Conscript
7.1
Conscript

Jeu de Catchweight Studio, Jordan Mochi et Team17 (2024PC)

Cela faisait des années que j’attendais patiemment la sortie de ce survival-horror qui se déroule pendant la bataille de Verdun, durant la Grande Guerre. Il est presque étonnant de voir que ce contexte, pourtant si propice, ne commence qu'à peine à être exploité dans le domaine de l’horreur. L'année dernière, Amnesia: The Bunker a renoué brillamment avec les racines du survival-horror mâtiné d’immersive simulation, tandis que Ad Infinitum explorait une approche purement psychologique et narrative.


Conscript est un projet indépendant modeste, en vue isométrique low-poly, développé majoritairement par Jordan Mochi, un australien qui a débuté en solo avant de recevoir le soutien de Team 17 durant les dernières années du développement. Pour aller vite, c’est Resident Evil dans des tranchées. Car son approche du survival-horror est bien celle de Mikami : de la survie exigeante qui oblige à faire économie des soins et munitions. Avec un inventaire limité qui demande au joueur de se délester au maximum dans les coffres situés dans les salles de sauvegarde (voyagez léger !) sous peine de faire de nombreux aller-retour. Aussi, beaucoup de combats et une mort pénalisante a cause des sauvegardes manuelles, possible uniquement avec des consommables en nombre limités (désactivable en début de partie – il y a même des checkpoints de fragile pour les plus réticents à la vraie expérience du survival-horror). La progression est libre, sans indications, et se fait à base de puzzle d’inventaire et de quelques énigmes. Bref, inutile de refaire le topo en entier, car tout le monde connaît déjà les jeux de Capcom.

Si le premier chapitre est très guidé et fait office d’introduction aux mécaniques en nous demandant de repousser une attaque allemande d’envergure, c’est vraiment à partir du second que l'expérience du survival-horror débute réellement. Lorsqu’on se retrouve seul, désarmé, démuni et encerclé d’ennemis. En somme : dans la merde jusqu’au cou.


Tout comme dans la référence Resident Evil Remake, le backtracking n’est jamais totalement hors de danger à l'aide de deux mécaniques qui fonctionnent de concert. D’une part, des brèches dans les tranchées qui permettent aux soldats ennemis d’arriver en renfort de temps à autre. Il ne tient qu’au joueur d’en colmater certaines à l'aide de fil barbelé en nombre limité. De l’autre, les cadavres de nos victimes, qui au bout d’un certain temps vont attirer des rats énorme et affamés de chair humaine, qui ne cesseront de revenir gêner le joueur (et peut-être l’infecter en cas de morsure) tant qu’il n’aura pas soit brûlé les corps, ou fait exploser le nid avec une grenade, quand cela est possible. Comme dans les bons survival-horror, il est nécessaire de planifier ses sorties et de prendre les bonnes décisions si l’on veut espérer voir l’issue de ce cauchemar. Et c’est bien sur la qualité du level-design qui est prépondérante pour que la formule fonctionne à son plein potentiel.


Avec un long développement de sept ans, on sent que le développeur a beaucoup réfléchi à la manière de restituer le plaisir gratifiant de l’exploration propre au genre tout en restant cohérent avec le contexte des événements. Ainsi les zones s’explorent en deux temps. Qu’il s’agisse au sein d’un même chapitre ou avec le procédé du “retour au Manoir” (ici les tranchées et le fort de Souville) une fois acquis un objet qui permettra de déverrouiller les dernières salles qui demeurent encore inaccessibles, et s’accompagnent généralement d’un pic de difficulté supplémentaire (toi même tu sais, jeune joueur de RE1 encore innocent). L’inspiration de Resident Evil premier du nom se ressent partout, on obtient même une “clé casque” a la fin du Chapitre III, clin d’œil évident pour tous ceux qui ont arpenté le manoir Spencer en long et en large.


En parlant du chapitre III, et sans trop en dévoiler, j’ai été agréablement surpris par la décision de nous sortir des boyaux étriqués du début de jeu, pour nous proposer des zones champêtres plus vastes et ouvertes. Si leur forme carrée, qui s’imbrique en damier sur la carte, m’a d’abord fait penser à des expérimentations semi foirées comme la forêt de Silent Hill 4, Jordan Mochi démontre encore une fois sa compréhension du genre en proposant une progression toujours très maîtrisée et intéressante. Je n’en dirais pas plus à ce sujet, je vous laisse découvrir.

Mes autres surprises ont été les deux derniers chapitres du jeu, que je m’imaginais plus court et dirigiste avec une accélération des événements vers une sorte de climax final. Si cette façon de faire, typique des productions Capcom, a des avantages certains en terme de gestion du rythme, je reste souvent sur ma faim avec ces derniers niveaux trop expédiés à mon goût (RE2 remake, ton labo est nul). Dans Conscript, non seulement le dernier tiers est très long, mais les environnements toujours plus complexes, tortueux et labyrinthique, le backtracking et les puzzles d’inventaires encore plus présents. Le Chapitre IV m’aura étonné par son ambition et sa variété, tandis que le Chapitre V clos parfaitement le jeu et s’impose comme un gros “donjon final”. Possible que les moins adeptes de la formule auront un sentiment de lassitude face à une telle longueur. Mais au moins on a un jeu qui ne déroge jamais à la formule du survival-horror : ici, même si l'intensité des combats et le nombre d’ennemis augmente graduellement, pas de transformation progressive en un mauvais shooter (RE7, celle-ci est pour toi).

Il m’aura quand même fallu plus de 16 heures pour voir le générique de fin défiler sous mes yeux. Qui plus est, dans la grande tradition du genre, de nombreux secrets (parfois volontairement abscons) et éléments de rejouabilité sont présents pour inciter au NG+. Pour un jeu indépendant réalisé majoritairement par une seule personne, j’aimerais vraiment souligner la générosité du contenu et l’ambition de proposer un jeu qui, sur ce point, rivalise sans peine avec les grands noms du genre. Ce qu’il n’a pas en revanche, c’est l’ambition de révolutionner les règles établies ou de proposer des mécaniques novatrices. Conscript est avant tout un de ces “néo-rétro”, un jeu qui renoue avec le savoir-faire du passé.


Quelques “modernités” tout de même dans un monde de nostalgie : comme le marchand qui permet de receler divers objets et améliorer ses armes. Modernité toutes relatives car elle s’inspire de Resident Evil 4, un jeu de 2006 (même si les marchands ont fait leur grand retour récemment avec RE Village et RE4 remake). On a aussi un système de raccourci qui permet d'éviter des retours incessants dans l'inventaire, ou encore la roulade, accompagnée d’une jauge d’endurance, qui semble tirée tout d’un droit d’un jeu d’Hidetaka Miyazaki.


L’histoire de Conscript est celle de deux frères, embarqués malgré eux dans une guerre qui les dépasse. On contrôle André, l'aîné d’une famille française déjà marqué par les conflits précédents. Un simple poilu qui ira jusqu’au bout de l’enfer pour tenter de ramener sain et sauf son petit frère Pierre. Si cette intrigue est fictive, les lieux que l’on traverse ont tous une part de véracité historique. Sans être des reconstitutions hyper fidèles, on peut aisément localiser les différents points d'intérêts sur une carte de la bataille de Verdun. Les décors sont tout à fait crédibles et témoignent d’une recherche pointu sur le sujet mais, à mesure que l’on progresse, on note une sorte de liberté artistique. Ils sont en quelque sorte “horreurifiés” dans une recherche d’une esthétique qui soit à la fois impactante et souligne la descente vers l’enfer et la folie du protagoniste.


A l’inverse de ses homologues, dont le but en tant que membre dans la grande famille très disparates des jeux d’horreur est de provoquer la peur chez le joueur, Conscript utilise le genre du survival-horror – et son gameplay – pour nous immerger dans la Première Guerre Mondiale. Nul besoin de zombies ou de fantômes quand l’horreur humaine de ce conflit dépasse déjà tout ce qu’on peut imaginer. Ainsi les combats brouillon et un peu rigide prennent sens non plus uniquement en tant que mécanique de jeu qui souligne la vulnérabilité du personnage, mais aussi comme un rappel aux affrontements confus et sans merci qui avaient régulièrement lieux dans les tranchées exiguës, où des soldats hagards par les bombardements sans répit se retrouvaient à se trucider a coup de pelle.

La représentation des allemands, l’envahisseur farouche et impitoyable, est volontairement déshumanisée, rendue plus terrifiante, pour mieux coller au genre, mais aussi servir habilement le propos. Qu’il s’agisse des fantassins aux longs trench-coat, armés d’une masse hérissés de clous perçants, et dont la respiration sortant d’un masque à gaz rappelle celle d’un Darth Vader ; ou bien des imposants soldats en armure de fer, impitoyables colosses blindés qu’il est très difficile de stopper et nous font souvent de battre en retraite. Une fois ces opposants mis à terre, au terme d’un combat pour la survie que le joueur expérimente en temps réel, et l’utilisation de précieuses ressources, on trouve parfois sur les corps inanimés la photo d’une famille ou d’une être aimé encore tachée d’un sang frais Un rappel soudain et brutal que chacun de ces “boches” est un être humain de chair et de sang, et qu’une famille vient d'être brisée à jamais. Conscript nous fait réaliser tout cela sans jamais nous le dire, sans jamais tomber dans un pathos écœurant qui ne ferait que desservir le message. Il est un jeu d’horreur parce que la guerre est horrible et ne laisse personne indemne.


C’est d’ailleurs avec cette idée en tête qu'interviennent des mécaniques cachées comme la jauge de “shellshock” (obusite). Chaque ennemi tué, chaque horreur vu ou commise, rendra le personnage progressivement en état de choc et sa visée se mettra à trembler de plus en plus… C’est le prix à payer pour servir la patrie, car chercher à éviter les affrontements ou rester caché pendant trop longtemps peut conduire à être exécuté pour lâcheté en guise de fin.

Quoi que l’on veuille, il n’y a pas d’issue salvatrice dans Conscript. La guerre nous rattrape toujours.

Karadras
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le 30 sept. 2024

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