Dérapage Contrôlé

Quand on y réfléchit posément, Codemasters a eu à l’époque une sacrée paire de cojones en développant un jeu comme Colin McRae Rally. Car si le rallye était déjà plutôt bien représenté dans le monde du divertissement vidéoludique, avec des softs tels que Sega Rally ou V-Rally (pour ne citer que les plus connus), rares (aucun à ma connaissance) étaient ceux qui retranscrivaient avec précision les particularités de ce sport automobile. En effet, Sega Rally n’est au final pas bien différent d’un Outrun, affublé d’un "skin rallye", tandis que V-Rally se différencie à peine de softs tels que Need for Speed (au point qu’il fut vendu comme un opus à part entière de la franchise outre-Atlantique). Faut dire qu’un jeu de course sans aucun adversaire direct pour jouer du pare-choc, ça ne vend pas spécialement du rêve…

Pourtant, l’amoureux de la discipline prendra un pied monstre avec ce Colin McRae Rally. Et pas mal d’autres aussi. Car cette absence de concurrents tangibles sur la piste signifie aussi et surtout pas d’IA adverse à programmer, des ressources qui peuvent donc être utilisées pour peaufiner d’autres aspects techniques, comme par exemple la physique poussée des véhicules, les conditions climatiques, les différents revêtements de la piste, ou encore une gestion plutôt réaliste des dégâts. Et même avec tout cela à gérer, Colin McRae Rally reste étonnament agréable à l’œil : le graphisme général est assez fin, les bolides sont bien modélisés, l’animation est nickel chrome, et l’impression de vitesse est satisfaisante. Il y a bien un brin de clipping, et les arrières-plans pixellisent pas mal, mais rien de vraiment méchant…

Au niveau de la prise en main, Colin McRae Rally s’en sort admirablement, bien aidé par un copilote clair et efficace. Il faut toutefois un certain temps d’adaptation avant d’en tirer la substantifique moelle sachant que, quel que soit le modèle ou les réglages effectués, les bolides ont un comportement assez joueur, largement survireur…bref, il faut prendre le coup de main. Les réglages justement, sans être aussi complets que ceux d’un Gran Turismo, sont tout autant primordiaux si on veut faire péter les chronos, ou tout simplement tenir la distance en championnat…notamment le choix des pneumatiques, à sélectionner soigneusement selon la surface et la météo, sous peine d’un violent retour de bâton…

Le petit plus qui fait la différence, notamment pendant le championnat dans les niveaux de difficulté avancés, c’est le déroulement très crédible des passages aux stands, intervenant entre certaines spéciales, pendant lesquels on doit (p)réparer son bolide pour les épreuves suivantes. "Comme en vrai", un temps limite est alloué pour faire les éventuels changements ou ajustements, et chaque opération puise inévitablement dans ce timing plus que serré… Pour être plus clair, si vous roulez comme un pied et que votre caisse finit dans un état proche de l’épave (direction défaillante, problème de moteur et/ou de boîte de vitesse, voire de phares…), il sera tout simplement impossible de la réparer complètement, et il faudra donc faire des compromis…

Enfin, à l’instar du GT précédemment évoqué, Colin McRae Rally propose un très sympathique mode baptisé "école de pilotage", assez similaire à ses permis mais plus court, tout en étant bien plus ludique, avec des vidéos explicatives et un système de notation intuitif sanctionnant notre performance sur plusieurs critères (vitesse, freinage, tenue de route…). Le reste du contenu est très classique, très proche du V-Rally sorti l’année précédente, avec 52 spéciales réparties sur 8 pays (Nouvelle-Zélande, Suède, Autriche, Indonésie, Corse…), 12 bolides pour les parcourir (4 WRC, 4 Kit Cars, 4 caisses bonus), et 3 autres modes de jeux (Time Trial, Rallye simple, et le Championnat, le gros morceau du jeu), dont malheureusement "seuls" les deux premiers sont jouables à deux…

En définitive, Colin McRae Rally est un excellent premier opus, et un remarquable "brouillon" qui servira de base au chef-d’œuvre qu’est sa suite, le bien nommé Colin McRae Rally 2.0. Son seul véritable défaut finalement, à l’instar du très bon Need for Speed III, c’est sa fenêtre de sortie européenne bien trop proche de celle du mastodonte de Polyphony Digital (à peine 2 mois plus tard), ce qui l’a sans nul doute beaucoup pénalisé financièrement parlant, d'autant plus que, contrairement au jeu d’EA, Colin McRae Rally a fait l’essentiel de son chiffre en Europe… Le jeu a heureusement connu une très bonne seconde jeunesse lors de son entrée en gamme platinum, ce qui a rendu possible le développement d’une suite, et la continuation d’une franchise qui perdure aujourd’hui encore, malgré il faut avouer un rayonnement moindre…