du genre RPG, le jeu brille par son excellence et son raffinement, traits caractéristiques des œuvres de ces créateurs.
En ce qui me concerne, j'espérais de longue date de pouvoir faire ce jeu après avoir découvert ses artworks signé Akira Toriyama dans différents magazines de jeux-vidéo. Ce rêve inaccessible est devenu réalité lorsque je l'ai découvert par hasard disponible à la location dans le vidéo club d'une ville voisine.
Voyage à travers le Temps
L'année 1000 du calendrier du Royaume de Guardia. Dans cette époque paisible, un jeune garçon nommé Chrono rencontre une fille énergique, Marle, lors de la fête du millénaire du royaume. Suite à un enchaînement d'événements, les deux, devenus amis, visitent la fête ensemble et se dirigent ensuite vers le lieu d'expérimentation d'un appareil de téléportation inventé par Lucca, une amie d'enfance et inventrice. L'expérience semble être un succès, mais soudainement, le pendentif de Marle résonne et provoque l'apparition d'une distorsion spatiale inquiétante. Marle est aspirée et disparaît à l'intérieur.
Chrono, déterminé à retrouver Marle, saute dans la distorsion. Il arrive dans le Royaume de Guardia, mais à une époque bien antérieure à la leur : le Moyen Âge.
Cette aventure, débutée par un coup du sort, se transforme en une lutte épique qui traverse le temps et l'espace, visant à combattre une menace beaucoup plus importante.
Innovation et excellence visuelle et sonore
Si le jeu bénéficie d’une telle réputation, ce n’est pas pour rien. Avec un système simple et un scénario captivant sans être complexe, tous les éléments essentiels d'un bon RPG sont réunis à leur paroxysme et ce, sans défaut majeur. De plus, il intègre des éléments novateurs pour l'époque, comme de multiples fins ou un new game plus permettant de recommencer l’aventure en échappant aux phases de levelling que nous aborderons plus tard.
De plus, comme il s'agit d'un jeu de fin de génération sur Super Famicom, la qualité graphique compte parmi les meilleures sur cette génération. Les animations en pixel art pendant les combats sont particulièrement détaillées, avec des mouvements propres à chaque ennemi. Les effets des coups d'épée et des sorts magiques sont impressionnants. Les personnages montrent une variété d'expressions comme rire, réfléchir, s'étonner, se réjouir, crier, etc. Même les petits détails, comme le geste d'Ayla se passant la main dans les cheveux, sont bien travaillés. La bande-son de Yasunori Mitsuda est également très appréciée, avec des thèmes mémorables pour chaque personnage, des musiques de bataille, et des BGM de terrain célèbres comme Yearnings of the Wind (Moyen Âge) et Corridors of Time (Antiquité), qui sont fréquemment cités comme les plus réussies dans le milieu du jeu-vidéo. Les effets sonores sont également de qualité, y compris les sons d'environnement comme le murmure d'un ruisseau ou le vent.
Aventure épique et destinées multiples
L'élément central de cette œuvre est évidemment le voyage dans le temps. Le personnage principal, Chrono, voyage entre le présent, le futur et le passé, modifiant parfois intentionnellement l'histoire passée. On y parcours une époque primitive où les hommes des cavernes et les dinosaures sont en conflit, une antiquité où seuls certains peuvent utiliser la magie et prospèrent, un Moyen Âge menacé par un seigneur démon, un présent paisible, et un futur dévasté. Chaque époque a non seulement son atmosphère unique, mais aussi des cartes très différentes. Bien que le scénario progresse généralement de manière linéaire, ce qui pourrait paraître regrettable dans un premier temps pour une aventure basée sur le voyage temporel, un événement spécifique vers la fin du jeu augmente considérablement la liberté du joueur, permettant de nombreuses quêtes secondaires optionnelles qui se concentrent encore plus sur l’aspect «voyage dans le temps» que l'histoire principale. De plus, de nombreux efforts ont été fourni pour aborder le jeu sous des angles différents. Un système unique permet par exemple de défier le boss final à tout moment après un point spécifique au début du jeu, et le jeu propose plusieurs fins selon le moment où le boss est vaincu. Il y a de ce fait plusieurs niveaux de lecture car il est presque impossible de vaincre le boss lors de la première partie. Au final, douze fins différentes sont au programme, tantôt humoristiques, sérieuses, et parallèles, plus une mauvaise fin. Ajoutons à cela la présence d’un New Game Plus», est débloqué qui permet de commencer une nouvelle partie tout en conservant les statistiques et les objets des personnages, mais certains éléments clés liés à la progression des événements sont quant à eux perdus. Cela permet de profiter pleinement des multiples fins et de collecter des objets rares limités.
Quelques points faibles dans un RPG richement conçu
Pour autant, il est possible de mentionner quelques défauts. Chrono, par exemple, se basant sur la tradition des Dragon Quest, est un héros muet, ce qui peut sembler quelque peu discordant avec l'atmosphère plutôt Final Fantasy du jeu. Alors que les autres membres du groupe ont des histoires et des personnalités bien développées, Chrono manque de dialogue et d’un background spécifique, ce qui tend à rendre son personnage moins marquant.
Ensuite, le jeu ne présente pas trop de difficulté même sans levelling. D’une part, cela le rend accessible aux débutants en RPG, mais cela pourrait aussi laisser les joueurs expérimentés sur leur faim, bien que la richesse du titre compense largement ce point. Par exemple, même si les boss possèdent des faiblesses spécifiques, attaquer aveuglément suffit souvent pour gagner.
En conclusion, Chrono Trigger est à mes yeux le meilleur jeu de rôle de la Super Famicom, voire de tous les temps, et c’est peu de le dire. Jouez-y !