Crimson Shroud
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Crimson Shroud

Jeu de Level-5, Nex Entertainment et Yasumi Matsuno (2012Nintendo 3DS)

Concrétisez une idée qui vous tient à cœur: ce mot d'ordre résume le projet Guild 01 organisé par Level 5, qui a permis en 2012 la publication sur 3DS d'une compilation regroupant quatre jeux au game design différent. Goichi Suda (The Silver Case, Killer7, No More Heroes) ainsi que Yasumi Matsuno (Tactics Ogre: Let Us Cling Together, Final Fantasy Tactics, Vagrant Story) y ont participé, et la contribution de ce dernier prend la forme d'un RPG nommé Crimson Shroud, qui constitue un hommage au jeu de rôle sur table. Bien que la compilation Guild 01 n'ait jamais dépassé les frontières du Japon, Crimson Shroud est sorti sur l'eShop européen de la 3DS le 13 décembre 2012[1]. S'il résulte de ce format un titre moins ambitieux que ceux auxquels Yasumi Matsuno nous a habitués, nous y retrouvons indéniablement le style de ce scénariste et game designer, ainsi que des points forts habituels de ses jeux, comme une écriture soignée, un scénario intrigant et intéressant, un univers détaillé, une ambiance sombre et mystérieuse, ou encore un game design solide.


Frea gît grièvement blessée sur un lit improvisé et inconfortable. Elle semble réticente à l'idée de répondre à son interlocuteur, Flint, un chevalier au service du Sénat. Celui-ci perd progressivement patience face aux réponses évasives de la jeune femme, et l'état de santé précaire de cette dernière ne semble pas ébranler sa détermination. L'objet de leur différend est le Chaser Giauque. Ces mercenaires sont engagés pour rechercher des personnes ou des objets disparus, et si la situation l'exige, pourvu qu'ils soient grassement payés, ils ne rechignent pas à souiller leurs mains du sang de leur proie. Il s'avère qu'au cours de sa dernière mission, Giauque était accompagné de Frea, et Flint désire recueillir des informations concernant cet homme. Les quatre chapitres de Crimson Shroud sont chacun introduits par des scènes de conversation entre ces deux personnages, et les phases de jeu qui suivent celles-ci se révèlent être des flashbacks. Après cet échange teinté d'hostilité latente, le prologue vous confronte aux trois protagonistes que vous incarnerez tout au long de l'intrigue: Giauque, le Chaser qui a attiré l'attention de Flint et qui est un guerrier chevronné; son ami Lippi, un ancien bandit qui excelle dans le désamorçage de piège; Frea, la mystérieuse jeune femme qui constitue l'interlocutrice de Flint au début de chaque chapitre, et qui préfère recourir à la magie plutôt qu'aux armes. La dernière mission que Giauque a acceptée l'a conduit à suivre les traces du Crimson Shroud ("linceul cramoisi" en français), qui serait à l'origine des Gifts, des reliques qui accordent des pouvoirs magiques à leurs utilisateurs. Ses investigations l'ont finalement mené au palais de Rahab, qui constituait jadis une somptueuse demeure royale, mais qui a été réduit à l'état de ruines et qui sert désormais de refuge à de nombreuses créatures dangereuses. Tandis que Giauque, Lippi et Frea se tiennent aux portes de cet édifice délabré, des gobelins profitent d'un moment d'inattention pour les attaquer, et cette première bataille sert alors de tutoriel.


Les combats se déroulent au tour par tour: l'ordre d'action des différents participants est influencé par leur score de rapidité, le poids de leur équipement et le nombre d'actions qu'ils ont effectuées au tour précédent. Chaque personnage peut exécuter jusqu'à deux actions par tour dans l'ordre qu'il souhaite: attaquer, utiliser un objet ou lancer un sort d'une part, et recourir à une compétence d'autre part. La jauge de magie des protagonistes, qui conditionne l'utilisation des sorts et des compétences, se remplit progressivement à chaque attaque infligée ou subie, ainsi qu'en employant la compétence de soutien Meditate, que Frea possède dès le début du jeu. Après chaque victoire, les personnages sont automatiquement soignés intégralement et remportent des Barter Points, la quantité obtenue étant proportionnelle à l'efficacité de la stratégie élaborée. Ceux-ci permettent de récupérer une partie des objets abandonnés par les ennemis après leur défaite, et conditionnent ainsi le butin empoché par vos protagonistes, sachant qu'il est impossible de les conserver pour les dépenser ultérieurement. Ces points constituent une denrée précieuse, car le système de montée en puissance de Crimson Shroud vous pousse à reposer fortement sur l'équipement des protagonistes. En effet, ici, il n'est pas question d'accumuler des points d'expérience pour monter de niveau, car seules les caractéristiques des armes et des pièces d'armure équipées peuvent être renforcées. En outre, l'équipement détermine l'arsenal de sorts et de compétences dont disposent les personnages: ainsi, chacune des armes que Giauque et Lippi peuvent équiper présente une compétence offensive précise, tandis que les armes de Frea et les armures détiennent des sorts. Chaque arme ou pièce d'armure peut offrir jusqu'à deux pouvoirs à son porteur: le premier est indissociable de son support, tandis que le second peut être modifié en utilisant de l'Azoth Pur. En effet, cet objet consommable permet de renforcer l'efficacité de l'équipement grâce à deux types de combinaison: fusionner deux armes ou deux amures identiques permet d'améliorer les caractéristiques de l'objet concerné; fusionner une pièce d'équipement avec un parchemin permet de transférer le pouvoir de ce dernier dans le second emplacement de pouvoir de la première. Du fait de l'importance que revêtent les armes et armures, vous pouvez être partagé entre la nécessité de garder un équipement possédant des caractéristiques obsolètes mais présentant des pouvoirs intéressants, et l'envie d'équiper un objet disposant de meilleurs bonus de caractéristiques mais privant son porteur de sorts ou de compétences que vous appréciez. Si ce choix de game design peut se révéler contraignant, il s'avère être également en adéquation avec le background du jeu: en effet, les personnages évoluent dans un monde initialement dénué de magie, et dans lequel la pratique de cet art est devenue possible grâce aux Gifts. Ces derniers peuvent revêtir diverses formes, dont les pièces d'équipement que vos protagonistes utilisent. Cette osmose entre le gameplay et le background transparaît également à travers le personnage de Lippi: vous apprenez tôt dans le jeu qu'il a perdu son œil droit et que celui-ci a été remplacé par un Gift qui améliore ses facultés de perception.


Les sorts et compétences qui possèdent un élément permettent d'exploiter une mécanique de jeu centrale de Crimson Shroud: les chaînes élémentaires. Ces dernières peuvent comporter jusqu'à six éléments simultanément, et tout sort ou toute compétence peut potentiellement les créer, les entretenir ou les détruire. Pour maintenir une chaîne, l'élément du pouvoir que vous comptez utiliser ne doit pas être contré par le dernier élément que celle-ci contient. En effet, chaque élément en contre un autre en suivant le schéma suivant (le signe ">" signifiant "contre") : air > terre > foudre > eau > feu > glace > air; quant aux éléments lumière et ténèbres, ils se contrent mutuellement, et ils brisent ainsi la chaîne s'ils se suivent. Par exemple, une chaîne composée des éléments "foudre, lumière, eau" sera détruite si une compétence ou un sort de feu est utilisé, car l'eau contre le feu, ce qui signifie que le premier ne doit pas précéder ce dernier; à l'inverse, l'ordre "feu, eau" entretient la chaîne. En outre, avoir recours à un pouvoir neutre ou possédant un élément qui a déjà intégré la chaîne auparavant brisera cette dernière; par exemple, la chaîne composée des éléments "foudre, lumière, eau" sera rompue par la compétence neutre Meditate, ainsi que par une compétence ou une magie de foudre, de lumière ou d'eau, puisqu'elle comporte déjà ces trois éléments. Si un personnage utilise deux pouvoirs présentant chacun un élément différent au cours d'un même tour, un seul d'entre eux est conservé, la priorité revenant à celui qui se montre le plus favorable au maintien de la chaîne. De même, si un personnage invoque deux fois le même élément dans un même tour, celui-ci peut intégrer la chaîne sans la détruire si celle-ci ne le comporte pas déjà, et s'il n'est pas contré par le dernier élément qu'elle contient. Les attaques de base et les objets sont exclus des chaînes et n'ont ainsi aucune conséquence positive ou négative sur celles-ci. En revanche, les éléments des pouvoirs utilisés par les ennemis affectent les chaînes, et ils peuvent alors aussi bien contribuer à les entretenir que les saboter. Cette mécanique de jeu permet de récupérer de nouveaux dés, le nombre de faces que ceux-ci possèdent étant proportionnel à la longueur des chaînes créées.


Le dé constitue un élément indissociable des jeux de rôle sur table et de nombreux jeux de société. Outre sa présence sur le logo, ce petit objet qui soumet son lanceur aux caprices du hasard est pleinement intégré au gameplay de Crimson Shroud. Ainsi, vous êtes constamment invité à effectuer des jets de dés tout au long de votre périple, et ceux-ci exploitent les particularités de la 3DS en vous obligeant à utiliser le stylet et l'écran tactile pour mieux simuler cette action. Outre l'incontournable dé à six faces qui apparaît couramment dans les jeux de société, vous retrouvez d'autres formats communément associés aux jeux de rôle sur table, comme les dés à quatre, à douze ou à vingt faces. Lorsqu'un protagoniste attaque, utilise une compétence ou lance un sort, vous pouvez vous servir des dés récoltés dans votre inventaire pour augmenter les dégâts infligés, les points de vie restaurés ou les chances de toucher la cible. Il est alors possible de dépenser jusqu'à six dés simultanément, que vous pouvez répartir comme vous le souhaitez entre ces différents critères. En outre, il peut être nécessaire de réaliser un jet de dés pour déterminer l'efficacité de certains pouvoirs, comme le nombre de points de magie restaurés par la compétence Meditate, ou la réussite ou l'échec d'un debuff que vous cherchez à infliger à un ennemi. De même, le jeu peut ponctuellement exiger un lancer de dés pour définir l'issue de certains évènements, comme le nombre de tours supplémentaires dont bénéficient les adversaires en cas d'embuscade, ou pour décider si les personnages parviennent à s'emparer sans heurt du contenu d'un coffre verrouillé et piégé. Enfin, après avoir remporté un combat, vous pouvez échanger les dés que vous possédez contre des Barter Points supplémentaires, la quantité obtenue étant alors proportionnelle au nombre de faces que possède chaque dé défaussé.


Les protagonistes conservent les points de magie qu'ils n'ont pas dépensés pendant les combats, mais ils les perdent progressivement lors des phases d'exploration pendant leurs déplacements, qu'ils effectuent sur une carte sur laquelle vous choisissez le lieu que vous voulez visiter. Le palais de Rahab est découpé en quatre zones principales qui sont chacune scindées en salles, et lorsque vous avez accès à une nouvelle zone, vous pouvez retourner dans celles que vous avez déjà explorées. La progression dans l'intrigue implique de nombreux allers-retours entre plusieurs salles, afin, par exemple, de trouver un objet-clé ou de déclencher de nouveaux évènements. Il est alors indispensable de suivre avec attention les dialogues entre les trois protagonistes, car un moment de distraction peut vous condamner à errer d'une salle à une autre jusqu'à ce que vous parveniez enfin à trouver celle qui permet de faire avancer le scénario. Certains lieux ne peuvent être explorés qu'en New Game +, qui permet d'affronter des ennemis plus dangereux et d'accéder à la seconde fin. En outre, il permet de conserver l'équipement et les objets consommables que vos personnages ont acquis lors de la partie précédente et de ne pas avoir à relire les messages du tutoriel. Enfin, la courte durée de vie de Crimson Shroud constitue une motivation supplémentaire pour retourner explorer le palais de Rahab: chaque partie peut être finie en moins de dix heures, et il est ainsi possible de visionner les deux fins en cumulant un temps de jeu total inférieur à vingt heures. Néanmoins, cette durée de vie peut être artificiellement augmentée à cause d'une idée de game design qui dépend entièrement du hasard. Au cours du deuxième chapitre, il est nécessaire de récupérer un certain objet-clé qui apparaît aléatoirement dans le butin de victoire après avoir vaincu un ennemi précis, sachant que ce dernier se manifeste également aléatoirement après que l'un de ses alliés a été tué... Ce hasard qui peut engendrer de la frustration en cas de malchance intervient deux fois en New Game +, car un autre objet-clé doit être trouvé dans des conditions similaires au troisième chapitre, et son obtention est obligatoire pour accéder à la seconde fin. Il en résulte fatalement que les butins obtenus au cours des tentatives infructueuses plus ou moins nombreuses permettront en contrepartie d'améliorer l'équipement des protagonistes, et ainsi de diminuer plus ou moins considérablement la difficulté des affrontements ultérieurs, et notamment de ceux du New Game +. En effet, dès le début du jeu, la moindre action adverse peut rapidement précipiter les protagonistes dans une situation critique, et l'absence d'un système de progression en niveaux les contraint à reposer intégralement sur leur équipement. Il peut alors être nécessaire de changer constamment d'arme ou de pièces d'armure, afin de s'adapter en permanence aux caractéristiques des adversaires et d'optimiser l'efficacité des assauts des personnages. Les compétences de soutien s'avèrent indispensables, que ce soit pour contrer un debuff particulièrement gênant, pour priver un ennemi d'un buff puissant, pour renforcer la défense d'un allié fragile, ou encore pour atténuer les lourdes pénalités infligées par les conditions que certaines batailles imposent (comme une diminution du score de précision). De nombreux affrontements vous obligent alors à faire preuve de stratégie, et les possibilités d'optimisation offertes par les dés révèlent leur importance dans les combats les plus difficiles; par exemple, vous pouvez profiter d'un pourcentage de toucher élevé pour miser vos meilleurs dés sur l'augmentation des dégâts, dans l'espoir d'achever rapidement un adversaire particulièrement dangereux.


Crimson Shroud s'inspire d'une partie de jeu de rôle papier et fourmille de détails témoignant de cet hommage. Les graphismes contribuent indéniablement à l'illusion de jouer autour d'une table: les personnages ainsi que les ennemis sont représentés par des statuettes figées dans une posture qui contribue à les caractériser, tandis que le socle qui se trouve sous leurs pieds assure leur équilibre. Vous avez alors l'impression d'être confronté à des figurines méticuleusement peintes que vous feriez évoluer sur un plateau de jeu détaillé. Quant à la carte qui représente les différentes zones du palais de Rahab, vous pourriez penser qu'elle a été dessinée par un joueur consciencieux, voire par le maître du jeu lui-même, dont la voix semble résonner à chaque ligne de texte qui apparaît à l'écran. Outre leur place centrale dans le gameplay, les dés contribuent à reproduire le suspens qui émane en permanence d'une partie de jeu de rôle sur table. Alors que de nombreux jeux vidéo calculent automatiquement vos réussites et vos échecs sans dévoiler les résultats obtenus, Crimson Shroud vous oblige à déterminer manuellement l'efficacité de vos actions en vous demandant régulièrement de lancer des dés. Ce détail pourra certainement paraître superflu aux yeux des joueurs et joueuses qui ne s'intéressent pas aux jeux de rôle sur table ou aux jeux de société, et ils ne verront pas l'intérêt de perdre du temps à jeter des dés virtuels quand l'informatique peut rapidement et discrètement effectuer cette même action. Pourtant, cette considération ludique en apparence dérisoire peut justement vous pousser à vous sentir plus impliqué dans l'issue des batailles, car le destin de vos personnages repose littéralement entre vos mains. Vous pouvez alors tout aussi bien vous féliciter quand vous obtenez un résultat favorable à un moment crucial, que maudire votre malchance lorsque votre lancer a pour effet d'empirer une situation déjà critique. Ce sentiment d'implication s'avère si fort que vous pouvez en venir à jeter vos dés de façon théâtrale, après les avoir longuement remués dans votre main directrice, comme si ce geste superstitieux aurait pour effet de vous attirer la faveur du hasard. Penser que vous auriez plus de contrôle sur l'issue d'un combat du fait que vous exécutez manuellement une action qui est habituellement automatisée peut passer pour du fourvoiement, et en réalité, il est vrai que ce procédé ne constitue qu'une illusion. Néanmoins, si ce ressenti pourra paraître étrange, voire incompréhensible, aux yeux des personnes qui n'ont jamais eu l'occasion de s'adonner à une partie de jeu de rôle papier ou d'un jeu de société qui s'en inspirerait, il parlera assurément à celui ou à celle qui a déjà expérimenté ces activités. Le souci du détail dont fait preuve Crimson Shroud pour simuler une partie de jeu de rôle sur table transparaît jusque dans la physique des dés. En effet, lorsque vous les lancez brusquement, il peut arriver que l'un d'eux "sorte" de l'écran tactile et heurte l'un des participants au combat présent sur l'écran du haut. Cette maladresse renvoie inéluctablement au fait que vous pouvez involontairement chambouler le plateau de jeu en renversant des figurines qui se trouvaient malencontreusement sur la trajectoire de vos dés. Cet incident est d'autant plus notable qu'il peut constituer un moyen détourné d'ajouter des dés à l'inventaire, même si, en contrepartie, le dé concerné est exclu du résultat de son jet initial.


L'immobilité des personnages et des ennemis va de pair avec la mise en scène, qui est également figée et qui repose essentiellement sur du texte. Ainsi, ce dernier ne sert pas seulement à retranscrire les dialogues, mais décrit aussi avec précision les environnements explorés ainsi que chacune des scènes qui composent l'intrigue. La moindre ligne de texte profite d'une qualité d'écriture remarquable: les phrases sont brèves et aucun mot ne semble superflu, ce qui les rend à la fois percutantes et agréables à lire, en plus de permettre une narration fluide qui fait oublier le manque d'animation. Si Crimson Shroud s'inspire indéniablement d'une partie de Dungeons & Dragons, l'importance que revêtent les combats et les objets ainsi que les environnements cloisonnés qu'il vous fait explorer l'apparenteraient à un module typé "porte-monstre-trésor", duquel dérivent notamment les Dungeon RPG, dont ce jeu reprend la structure. Pourtant, il présente un scénario plus profond que ceux que ce genre d'aventure a coutume de proposer. En effet, Yasumi Matsuno est connu pour créer des personnages humains et souvent nuancés, qui peuvent être tiraillés par des choix difficiles: que ce soit par vengeance ou par contrainte, parce qu'ils sont soumis à des enjeux qui les dépassent, parce qu'ils sont guidés par des objectifs personnels, ou encore parce qu'ils sont écrasés par le poids de la fatalité, ces individus perfectibles peuvent commettre volontairement ou malgré eux des actes moraux difficilement soutenables, quand ils ne s'avèrent pas condamnables. Vous êtes alors confronté à une galerie d'individus complexes et troublants, qui échappent au carcan éthique imposé par l'axe "bon/mauvais" du système d'alignement de Dungeons & Dragons. Les personnages de Crimson Shroud sont peu nombreux, mais leur vécu et leur personnalité leur confèrent une épaisseur qui les rend crédibles et vivants, au point de vous faire oublier qu'ils sont représentés par de simples figurines. Il est alors aisé de se représenter mentalement les dialogues entre les trois protagonistes, que ceux-ci mettent en scène la témérité de Giauque qui vire à l'arrogance quand il surestime ses capacités et fait montre d'inattention, le regard noir et désapprobateur que Frea lui jette ainsi que les sarcasmes qu'elle ne tarde pas à proférer pour condamner son comportement irresponsable, la complicité dont Lippi fait preuve à l'égard de son frère d'armes, mais également les piques amicales dont il le crible lorsqu'il décide de s'allier à la jeune femme. Ces personnages constituent les acteurs d'un scénario intéressant et évoluent dans un univers riche en dépit de la faible durée de vie du jeu.


Les textes qui narrent l'intrigue sont régulièrement accompagnés de sons d'ambiance afin de renforcer l'immersion. Ainsi, qu'il s'agisse d'apaisants chants d'oiseaux qui se font entendre en extérieur, et notamment avant de s'aventurer dans les ruines du palais de Rahab, d'inquiétants cris de monstres qui augurent des nombreux dangers que renferme ce dédale souterrain, ou encore des sinistres bruitages qui résonnent à chaque fois qu'un évènement surnaturel se produit, Crimson Shroud parvient à vous immerger efficacement dans son univers en reposant essentiellement sur des procédés textuels et sonores. La bande-son contribue également à l'ambiance sombre, pesante et mystérieuse qui se répercute tout au long de l'intrigue. Le principal compositeur de l'OST de Crimson Shroud est Hitoshi Sakimoto, un nom qui est souvent associé à celui de Yasumi Matsuno, puisque les musiques du premier tendent à rythmer les récits que narre ce dernier. L'unique piste de combat qu'il a composée ("They Haven't Seen Us") présente les envolées épiques caractérisant son style aisément reconnaissable et habituellement associé aux univers médiévaux. Il est également réputé pour ses thèmes d'ambiance immersifs, et la musique d'exploration qu'il a créée pour Crimson Shroud, "The Underground Labyrinth", retranscrit admirablement l'aura de mystère aussi inquiétante qu'intrigante qui plane en permanence sur les souterrains de Rahab, en instaurant une atmosphère à la fois pesante et contemplative. Hitoshi Sakimoto sait aussi composer des mélodies pour accompagner les phases de dialogue, et que celles-ci soient belles ("Her Reputation Precedes Her") ou mélancoliques ("Was It All a Lie?"), leur douceur résonne comme un bref instant de répit, tant elles contrastent fortement avec les sonorités belliqueuses des thèmes de combat. Enfin, le générique de fin constitue souvent l'occasion pour le compositeur de laisser sa créativité s'exprimer plus librement: Hitoshi Sakimoto sait profiter de cet instant pour insuffler un puissant sentiment de nostalgie qui perdure inlassablement, alors que les derniers noms mentionnés disparaissent de l'écran, et que vous vous remémorez avec émotion les scènes les plus marquantes de l'aventure que vous venez de vivre ("Staff Roll" de l'OST de Vagrant Story; "Passing Moment" de l'OST de Tactics Ogre: Let Us Cling Together). La musique qui conclut la mission de Giauque et de ses alliés, "Sinner's Requiem", présente des tonalités épiques prononcées, et elle procure un réel sentiment de satisfaction lorsqu'elle retentit après la seconde fin. Cependant, si Hitoshi Sakimoto a composé plus de la moitié des pistes de la bande-son de Crimson Shroud, il est également accompagné par d'autres compositeurs issus de Basiscape, sa société de production de musiques de jeux vidéo. Il est notamment possible d'évoquer le travail de Mitsuhiro Kaneda, tant ses musiques d'exploration ("Have Faith", "Why Stop Now") et son thème de combat final ("The Palm of Her Hand") évoquent des sentiments d'appréhension et de danger en adéquation avec l'ambiance pesante qui règne sur le palais de Rahab. Enfin, Masaharu Iwata, qui a composé de nombreuses OST aux côtés de Hitoshi Sakimoto, signe ici l'imposant thème de l'affrontement contre le minotaure ("Fight or Flight"). Ainsi, bien que la bande-son de Crimson Shroud résulte de la coopération entre cinq compositeurs et qu'elle compte seulement 29 pistes, elle constitue un ensemble cohérent qui narre avec justesse les péripéties de Giauque, de Lippi et de Frea.


Crimson Shroud est un RPG qui repose sur une mise en scène minimaliste mais immersive. Par la seule force de ses mots évocateurs, de ses bruitages percutants et de ses musiques adaptées à chacune des situations exposées par le scénario, il parvient à instaurer une ambiance sombre teintée de mystère, à décrire un univers intrigant, ainsi qu'à narrer une histoire intéressante. En outre, il sait intelligemment tirer profit de son hommage au jeu de rôle sur table pour offrir un game design solide, rythmé par une difficulté qui vous pousse à utiliser efficacement les ressources qui sont à votre disposition. Ainsi, avec Crimson Shroud, Yasumi Matsuno nous prouve que pour être captivant, un RPG n'a pas nécessairement besoin de reposer sur une durée de vie élevée, sur une mise en scène dynamique, ou encore sur des graphismes techniquement aboutis. Il en résulte une expérience marquante qui donne envie d'espérer le retour de ce talentueux scénariste et game designer sur d'autres projets plus ambitieux, voire sur d'autres titres qui étofferaient l'univers dans lequel se déroule Crimson Shroud.



Notes de bas de page

[1] À noter qu'il n'est plus possible d'acheter des jeux sur l'eShop 3DS depuis fin mars 2023.



Bibliographie

Informations sur l'OST du jeu: https://vgmdb.net/album/32688

Icia_
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le 26 janv. 2024

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