Bien que les deux genres de jeu dans lesquels elle s'inscrit soient peu vendeurs auprès du grand public, la licence Ace Attorney connaît un succès d'estime indéniable au Japon et en Occident. La prépondérance de ses dialogues l'apparente à un Visual Novel, tandis qu'elle emprunte au genre du Point'n Click la nécessité de rassembler des preuves pendant les phases d'investigation ainsi que la résolution de puzzles qui structurent la progression des procès. Ace Attorney ajoute à ces codes de narration et de game design ses propres particularités qui ont contribué à forger son identité ainsi qu'à susciter un engouement considérable pour ses différents jeux, comme des personnages excentriques, un ton humoristique et emphatique, des joutes verbales dynamiques et captivantes qui sont soutenues par de multiples effets visuels et sonores, ou encore d'innombrables rebondissements et révélations qui sont dévoilés à mesure que les enjeux scénaristiques prennent de l'ampleur. Cette licence comporte actuellement six épisodes principaux[1] qui se déroulent dans un monde contemporain inspiré du nôtre, deux volets complémentaires dont le protagoniste est le procureur Benjamin Hunter (Miles Edgeworth dans la version anglaise)[2], et le cross-over intitulé Professeur Layton vs. Phoenix Wright: Ace Attorney; quant aux deux spin-off qui constituent le sujet de cet article, ils se déroulent à une période historique antérieure et comportent ainsi leurs propres personnages et univers. Au début de l'année 2013, le scénariste Shū Takumi s'est vu proposé de travailler sur un épisode annexe. Il a alors pensé à un jeu d'enquête dans lequel un détective émettrait des déductions erronées, et où il serait nécessaire de corriger ses propos afin de faire éclater la vérité. Comme Shū Takumi lit des romans et des nouvelles de Sherlock Holmes depuis ses années d'études au collège, il a naturellement voulu inclure ce personnage dans l'un de ses jeux. Il pense que Sherlock Holmes constitue un individu résolument humain, car en dépit de son indéniable talent d'investigateur, il peut commettre des erreurs et éprouver du remords. Shū Takumi s'intéresse plus largement aux romans policiers qui se déroulent au XIXe siècle, et l'époque victorienne le fascine particulièrement du fait que de nombreux progrès ont été réalisés dans les domaines scientifiques et technologiques au cours de cette période, cet essor ayant notamment profité aux enquêtes policières. Ainsi, Sherlock Holmes apparaît dans la licence Ace Attorney pour des raisons de game design, mais également pour situer l'action à une époque différente de celle des épisodes principaux, ce qui permet d'élaborer un univers inédit et de bénéficier de nouvelles possibilités scénaristiques. En parallèle, Shū Takumi voulait initialement que l'intrigue se déroule uniquement à Londres, afin que les développeurs et développeuses n'aient pas besoin de modéliser une seconde salle d'audience, mais il a finalement accepté la suggestion proposée par le character designer Kazuya Nuri. Ainsi, le périple de Ryunosuke Naruhodo démarre au Japon au cours de l'ère Meiji et se poursuit en Grande-Bretagne pendant l'époque victorienne, une situation initiale qui pousse ce personnage à quitter son pays natal pour entreprendre une aventure de grande envergure. Ce nouveau protagoniste est en réalité l'ancêtre de l'un des personnages majeurs des épisodes principaux, Phoenix Wright, mais les localisations occidentales de ces jeux brouillent ce lien de parenté[3]. Les aventures de Ryunosuke ont été scindées en deux épisodes qui ont été initialement publiés sur 3DS au Japon uniquement: le premier est sorti en juillet 2015 sous le titre Dai Gyakuten Saiban: Naruhodō Ryūnosuke no Bōken, tandis que le second est paru en août 2017 sous le nom Dai Gyakuten Saiban: Naruhodō Ryūnosuke no Kakugo. Ces deux titres ont été renommés respectivement The Great Ace Attorney: Adventures et The Great Ace Attorney 2: Resolve lorsqu'ils ont été conjointement édités en Occident dans la compilation intitulée The Great Ace Attorney Chronicles, qui a été publiée en juillet 2021 sur PC (Steam), PlayStation 4 (PlayStation Store) et Switch (eShop). Par souci de clarté, dans cet article, le nom de cette compilation sera utilisé pour évoquer le jeu complet que forment les deux épisodes qu'elle regroupe, tandis que les informations spécifiques à un volet précis seront mentionnées en précisant le titre anglais dudit volet.
In honour of my friend
Au Japon, le professeur britannique John H. Wilson a été tué dans le restaurant occidental La Carneval, alors qu'il avait été invité à l'université de Yumei dans le cadre d'un échange international. Ryunosuke Naruhodo, un étudiant de cette université, est suspecté d'avoir commis ce crime, car il tenait un pistolet lorsqu'il a été appréhendé par la police sur le lieu du meurtre. Son meilleur ami, Kazuma Asogi, qui étudie dans la même université que lui pour devenir avocat, entend prendre sa défense au cours du procès. Cependant, l'un de ses professeurs, Yujin Mikotoba, réfute cette décision et demande à Ryunosuke de se faire acquitter seul. En effet, Kazuma doit prochainement se rendre en Grande-Bretagne dans le cadre d'un échange d'étudiants afin de parfaire ses études juridiques. Ce pays connaît un essor considérable dans de nombreux domaines, et découvrir le système judiciaire britannique permettrait aux futurs nouveaux avocats japonais de réformer celui qui est en vigueur sur l'archipel. Or, si Kazuma échouait à faire acquitter son client avant son départ, son séjour londonien risquerait d'être compromis, car seuls les élèves les plus brillants sont autorisés à poursuivre leurs études à l'étranger. Prouver l'innocence de l'accusé sera d'autant plus difficile que la victime est d'origine britannique et a été tuée sur le sol nippon, une situation qui menace d'engendrer un accident diplomatique entre la Grande-Bretagne et le Japon, alors qu'un traité d'alliance a récemment été signé entre ces deux pays. L'écart technologique considérable qui sépare ces deux États pousse les membres du gouvernement japonais à redouter des répercussions considérables sur l'archipel. Par conséquent, ils tendent à s'écraser devant les décisions prises par les autorités britanniques, qui observent attentivement le traitement de cette affaire judiciaire et son issue. Du fait de l'importance qu'il revêt sur le plan international, le procès de Ryunosuke aura lieu à la Cour suprême de juridiction du Japon, et seuls des membres haut placés du gouvernement en composeront le public. Kazuma déplore que son pays soit intimidé par un État avec lequel il est censé entretenir une alliance, et il est contraint de se contenter de prodiguer des conseils à son meilleur ami. Ryunosuke doit alors prouver son innocence face à un procureur avide de le faire condamner aussi rapidement que possible, et ce premier chapitre fait ainsi office de tutoriel pour apprendre les principales mécaniques de jeu des phases au tribunal. Une fois que Ryunosuke a réussi à se faire acquitter, Kazuma lui explique qu'il veut profiter de ses études en Grande-Bretagne pour réformer le système judiciaire japonais, et qu'il souhaite que son ami l'accompagne dans cette entreprise. Ryunosuke est alors contraint de voyager clandestinement: il entre dans le bateau à destination de l'Europe en étant inconfortablement enfermé dans une imposante valise, et il passe l'essentiel de son séjour dans une étroite armoire, de laquelle il sort uniquement pour partager ses repas avec son ami. Deux semaines après le début de ce voyage maritime, Kazuma est retrouvé mort dans sa cabine: la porte était verrouillée de l'intérieur, et un mot rédigé en alphabet cyrillique est écrit au sol, à proximité du corps de la victime. Alors que Ryunosuke dormait profondément dans l'armoire et n'a pas entendu le crime se produire, le détective privé Herlock Sholmes l'accuse d'avoir commis ce meurtre, et le jeune homme se réveille avec les mains menottées. De prime abord incrédule, l'assistante judiciaire de Kazuma, Susato Mikotoba, accepte finalement d'aider Ryunosuke à enquêter sur le décès de leur ami. Après avoir réussi à prouver une seconde fois son innocence, Ryunosuke décide de devenir un avocat de la défense afin d'accomplir l'objectif de Kazuma à la place de celui-ci. Susato devient son assistante juridique et l'aide alors à étudier le système judiciaire britannique pendant le mois de voyage restant avant leur arrivée en Grande-Bretagne. Une fois arrivés à Londres, les deux jeunes protagonistes rendent visite au lord juge en chef Mael Stronghart pour l'informer du décès de Kazuma ainsi que de leur volonté de compléter l'objectif de leur ami. Leur interlocuteur leur promet de leur accorder l'autorisation de séjourner en Grande-Bretagne s'ils parviennent à défendre devant la justice un accusé qui échoue à engager un avocat en dépit de sa situation pécuniaire aisée, et qui risque d'être condamné à la potence s'il est déclaré coupable. Des rumeurs rapportent que le sort de cet homme serait déjà scellé, car le procureur de cette affaire juridique est Barok van Zieks: ce dernier est surnommé le Moissonneur du Bailey (Reaper of the Bailey), car les individus qui parviennent à être acquittés aux procès auxquels il participe sont mystérieusement portés disparus après avoir été relaxés.
Objection!
Le récit d'une œuvre fictive est constitué d'une succession d'évènements opportuns qui ne laissent aucune place au hasard. Par conséquent, afin de ne pas nuire à la crédibilité de l'intrigue contée, l'auteur de celle-ci et son public sont unis par un contrat tacite poussant le second à suspendre son incrédulité face aux procédés narratifs et scénaristiques que le premier est amené à déployer. Pour pleinement apprécier le scénario relaté par une œuvre fictive, il est alors nécessaire d'accepter qu'il repose sur un enchaînement optimal de situations que le hasard pourrait potentiellement briser si celles-ci se déroulaient dans la réalité. La licence Ace Attorney est réputée pour largement profiter de ces écarts autorisés par la fiction, que ces usages abusifs séduisent pour les intrigues captivantes et riches en rebondissements qu'ils permettent d'élaborer, ou qu'ils agacent à cause du caractère hautement improbable des évènements que le scénario s'échine à faire passer pour des conséquences résultant logiquement d'enjeux à la complexité croissante. Ainsi, chaque épisode d'Ace Attorney implique nécessairement d'accepter que les situations narrées défient les probabilités pour offrir des intrigues au déroulement aussi spectaculaire qu'invraisemblable. En réalité, le titre japonais de cette licence, Gyakuten Saiban, annonce explicitement cette propension à pousser votre suspension d'incrédulité dans ses derniers retranchements, car il exprime l'idée d'un procès soumis à de multiples retournements de situation soudains. Les épisodes de la série Ace Attorney qui vous font incarner un avocat de la défense consistent généralement à faire acquitter au tribunal des individus qui ont été accusés à tort d'un meurtre, après avoir rassemblé des preuves au cours de phases d'investigation. Les affaires exposées dans chaque volet tendent à alterner à plusieurs reprises entre ces deux types de situation, mais certaines d'entre elles peuvent s'émanciper de cette routine: par exemple, le premier chapitre de chaque épisode fait office de tutoriel et est généralement composé d'une unique phase au tribunal, tandis que le deuxième chapitre de The Great Ace Attorney: Adventures ne comporte pas de procès. Si la perspective de devoir endosser le rôle d'un avocat de la défense peut paraître de prime abord intimidante, la progression est en réalité linéaire, car elle est encadrée et segmentée par des procédés narratifs qui interviennent de façon si à propos qu'ils n'autorisent aucune liberté d'action. Les jeux de la licence Ace Attorney vous permettent ainsi de démêler de façon limpide des enquêtes qui gagnent en complexité à mesure que les révélations scénaristiques s'enchaînent, alors que vos interventions se résument à résoudre des puzzles aux objectifs clairement définis. Ces puzzles consistent généralement à répondre aux questions d'un personnage ou aux réflexions personnelles du protagoniste en choisissant la bonne réponse parmi celles disponibles, à identifier un détail précis sur une image (par exemple, trouver la vraie arme du crime sur une photo ou localiser le positionnement du coupable au moment du meurtre sur une carte), ou à sélectionner la preuve adéquate afin de soutenir les propos de l'avocat, de contrer un argument du procureur ou de relever une incohérence dans la déclaration d'un témoin lors d'un contre-interrogatoire. Ce dernier constitue le principal moyen d'action du protagoniste: une déclaration émise par un témoin tient sur plusieurs phrases pour lesquelles il est possible de demander des précisions, et l'objectif consiste à afficher la fenêtre de dialogue qui comporte une contradiction ou une imprécision, puis à déployer la preuve qui permet de déceler cette incohérence. Afin d'amplifier l'impact exercé par le moindre retournement de situation mis en scène, de nombreuses affaires exposent au cours de leur première phase au tribunal une situation initiale qui semble désespérée pour l'avocat de la défense, quand elle ne paraît pas perdue d'avance, tandis que le procureur accumule impitoyablement les circonstances aggravantes envers l'accusé. Si un personnage déclare catégoriquement qu'une action est irréalisable ou qu'une situation est impensable, le protagoniste peut subitement considérer que cette piste est en réalité envisageable, et il vous laisse alors le soin de justifier son intuition en sélectionnant la réponse ou la preuve attendue. Progressivement, à force de déceler des contradictions qui obligent le procureur à réviser son argumentation ainsi qu'à révéler de nouvelles informations, les mensonges sont débusqués, l'utilité réelle des preuves est identifiée et les enjeux des individus impliqués dans l'affaire sont dévoilés, tandis que les rebondissements et les révélations éclatent et s'enchaînent à un rythme effréné à mesure que l'intrigue gagne en ampleur et en complexité, comme pour mieux détourner votre attention des facilités et inconsistances sur lesquelles les différentes affaires relatées peuvent s'appuyer.
Afin de diversifier les puzzles à résoudre pendant les procès, The Great Ace Attorney Chronicles emprunte une mécanique de jeu qui a été introduite par Professor Layton vs. Phoenix Wright: Ace Attorney: lorsque plusieurs témoins sont simultanément appelés à la barre, l'un d'eux peut réagir à une remarque énoncée par l'un de ses confrères ou consœurs, que ce soit en laissant échapper une exclamation ou en manifestant de l'indignation. Ryunosuke peut alors interrompre la déclaration en cours pour interroger l'individu qui a été interpellé par celle-ci, et se montrer attentif à ces réactions est indispensable pour débloquer une situation qui s'est enlisée dans une impasse. En parallèle, les procès organisés à Londres se distinguent de ceux qui se déroulent au Japon par la présence d'un jury composé de six citoyens et citoyennes. Ceux-ci se permettent occasionnellement de réagir aux arguments avancés par l'avocat de la défense et par le procureur, avant de décider unanimement de voter le verdict coupable à certains stades précis du procès. Lorsque cette situation désespérée se produit pour la première fois au cours du troisième chapitre de The Great Ace Attorney: Adventures, Susato découvre dans l'un de ses livres une mesure qui a été délaissée par la cour londonienne depuis des années: la possibilité pour l'avocat de consulter l'avis des jurés en vue d'évaluer la pertinence de leurs propos. Ryunosuke est alors autorisé à effectuer une Summation Examination: cette phase qui s'inspire d'une mécanique de jeu de Professor Layton vs. Phoenix Wright: Ace Attorney permet au jeune avocat de demander à chaque membre du jury d'expliquer son vote, puis de confronter deux jurés dont les propos se révèlent contradictoires ou évoquent un sujet commun, afin de dénoncer des arguments arbitraires ou bancals et de pousser les personnages concernés à revoir leur jugement. Il suffit que quatre membres du jury acceptent de modifier leur verdict pour que le juge s'abstienne de condamner immédiatement l'accusé et que le procès continue. Les interventions des jurés ainsi que la Summation Examination qui en résulte sont si maladroitement intégrées à la narration qu'elles passent pour des deus ex machina peu subtils, dont l'unique rôle est de sortir Ryunosuke d'une impasse scénaristique, ou du moins de prolonger le procès jusqu'à ce que le procureur ou un témoin offre involontairement (et là encore souvent sans finesse) une nouvelle piste à explorer, que ce soit en présentant une preuve que notre avocat parvient à exploiter pour soutenir ses arguments ou en énonçant une remarque qui comporte une faille. Du fait que les situations prétendument désespérées qu'ils sont censés provoquer sont immédiatement désamorcées par une Summation Examination, les membres du jury s'apparentent en réalité à une facilité scénaristique. Ce constat est renforcé par le fait qu'au moins un juré se révèle être systématiquement utile dans chacun des chapitres dans lesquels le jury intervient, que ce soit parce qu'il connaît l'un des individus impliqués dans l'affaire en cours, ou parce qu'il exerce une activité personnelle ou professionnelle qui est liée aux évènements narrés par l'intrigue. Si les éléments de game design apportés par les jurés se révèlent être en adéquation avec la propension d'Ace Attorney à ponctuer ses intrigues de multiples rebondissements, il s'avère également qu'ils sabotent leurs propres intentions. Alors que les décisions votées unanimement par les membres du jury sont censées engendrer de la tension du fait qu'elles menacent de précipiter la condamnation de l'accusé, cette crainte se voit désamorcée dès la première Summation Examination. En effet, dès cette première occurrence, vous comprenez qu'à chaque fois que cette situation se reproduira, Ryunosuke devra immédiatement et systématiquement convaincre quatre jurés de revoir leur jugement pour sortir de l'impasse dans laquelle il risque de s'enliser. Ironiquement, le jeu lui-même semble avoir conscience du caractère poussif de cette mécanique: Ryunosuke peine à croire le juge lorsque ce dernier déclare que les membre du jury sont sélectionnés aléatoirement parmi la population londonienne, et il remarque de surcroît des jurés récurrents d'une affaire à une autre.
Comme pour mieux appuyer le caractère opportun des évènements qu'elle narre, la licence Ace Attorney adopte un ton emphatique qui transparaît particulièrement dans la mise en scène des procès. Ces derniers s'apparentent à des duels opposant un avocat de la défense à un procureur, et la série emprunte alors de nombreux codes aux jeux comportant des combats pour rendre ces joutes verbales dynamiques[4]. Dès le premier chapitre de The Great Ace Attorney: Adventures, lorsqu'il enseigne à Ryunosuke le rôle d'un avocat de la défense ainsi que les moyens dont celui-ci dispose pour soutenir son argumentation face au procureur et au juge, Kazuma emploie de nombreuses métaphores martiales évocatrices, tandis que son hachimaki[5] flottant au gré des courants d'air et que le katana qu'il porte contre son flanc gauche lui procurent l'allure d'un fier guerrier, qui est prêt à dégainer son sabre pour contrer les arguments de son adversaire ainsi que pour pourfendre tout mensonge ou propos erroné. Les dialogues sont constamment ponctués de bruitages percutants qui peuvent notamment évoquer des coups portés à un adversaire, ainsi que d'effets visuels cinglants, comme des tremblements d'écran ou des flashs qui suggèrent le choc émotionnel enduré par le personnage visé. Ces procédés contribuent à renforcer l'impact des répliques émises par les différents participants au procès ainsi que les échanges verbaux qui en résultent. Pour prendre l'ascendant l'un sur l'autre, l'avocat de la défense et le procureur peuvent s'interrompre mutuellement en clamant des expressions dont la brièveté résonne comme une injonction, comme "Objection!" ou "Un instant!" ("Hold It!" dans la version anglaise), avant d'exposer leurs arguments ou de ridiculiser leur adversaire juridique. Ces répliques sont écrites en rouge dans des bulles blanches ou jaune clair qui occupent tout l'écran comme si elles explosaient à la tête de leur destinataire, et elles sont doublées dans chacune des langues dans lesquelles les jeux ont été traduits afin de renforcer leur impact. Lorsqu'une révélation importante est sur le point d'éclater, les joutes verbales opposant ces deux individus s'intensifient, et ces interruptions émises pour contrer les arguments adverses se succèdent alors à un rythme effréné. Tandis que les réparties acérées et les railleries cinglantes fusent au gré d'argumentations tantôt dérisoires, tantôt irréfutables, les témoignages insidieux ainsi que les mensonges éhontés sont progressivement dénoncés en déployant des preuves comme s'il s'agissait d'armes. En parallèle, la gestuelle et les expressions de visage affichées par les différents participants au procès s'avèrent si évocatrices et emphatiques qu'elles donnent l'impression qu'ils sont littéralement blessés par ces paroles tour à tour audacieuses, insolentes, accusatrices ou véridiques, en plus de contribuer à définir leur personnalité. Les témoins et les jurés peuvent quant à eux faire preuve d'excentricité et se jouer aussi bien de l'avocat de la défense que du procureur ou du juge en émettant des remarques amusantes et décalées. Alors que le protagoniste parvient progressivement à défaire les innombrables mensonges, contradictions et approximations dans lesquels s'enlisent les différents témoins, ces derniers perdent peu à peu leur calme ou leur attitude désinvolte pour dévoiler leur vrai visage. Face aux incohérences décelées et aux preuves déployées, un personnage suspect peut finir par perdre sa contenance, et l'apparence qu'il adopte alors le fait ressembler à un antagoniste de RPG japonais. Les thèmes musicaux qui accompagnent les phases de témoignage contribuent à relater cette évolution de l'état d'esprit des individus convoqués au procès, car ils varient au gré des situations exposées. Lors des premiers contre-interrogatoires, le témoin questionné se montre confiant, car il croit à la véracité de son témoignage ou à la crédibilité des mensonges qu'il débite, ou parce qu'il ignore les imprécisions et les contradictions qui gangrènent son récit, et cette assurance est communiquée par un rythme musical lent. Ce dernier donne de surcroît l'impression de narguer Ryunosuke dans The Great Ace Attorney Chronicles, comme s'il mettait celui-ci au défi de rechercher des failles dans les témoignages qu'il écoute. À mesure que le protagoniste parvient à soulever des incohérences dans les propos de ses interlocuteurs et interlocutrices, le rythme de la musique s'accélère, comme pour suggérer le stress grandissant que ces individus ressentent face à leur incapacité à mentir efficacement ou à l'imprécision de leurs souvenirs, ainsi que la tension qu'ils éprouvent face aux lourdes répercussions qu'ils subiront si chacune de leurs erreurs est décelée. Le ton de cette variante peut également paraître plus entraînant, comme si elle prenait parti pour l'avocat et exprimait ainsi l'espoir que celui-ci nourrit de faire acquitter son client ou sa cliente. Lors des moments forts des phases au tribunal, les objections critiques énoncées par l'avocat sont accompagnées de musiques galvanisantes qui retranscrivent efficacement l'assurance que celui-ci gagne à mesure qu'il parvient à dénoncer les duperies, imprécisions et contradictions dans les témoignages qu'il analyse. La piste de la bande-son de Phoenix Wright: Ace Attorney intitulée "Cornered" exprime avec justesse l'intensité de ces passages: elle parvient à traduire simultanément la panique et le désarroi éprouvés par le vrai coupable, qui s'enlise dans une mauvaise foi et des mensonges de plus en plus évidents, ainsi que le sentiment de victoire ressenti par Phoenix, qui déploie sans répit et impitoyablement des preuves irrécusables et des arguments irréfutables. Néanmoins, la structure musicale de ces thèmes victorieux se montre plus mesurée dans l'OST de The Great Ace Attorney Chronicles du fait du point de vue plus nuancé que ce jeu expose: en effet, il s'attache moins à nous confronter à des antagonistes ambitieux et sans scrupule qu'à des personnages aux réactions plus humaines et aux motivations plus modestes (un point qui sera détaillé dans la suite de cet article). Si les phases d'exploration et de procès sont majoritairement soutenues par des musiques aux tonalités variées, certaines scènes sont plongées dans un silence pesant pour instaurer un sentiment de tension amorçant un retournement de situation majeur, une faille embarrassante que le procureur a relevée dans les arguments de l'avocat, ou encore une preuve décisive que le protagoniste s'apprête à dévoiler et qui renversera la situation en sa faveur. La musique s'efface également lorsque vous avez décelé une incohérence et déployé la preuve adéquate au cours d'un contre-interrogatoire, afin de mettre en valeur les arguments que l'avocat se prépare à énoncer pour justifier ses observations. Face à sa défaite judiciaire, le vrai coupable peut laisser éclater son désespoir et sa colère dans une profusion de paroles et d'animations aussi évocatrices que celles que manifesterait un boss majeur de RPG japonais après avoir été vaincu. L'accumulation de ces multiples procédés d'écriture, visuels et sonores garantit des procès palpitants qui ont forgé la réputation de la licence Ace Attorney, et qui parviennent à vous captiver jusqu'au verdict final du juge, les nombreux retournements de situation et révélations qui y sont dévoilés achevant d'accaparer votre attention pour mieux la détourner des facilités narratives et scénaristiques auxquelles ces jeux peuvent recourir. Si certains personnages peuvent employer de vraies armes pour exprimer leurs sentiments, pour soutenir leurs arguments ou pour se défendre contre la répartie d'un adversaire juridique, l'utilisation de celles-ci demeure toutefois symbolique, puisque les joutes que constituent ces procès reposent en réalité uniquement sur la rhétorique et l'argumentation. Franzisca von Karma (une procureure qui apparaît dans Phoenix Wright: Ace Attorney – Justice for All et dans Phoenix Wright: Ace Attorney – Trials and Tribulations) peut ainsi agacer précisément parce qu'elle s'oppose à cet état d'esprit ancré dans la série: comme le moindre individu qui ose la contrarier essuie des coups de fouet en plus de sa répartie cinglante, elle attaque ses interlocuteurs et interlocutrices aussi bien oralement que physiquement, alors que la "violence" est habituellement exprimée verbalement et non littéralement dans cette licence, ce qui crée un décalage qui peut sembler hors sujet, voire déplaire.
Citizens of the fog
Le ton emphatique typiquement associé à la série Ace Attorney est porté par des personnages volontairement caricaturaux ou théâtraux. Ces traits de caractérisation sont couramment utilisés dans les jeux vidéo japonais, les animes et les mangas, et si cette licence peut reprendre des poncifs récurrents de ces œuvres, elle a également élaboré ses propres stéréotypes au fil des épisodes. Dans les six volets principaux ainsi que dans The Great Ace Attorney Chronicles, le protagoniste est un avocat de la défense: cette profession l'apparente à un sauveur, car les individus qu'il défend juridiquement sont souvent convoqués devant le tribunal pour des crimes qu'ils n'ont pas commis. Face à un système judiciaire présenté comme défaillant, son credo majeur consiste à croire absolument en ses clients et clientes, quelles que soient les circonstances. Son apparente naïveté cache en réalité l'envie sincère de lutter contre l'injustice et de redonner espoir aux personnes découragées par les problèmes juridiques que la vie leur impose. Shū Takumi considère que l'avocat représente l'avatar du joueur: sa personnalité doit rester neutre pour favoriser la projection dans ce protagoniste, et il ne possède ainsi aucun trait de caractère saillant qui l'aiderait à se distinguer des autres personnages. Des pensées cyniques ou sarcastiques peuvent lui venir à l'esprit au cours des dialogues auxquels il prend part, car contrairement à lui, ses interlocuteurs et interlocutrices brillent à des degrés divers par leur excentricité. L'avocat de la défense démarre sa carrière juridique sous la direction d'un mentor qui est rapidement évincé par l'intrigue. Il est ensuite couramment accompagné par une jeune fille exubérante, énergique et enthousiaste: celle-ci voit le monde à travers le prisme d'une activité à laquelle elle compte dédier sa vie et qui peut lui permettre d'aider le protagoniste. Le procureur constitue l'antithèse de l'avocat de la défense et est considéré comme un antagoniste. Certains membres de cette profession personnifient les problèmes judiciaires auxquels l'avocat peut être confronté dans les affaires qu'il doit traiter, comme Manfred von Karma, qui est prêt à tout pour ne pas entacher sa carrière de défaites juridiques, y compris à condamner des individus innocents et à falsifier des preuves. D'autres procureurs comme Benjamin Hunter souhaitaient initialement devenir avocat, mais ont finalement opté pour la voie opposée à cause d'évènements traumatisants qu'ils ont connus au cours de leur vie et qui ont durablement altéré leur vision du monde. En tant qu'antagoniste qui participe à plusieurs procès de l'épisode dans lequel il apparaît, le procureur constitue souvent un personnage marquant, sa gestuelle maniérée et sa rhétorique théâtrale achevant de rendre mémorable chacune de ses interventions, quand il n'adopte pas une attitude menaçante, voire ouvertement hostile. Cependant, les stéréotypes exposés dans la licence Ace Attorney ne sont pas immuables: qu'ils endossent un rôle d'avocat, de procureur ou encore d'allié, certains personnages peuvent s'émanciper des carcans érigés par leurs semblables. Par exemple, Konrad Gavin (Klavier Gavin dans la version anglaise) est probablement le procureur le plus aimable de la série: contrairement à ses confrères et consœurs, il ne semble pas tourmenté par un passé difficile qui viendrait obscurcir son jugement, tandis que son intégrité le pousse à chercher absolument à faire éclater la vérité, quitte à aider son rival, l'avocat de la défense Apollo Justice. En outre, les procureurs susmentionnés tranchent radicalement avec celui qui intervient au début de chaque premier chapitre des jeux Ace Attorney dans lesquels le protagoniste est un avocat (ce qui inclut donc The Great Ace Attorney Chronicles): comme la première affaire constitue un tutoriel, elle vous oppose systématiquement à un procureur aussi incompétent que ridicule, qui tente vainement de dissimuler son incapacité à énoncer des arguments pertinents sous une rhétorique creuse et cousue d'imprécisions. Si la série Ace Attorney a établi ses propres codes d'écriture pour développer ses personnages, elle emprunte également des attitudes stéréotypées communes à de nombreuses œuvres japonaises, qu'il s'agisse de gestuelles récurrentes, comme le fait que Satoru Hosonaga remet régulièrement ses lunettes en place, ou d'archétypes comportementaux connus, comme le fait que Gina Lestrade agit comme une tsundere[6] à l'égard de Ryunosuke ou qu'Iris Wilson est une enfant génie. Cet aspect caricatural transparaît aussi à travers les signes de caractérisation saillants que peuvent arborer les témoins ou à travers la propension de ceux-ci à faire preuve de déformation professionnelle: ainsi, ils peuvent se rendre au tribunal en étant vêtus de leurs vêtements de travail ou voir le monde à travers le prisme de leur profession ou de leur passion, des attitudes qui sont également adoptées par les jurés dans The Great Ace Attorney Chronicles.
Qu'il s'agisse de membres du jury, de témoins, d'accusés ou encore de coupables, de nombreux personnages de The Great Ace Attorney Chronicles se montrent humains dans leurs intentions, leurs comportements et leurs réactions. Ils peuvent alors commettre des erreurs ou des actes répréhensibles malgré eux ou délibérément à cause de problèmes qui les affectent durement, du fait qu'ils ont subi dans le passé une situation traumatisante, parce qu'ils pensaient agir convenablement ou encore par amour pour un proche. Un cocher qui vit dans la pauvreté et qui est transi par le froid rude des nuits londoniennes a légèrement augmenté le tarif d'un trajet pour chacun de ses clients, afin de tenter tant bien que mal d'améliorer légèrement ses conditions de vie misérables. Au sein d'un couple dont l'indigence est trahie par des vêtements rapiécés, un bobby habituellement dévoué à son métier a enfreint une unique fois son devoir: afin de ne pas être contraint d'annuler la soirée au restaurant qu'il a promise à son épouse pour fêter le premier anniversaire de leur mariage, il a déplacé hors du périmètre qu'il était chargé de surveiller la scène d'un crime qui a été commis dans celui-ci. Une jeune femme issue d'un quartier pauvre a été témoin à son insu d'un meurtre, et elle a été contrainte sous la menace de déformer ses témoignages. Une médecin légiste réputée pour son travail irréprochable a commis dans le passé une erreur de verdict, et pour défendre l'honneur de la police britannique, elle a accepté de se soumettre au chantage d'un individu qui la menace de dévoiler publiquement cette faute professionnelle. Ces exemples constituent un échantillon des situations exposant la vulnérabilité et la perfectibilité des êtres humains mis en scène par les différents chapitres du jeu. Ainsi, bien que l'intrigue de The Great Ace Attorney Chronicles repose sur des enjeux internationaux, certaines des affaires qu'elle narre se déroulent à une échelle plus modeste et font intervenir des individus issus de diverses strates de la société londonienne à l'époque victorienne. En dépit du ton humoristique et emphatique propre à la licence Ace Attorney, les problèmes dont souffrent plusieurs témoins et jurés sont exprimés en filigrane ou évoqués explicitement dans leurs déclarations, que les situations abordées reflètent les inégalités sociales qui séparaient les différentes couches de la société victorienne ou qu'elles puissent être transposées à d'autres époques. Avant la conception de The Great Ace Attorney Chronicles, Shū Takumi avait pensé à mettre en scène des procès civils, mais ce choix l'aurait poussé à traiter des sujets sensibles et difficiles à trancher, comme la médiation entre les membres d'une famille se disputant un héritage. Si cette idée a été abandonnée, elle transparaît d'une certaine manière dans ce jeu à travers des personnages secondaires plus modestes et aux intentions égocentriques. Bien que les affaires de ce spin-off puissent sembler manquer d'ambition et d'enjeux par rapport à celles des volets principaux, elles ne sont pas décorrélées de l'intrigue pour autant, car leur présence est justifiée par les évènements narrés dans le dernier chapitre du jeu. En effet, l'antagoniste principal est aveuglé par sa vision manichéenne et contrastée de la population londonienne, ainsi que par des préjugés à l'égard des strates sociales les plus modestes, ce qui le pousse à considérer les problèmes qu'il soulève sous un angle binaire, alors que ses opinions préconçues se voient infirmées tout au long du jeu par la diversité de profils nuancés que chacun des procès relatés fait intervenir. La mesure dont fait preuve l'écriture des personnages et le ton moins léger adopté par ce spin-off transparaissent également à travers les juges, qui semblent plus crédibles qu'à l'accoutumé du fait qu'ils prennent ici leur rôle plus au sérieux. Le juge des épisodes principaux se montre impressionnable et influençable, pour ne pas dire naïf, en plus d'occasionnellement prendre parti contre l'avocat et l'accusé de façon totalement arbitraire. À l'inverse, ses deux confrères de The Great Ace Attorney Chronicles font preuve d'une plus grande impartialité et exigent aussi bien de l'avocat que du procureur que ceux-ci déploient des preuves recevables pour justifier leurs argumentations respectives.
Si The Great Ace Attorney Chronicles peut s'appuyer sur des poncifs établis par la série Ace Attorney pour élaborer ses personnages, il n'hésite pas pour autant à déconstruire certains de ces traits, à concentrer plusieurs d'entre eux dans un seul individu, ou au contraire à s'affranchir de ceux-ci. Ainsi, le procureur Barok van Zieks partage avec Benjamin Hunter son élégance, son attitude maniérée ainsi qu'un passé tragique, et il peut se montrer aussi intimidant que Manfred von Karma, mais à l'instar de Konrad Gavin, il est en réalité soucieux de découvrir la vérité des affaires qu'il traite au tribunal. Il en résulte un personnage complexe qui peut se montrer paradoxal dans son attitude, notamment lorsqu'il est confronté à des Japonais ou Japonaises. En effet, le mépris évident qu'il éprouve à l'égard du peuple nippon peut éclipser sa lucidité et son intégrité, voire le pousser à faire preuve de mauvaise foi, comme cela est le cas dans le quatrième chapitre de The Great Ace Attorney: Adventures, dans lequel il approuve des informations approximatives énoncées par l'une des témoins lors du procès de Natsume Sōseki, tandis qu'il adopte à l'égard de Ryunosuke pendant une grande partie de l'intrigue un comportement de défiance, voire d'hostilité. Des croyances populaires valent à Barok van Zieks d'être surnommé le Moissonneur du Bailey: comme pour mieux entretenir les rumeurs qui entourent ce titre peu flatteur dont il semble s'accommoder avec fatalité et résignation, son teint pâle le fait ressembler à un vampire, tandis que le vin rouge qu'il boit occasionnellement pendant les procès peut évoquer aux esprits les plus superstitieux le sang des individus qui ont perdu la vie quelques jours après avoir été acquittés. Il se montre impitoyable dans son rôle de procureur, car il s'obstine à incriminer l'accusé tant que les preuves et les témoignages exposés maintiennent sa suspicion de culpabilité à l'égard de celui-ci, et tant que Ryunosuke ne parvient pas à infirmer ses accusations au moyen de preuves recevables et d'arguments convaincants. Il dénonce implacablement chacune des imprécisions et des incohérences qu'il décèle dans les arguments du jeune avocat, que ce soit pour obliger celui-ci à approfondir les réflexions qu'il énonce, ou par souci de transparence, afin de comprendre ce qu'il s'est réellement passé au moment du crime. En effet, en dépit de son apparente froideur et de préjugés qu'il apprendra progressivement à étouffer, Barok van Zieks n'hésite pas à aider Ryunosuke lorsque celui-ci parvient à proposer des pistes qui méritent d'être explorées et à exposer des arguments qui s'avèrent irréfutables. Il peut de surcroît se montrer compréhensif, et ainsi exprimer de la mansuétude à l'égard de certains individus qui ont commis des torts malgré eux ou pour des raisons humaines. De nombreux autres personnages principaux se montrent perfectibles, à commencer par Iris Wilson (Iris Watson dans la version japonaise). Malgré son intellect exceptionnel et le fait qu'elle possède un doctorat en médecine à seulement dix ans, la jeune fille n'en demeure pas moins une enfant, une évidence que trahissent la candeur et la puérilité dont elle fait occasionnellement preuve. Son jeune âge la rend ainsi particulièrement impressionnable et sensible, comme le prouvent les péripéties qui sévissent dans le cinquième chapitre de The Great Ace Attorney: Adventures et qui l'affectent durement. Shū Takumi a choisi une enfant en guise de partenaire pour Herlock Sholmes, car il pensait qu'il serait intéressant que ce personnage ne soit pas un gentleman, une idée partagée par de nombreuses autres parodies de Sherlock Holmes. Le stéréotype de l'enfant génie évoque au character designer Kazuya Nuri le style gothique et le cliché du savant fou, deux thématiques qui transparaissent dans l'apparence, le comportement et les inventions d'Iris. Il explique également que son design a été pensé pour être en harmonie avec celui de Herlock Sholmes lorsque ces deux personnages apparaissent simultanément à l'écran. Afin de renforcer l'impact qu'ils peuvent exercer aussi bien sur Ryunosuke et Susato que sur les joueurs et joueuses, les personnages principaux possèdent chacun un thème musical qui illustre de façon convaincante leurs particularités respectives: qu'il s'agisse de la grandiloquence tragique de Barok van Zieks, de la vivacité d'esprit teintée d'espièglerie enfantine d'Iris, de la fierté déterminée de Kazuma, ou encore de l'excentricité fougueuse de Herlock Sholmes, l'état d'esprit de chacun de ces individus est efficacement retranscrit par ces musiques.
The resolve of Ryunosuke Naruhodo
Si Susato partage des traits de caractérisation avec les autres personnages féminins de la série qui accompagnent les avocats de la défense, à commencer par son entrain communicatif et le fait qu'elle s'investit avec enthousiasme dans une activité qui lui tient particulièrement à cœur (la lecture de livres retraçant les aventures de Herlock Sholmes), elle se démarque également de ceux-ci et forme avec Ryunosuke un duo attachant et complémentaire. Le jeune avocat tend à se montrer plutôt direct dans ses propos du fait qu'il répugne à flatter ses interlocuteurs et interlocutrices, mais il peut également perdre ses moyens lorsque son avis est sollicité ou face à des individus qui lui paraissent intimidants. À l'inverse, Susato se montre plus réfléchie et choisit soigneusement les mots qu'elle prononce afin d'aborder la conversation de manière polie et formelle. Shū Takumi explique que le personnage de Susato est défini par le terme japonais Yamato Nadeshiko, qui désigne une vision idéalisée de la femme japonaise et des qualités qui lui sont associées. Pourtant, en dépit de cette caractérisation fantasmée qui renvoie à une imagerie traditionnelle, Susato est également une jeune femme cultivée et digne. Elle possède de surcroît une certaine force de caractère, cette dernière transparaissant notamment lorsqu'elle se permet de punir Ryunosuke en exécutant une prise d'art martial dès que celui-ci débite des inepties. Si contrairement aux autres alliées de la licence, Susato ne possède pas d'aptitudes particulières (par exemple, Maya peut convoquer les esprits des défunts, tandis que Vérité (Trucy dans la version anglaise) peut effectuer des tours de magie), elle constitue en revanche une vraie assistante juridique. Outre le fait qu'elle dispose de connaissances en droit, elle enseigne cette discipline à Ryunosuke avant qu'ils n'arrivent à Londres dans The Great Ace Attorney: Adventures, et elle se charge des démarches administratives à chaque fois que Ryunosuke trouve un nouveau client à défendre. Elle se sert de l'éducation qu'elle a reçue et des connaissances que ses nombreuses lectures lui ont permis d'assimiler pour aider régulièrement le jeune avocat, que ce soit pendant les phases de procès, au cours desquelles ses interventions sont généralement pertinentes, quand elles ne permettent pas au duo de sortir d'une impasse, ou lorsqu'elle arpente avec Ryunosuke les rues de Londres pendant les phases d'investigation, au cours desquelles elle peut expliquer à son ami des différences culturelles entre le Japon et la Grande-Bretagne. En effet, comme nos deux jeunes protagonistes séjournent dans un pays étranger, ils sont régulièrement confrontés à des mœurs ou à des éléments culturels qu'ils ne connaissent pas ou ne comprennent pas, et que d'autres personnages peuvent éventuellement leur expliquer.
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Notes de bas de page
[1] Les six épisodes principaux de la licence Ace Attorney sont les jeux suivants: Phoenix Wright: Ace Attorney, Phoenix Wright: Ace Attorney – Justice for All, Phoenix Wright: Ace Attorney – Trials and Tribulations, Apollo Justice: Ace Attorney, Phoenix Wright: Ace Attorney – Dual Destinies et Phoenix Wright: Ace Attorney – Spirit of Justice.
[2] Les deux titres de la licence Ace Attorney qui ont pour protagoniste le procureur Benjamin Hunter sont Ace Attorney Investigations: Miles Edgeworth et Ace Attorney Investigations 2: Prosecutor’s Gambit. Depuis septembre 2024, ces deux jeux sont disponibles en Occident dans la compilation intitulée Ace Attorney Investigations Collection.
[3] Si Phoenix Wright et Ryunosuke Naruhodo sont en réalité tous deux japonais, le lien de parenté qui les unit paraît peu évident aux yeux du public occidental du fait des choix de localisation opérés dans les épisodes principaux. En effet, le pays dans lequel se déroule l'action dépend de la version concernée (par exemple, aux États-Unis pour la version anglaise, ou en France pour la version française), tandis que les noms et prénoms de nombreux personnages ont été modifiés. Ainsi, dans la version japonaise, Phoenix Wright s'appelle Ryūichi Naruhodō.
[4] Afin de filer la métaphore des procès dépeints comme des duels, le site officiel de The Great Ace Attorney Chronicles définit le genre de ce jeu comme une "bataille en salle d'audience" ("Great Courtroom Battle").
[5] Un hachimaki est un bandeau traditionnel japonais qui symbolise le courage et la détermination. Du fait des valeurs positives qui sont associées à cet accessoire, les Japonais et les Japonaises peuvent en porter lorsqu'ils sont confrontés à une situation exigeant des efforts (comme un examen scolaire).
[6] Le mot japonais tsundere désigne un stéréotype de comportement qui apparaît notamment dans les œuvres nippones et qui concerne principalement les personnages féminins. Une tsundere adopte initialement une attitude froide et distante à l'égard d'un autre personnage (généralement, ce dernier est un homme et constitue le protagoniste de l'œuvre dans laquelle il apparaît), avant de progressivement se rapprocher de celui-ci et de faire preuve de gentillesse à son égard.