Control
7.3
Control

Jeu de Remedy Entertainment et 505 Games (2019PlayStation 4)

Un jeu qui en dit quand-même long sur l'immaturité du jeu vidéo

Je me doute bien qu’avec un titre de critique comme ça, je ne vais pas me faire que des copains.
Mais pour moi c’est un fait : beaucoup d’aspects de ce « Control » illustrent pleinement ce qui manque au milieu du jeu vidéo d’aujourd’hui (du moins pour ce qui est de sa facette la plus mainstream).
De sa conception à sa réception ; de sa construction à sa narration, il y a quand-même beaucoup de choses à dire – et à redire – au sujet de ce dernier-né des studios de chez Remedy.


Alors attention. Entendons-nous bien.
Je ne vais pas vous dire ici que « Control » est un « mauvais » jeu.
D’ailleurs si je lui ai attribué la moyenne, c’est que globalement j’ai su trouver ça convenable et cela malgré le fait que ce titre m’ait très peu parlé.


Effectivement, au regard de la production actuelle, « Control » est un jeu tout ce qu’il y a de plus honnête.
Du TPS comme on en connait tous par dizaines – où on passe l’essentiel de son temps à tirer sur plein de gens – mais qui a au moins le mérite de le faire avec un certain savoir-faire.
Le gameplay est d’ailleurs l’un des vrais points forts du jeu.
Intuitif et réactif, il oblige à être sans cesse en mouvement tout en alternant entre tir et lancé d’objets. Et même si parfois ça a pu m’arriver de pester contre le jeu quand celui-ci me portait à la main un objet autre que celui que j’avais ciblé, la mécanique globale de ce « Control » n’en reste pas moins globalement agréable à l’usage.
Perso ce n’est pas pour ce genre de choses que je me déplace vers un titre, mais au moins ça va dans le sens du plaisir de l’exploration d’un univers.
Donc pour moi, ça reste un bon point.


Parce qu’en effet, moi ce qui m’a attiré vers ce « Control », ce n’était pas sa mécanique de jeu mais bien plus ce qu’il nous invitait à explorer.
De « Game Next Door » à « Gamekult » en passant par « Ex Serv », tous ont régulièrement cité ce titre comme étant une œuvre à l’univers marquant et à la démarche artistique affirmée ; un jeu dont l’espace et la narration se répondaient parfaitement par rapport à ce qu’ils avaient à nous dire sur la notion de « contrôle » justement.
Autant dire que c’est ce genre de discours qui a clairement su m’émoustiller au point de me donner envie d’aller y jeter mon petit coup d’œil.
Mais c’est aussi ce genre de discours qui participe aujourd’hui à mon scepticisme, voire même carrément à une certaine tristesse…


Moi je trouve quand-même qu’on se contente vraiment de peu aujourd’hui.
Alors c’est vrai : il y a un joli travail de direction artistique dans « Control » et surtout de très bonnes idées.
Qu’on nous explique que ce lieu soit étrange, qu’il bouge, qu’il se transforme, qu’il joue davantage avec nous que nous nous jouons avec lui, c’est vrai que c’est un concept très intéressant.
Que ce jeu sache d’ailleurs, dès les premières minutes, installer le malaise en nous modifiant carrément la carte durant notre partie, nous faisant revenir sur nos pas alors qu’on n’a jamais cessé d’aller tout droit, ça aussi j’ai trouvé que c’était une idée vraiment intéressante. Plus qu’intéressante même : carrément prometteuse.
Et quand derrière tout ça, juste le fait de prendre un flingue te transforme soudainement en directeur, modifiant les portraits aux murs et le comportement des gens, alors là ça matche tout de suite chez moi : ce genre de trip presque lynchéen, je ne peux que totalement y souscrire.
Donc oui, c’est clair : sur la première demi-heure de notre partie on a clairement là une promesse de grand jeu. D’une vraie expérience. D’un travail sur l’espace et la narration par le ludisme.
Mais par contre, elle est passée où cette promesse dans tout le reste de la partie ?
Elle est passée où la maison piégeuse ?
Elle est passée où l’expérience de captivité et d’égarement ?
Et le mystère ?


Je suis désolé, mais déjà après une demi-heure de jeu, « Control » n’a presque plus rien de neuf à dire et à offrir.
Pour ma part, je considère qu’une fois que je suis arrivé dans la salle de l’Exécutif central, j’avais déjà vécu tous mes meilleurs moments à seulement deux exceptions près.


La première c’est la découverte de la Hotline par le passage par l’OceanView Hotel, qui survient une grosse heure plus tard.
La seconde c’est la traversée du labyrinthe du cendrier. Dix très bonnes minutes de jeu – vraiment jouissives en termes de sensations – mais qu’il m’aura fallu attendre une quinzaine d’heures de plus. (Tout de même…)


Alors oui, ces petits moments là étaient certes sympas. Mais en tout et pour tout, sur une partie d’une bonne vingtaine d’heures, ça pèse quoi ? Une heure en tout ?
Une heure dont l’essentiel se retrouve condensé au début ?
…Et on fait quoi du reste ?
On en dit quoi ?


Alors c’est vrai, beaucoup me diraient que je suis bien sévère dans ma sélection.
Ils me rappelleraient tout d’abord à ces multiples séances de TPS bien ficelées qui composent l’essentiel de la partie et dont je parlais plus tôt – séances qui s’exécutent en plus de cela dans des décors esthétiquement très interpellants – tout ça participant du coup aussi à l’expérience ludo-narrative proposée par ce « Control ».
Je peux entendre l’argument, mais il s’agirait de ne pas trop l’exagérer non plus.
Oui, de manière générale, les lieux de « Control » saisissent par leurs formes, leur épuration, leurs dimensions imposantes et oppressantes. C’est vrai.
Mais d’un autre côté cette épure est aussi un terrible cache-misère.
Au bout d’un moment on finit par retomber toujours plus ou moins sur les mêmes types de salles. Avec étage ou sans étage. Avec espaces vitrés ou sans espaces vitrés. Avec escaliers ou sans escalier. Avec des bureaux ou sans bureaux. Avec des chaises ou sans des chaises…
Seuls les volumes changent mais rarement on rompt avec cette monotonie. Et quand on se décide de la rompre, c’est pour nous ressortir des poncifs du jeu vidéo : les égouts, la cave, la mine, le secteur médical, etc…
Désolé, mais sur cet aspect-là, y’a vraiment rien de bien folichon.
C’est juste de l’enchainement de TPS tout ce qu’il y a de plus standard.
Certes un TPS plutôt efficace parce que facile et agréable d’usage.
Mais juste du TPS quoi…
Des ennemis il en repope tellement dans ce jeu que ça devient l’essentiel de la partie ; facilement 90% de notre temps passé manette en main.
Et comme je le disais plus haut : moi, le TPS pour le TPS, c’est pas le genre de truc qui me fait me déplacer.


Alors après on me rétorquera que ce jeu a aussi pour lui son atmosphère. Son histoire. Son univers…
Là-dessus aussi je veux bien reconnaître que sur ces aspects-là, « Control » apporte quelque chose sur la table ; qu’il a une identité forte, construite sur un univers qu’on a voulu riche.
D’ailleurs, personnellement, je n’ai pas vraiment intérêt à cracher dessus parce que je suis assez client de ce genre d’univers.
Par cet habile mélange d’austérité, d’épure et de décalage vintage, « Control » se retrouve à la croisée des chemins d’un « Portal 2 », d’un « Half-Life », voire même un peu d’un « Bioshock » pour l’aspect « utopie décalée figée dans son temps ». Et à jouer de la carte du paranormal et du mystérieux, ce « Control » se rapproche aussi de séries comme « X-Files » ou de films comme « Shining ».
Donc moi, ce type d’univers, c’est le genre de chose qui aurait pu clairement me séduire…
…mais bon, encore aurait-il fallu savoir écrire !


Parce que, dans ce domaine-là aussi, il serait peut-être temps d’exiger des studios de jeux-vidéo qu’ils murissent un peu.
Car – je suis désolé – mais tout ça fait vraiment « écriture d’adolescent ».
On ressent cette idée que plus on en met mieux c’est ; que plus les propos sont denses et plus ils font mystiques ; et surtout que moins il y a de vide moins il y a d’ennui.
Ce jeu dit trop de choses, tout le temps, sans réfléchir si c’est pertinent, intéressant, original.
A peine a-t-on joué depuis une heure qu’on nous a déjà noyé d’Oldest House, d’arme de pouvoir, de lieu de pouvoir, de valses de directeur, de corps astral, de Hiss, de frère disparu, de voix étrange dans la tête, de… Stooooooooooop !
Mais ménagez vos joueurs putain !
Ne faites pas les éjaculateurs précoces !
Au-début y’a tout qui sort en pagaille et après il ne nous reste plus rien !
Laissez le temps de faire mariner le mystère.
N’expliquez pas tout.
Ne nommez pas tout !
N’abondez pas dans ce défaut récurrent du lore à lire par annuaires entiers !
Et puis n’oubliez pas que vous êtes dans un jeu vidéo ! N’oubliez pas qu’on INCARNE un personnage et que c’est toujours un peu dissonant que d’agir à la place de quelqu’un qui sait des trucs que nous, joueurs, ne savons pas. Ça, ça marche au cinéma ou dans un bouquin, OK. Mais dans un jeu, c’est beaucoup plus compliqué à justifier.
Et là, pour moi, ça ne se justifie pas.


D’ailleurs il n’y a pas que la narration diégétique qui pose souci dans « Control », il y a aussi la narration ludique.
Une expérience de jeu, ça s’écrit aussi.
Ça passe par toute une série de questions que tout programmeur se doit de se poser.
Qu’est-ce qu’on offre comme challenge au joueur ? Avec quelle progressivité ? Quels types de comportement on incite ? Quel type de comportement on récompense ? Qu’est-ce qu’on veut susciter chez lui et qu’est-ce qu’on met en place pour ça ?
Or je trouve que sur toutes ces questions là, les réponses apportées par Remedy sont là encore très pauvres.


Le gameplay, bien que fluide et agréable, atteint très vite son plafond de verre.
Une fois le flingue et la télékinésie en poche, l’essentiel est acquis. Notre manière de mener les combats n’évoluera plus vraiment et toutes les autres capacités acquises n’auront qu’un effet très périphérique.


La possibilité de composer des builds est elle aussi totalement anecdotique.
On sent qu’elle est plus là par effet de mode et surtout pour semer plein de collectibles dans cette immensité bien vide qu’on veut inciter à explorer.
Des collectibles d’ailleurs tellement nombreux qu’on peut être tenté de les laisser tomber. C’est personnellement ce que j’ai fait et – franchement – je n’ai pas eu l’impression que ça m’a pénalisé.


L’arbre à compétences est lui aussi plus que dispensable. Ou du moins il est mal foutu.
Vu que le lancé est bien plus pratique et bien plus destructeur que le flingue, la tentation est forte de booster tout de suite la capacité « lancé » et « énergie ». Tentation payante puisqu’elle vous rend très rapidement invulnérable au point de rendre toutes les autres compétences superflues.


Enfin, le parcours proposé est au fond très linéaire et répétitif.
Peu d’énigmes et le plus souvent excessivement faciles. Peu de réflexion et de phase d’orientation (on abandonne vite la carte assez mal fichue). En fait on passe son temps à tuer et tuer encore, toujours les mêmes ennemis selon les mêmes patterns. Jusqu’à la fin, on ne saura nous proposer que ça : défourailler des mecs qu’on nous met sur notre passage pour ralentir le déroulement de l’histoire.


Une histoire d’ailleurs assez péniblement intégrée dans le jeu.
Je parlais des bibles de lore qui venaient pourrir notre progression et dont l’intérêt est très souvent limité, mais je pourrais aussi parler de ces enregistrements qu’on ne peut écouter qu’à trois mètres de distance, nous obligeant à nous figer le temps que tout le blablatage se finisse.
Et je suis sympa car je ne m’attarderai pas sur les dialogues insipides offerts entre chaque personnage. Dialogues d’autant plus risibles quand on opte pour la localisation française. Entre des synchronisations labiales totalement aux fraises, des temps morts mal gérés, et parfois des switchs sauvages vers l’anglais, on a là vraiment affaire à un travail de porcs.


Donc, désolé, mais non.
Qu’on déclare sa sympathie pour ce jeu, je veux bien, mais sachons au moins regarder la réalité en face.
Il y a ce qui était annoncé, ce qui était promis, et il y a ce qui a été fait.
Non, bouger des petits cubes quand on purifie un point de contrôle ce n’est pas recomposer l’espace, c’est juste ouvrir une porte. Rien de plus.
Non, raconter une histoire d’un côté et enfiler ad nauseam les séances de TPS pour ralentir le joueur d’un point A à un point B de l’histoire, ce n’est pas apporter de la cohérence à la narration de son jeu. C’est même tout l’inverse.
Et non, reprendre les mêmes recettes vues partout ailleurs et les enrober dans une promesse esthétique et discursive, ce n’est pas proposer quelque chose de nouveau. C’est juste PROMETTRE quelque chose de nouveau.
Et moi, il me semble que c’est quand même important de savoir faire ces distinctions là.


Alors on peut l’aimer ce « Control » hein ! Là n’est pas la question.
Se faire un petit TPS basique dans un environnement visuellement aguicheur, moi je comprends pleinement qu’on puisse s’y retrouver.
Mais par contre, qu’on soit conscient de ce à quoi on joue !
« Control » ça reste, malgré ses quelques qualités, un titre qui ne fait pas vraiment avancer la question du jeu vidéo. C’est juste un divertissement basique qui n’a pas grand-chose à dire.
Un divertissement qui se trimballe d’ailleurs avec lui toutes les tares de son époque sans y apporter de solution.


Donc moi, face à ce « Control », je ne dis rien de plus et rien de moins que ça : j’attends juste qu’on sache mûrir un peu aussi bien du côté de l’industrie que du côté des joueurs.
Car si on sent qu’avec « Control » les studios Remedy ont voulu mettre les moyens financiers et humains pour passer un cap et offrir un jeu qui sort de l’ordinaire, force nous est de constater que sur l’essentiel ils ont échoué.
Sur l’essentiel ils se sont contentés de se reposer sur leurs acquis.
Et moi je dis juste qu’il serait peut-être temps qu’on s'en rende compte et qu'on passe à autre chose…

lhomme-grenouille
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le 6 févr. 2020

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