Mais quand est-ce qu'on ira aux fosses aux ours, du coup ?

The Dark Project a été l'un de mes premiers jeux PC. J'étais encore jeune et pas bien adroit avec un clavier, mais j'ai persévéré, parce que c'était vraiment prenant. Après le petit tutoriel, qui introduit bien le personnage de Garrett (aussi bien en termes de maniabilité que d'identité) et les mystérieux Gardiens, on se retrouve dans cette première mission avec les trois gardes à l'entrée du manoir des Bafford. Leur conversation scriptée est toute bête, mais diaboliquement efficace pour plonger de suite le joueur dans le bain. On se sent vraiment dans la peau de Garrett. On commence à faire le tour du manoir, on reste perplexe devant les machines en tous genre qui parsèment cette cité bien médiévale. Ensuite, évidemment, on essaie de faire le malin, on se fait rapidement rétamer, et on se sent encore plus dans la peau de Garrett, une peau qui ne vaut pas cher. On flippe dès qu'on aperçoit une torche (ou pire, une lampe !) et on pousse un grognement de frustration en arrivant devant une pièce carrelée.

À quel point ce jeu est-il prenant ? Pendant des années, je n'ai jamais réussi à passer la deuxième mission, l'évasion de Cragscleft : les acrobaties dans les niveaux inférieurs demandaient un peu trop de dextérité, je me perdais facilement dans les couloirs (Dieu que j'ai pleuré de rage devant les cartes aussi élégantes qu'inutiles que Garrett trouvait malin d'emmener avec lui !) et je finissais toujours mâchouillé par un zombie, empoisonné par l'araignée du premier, ou bien éclaté au sol au bas de l'ascenseur (oui, j'étais vraiment aussi maladroit que ça). Autant vous dire que mon premier Marteleur, j'ai attendu longtemps avant de le voir. Et malgré ça, je m'amusais toujours. J'ai dû refaire le début de Cragscleft une centaine de fois et le manoir des Bafford le double (et le tutoriel, je ne vous dis même pas), et ça m'amusait toujours autant de me perdre, de voir comment les ennemis réagissaient à mes actions, d'essayer de trouver toujours davantage de butin. Vous en connaissez beaucoup, vous, des jeux qui sont tellement bons et prenants qu'ils vous font presque oublier à quel point vous êtes nul ? Qu'ils vous font presque oublier que vous n'avez vu qu'un niveau et demi sur quinze ?

Au fond, je crois que ne connaître qu'une infime fraction du jeu contribue au bon souvenir que j'en garde. À présent que je l'ai quasiment fini, je me demande si le jeune Tídwald aurait vraiment apprécié de passer des heures à tourner en rond à la recherche du cor de Quintus dans la troisième mission, avec encore plus de zombies (soupir excédé). Je ne crois pas qu'il aurait pris son pied dans l'épouvantable mission de la guilde des voleurs (un ajout dispensable de la version Gold), avec ses enfilades de pièces vides dans une carte absurdement immense et labyrinthique. C'est un défaut que l'on retrouve en partie dans les niveaux qui suivent : tortueux pour le seul plaisir d'être tortueux, ils sont construits avec une mentalité de concepteur de jeu vidéo et pas d'architecte, ce qui nuit un peu à l'immersion. Et Dieu que cette Cité est vide !

Mon appréciation du jeu est évidemment colorée par ma connaissance du deuxième opus de la série, bien plus satisfaisant à tous égards à mon sens, avec des niveaux conçus de façon plus logique et crédible, qui mettent davantage l'accent sur l'environnement urbain et les adversaires humains que sur les mondes engloutis à la Tomb Raider remplis de bestioles bizarres. Mais même ainsi, ce premier Thief reste une expérience vidéoludique remarquable, avec autant de façons d'y jouer que de joueurs. Même ses décors anguleux et ses personnages hideux contribuent à son charme.