NARRATION
Histoire : ★★☆☆☆
Si la série des Souls a toujours fait le pari de proposer un récit avare en mise en scène, c’est pour mieux laisser au joueur le soin de décrypter son histoire par lui-même. Dark Souls III n’échappe ainsi pas à la règle : l’Âge du Feu arrive à sa fin, et avec lui, le monde de Lothric menace de s’éteindre. Afin de raviver la Première Flamme, les Seigneurs des Cendres, illustres champions, doivent à nouveau se sacrifier comme ils l’ont déjà fait par le passé ; seulement voilà, les Seigneurs ont cette fois abandonné leurs trônes… Il revient donc à nous, insignifiante Morteflamme, de les traquer et de voler leurs Âmes, afin de ranimer le cycle éternel. Mais ce monde à l’agonie, ne subsistant que grâce à des générations d’immolations sur l’autel de la Première Flamme, mérite-t-il vraiment d’être sauvé ? N’est-il pas plutôt préférable de le laisser s’éteindre, pour qu’il puisse mieux renaître de ses cendres ? Et n’est-il pas venu le temps pour les Hommes, si longtemps manipulés par les Seigneurs et maudits par la Marque Sombre, de prendre enfin en main leur destin ?
Personnages : ★★★☆☆
Si l’avatar du joueur, entièrement customisable, est logiquement dépourvu de personnalité, Dark Souls III présente aussi une galerie de personnages secondaires avec lesquels il est toujours plaisant d’interagir. L’ensemble de ce casting hétéroclite est d’ailleurs très bien doublé en version originale, leur prêtant des chuchotements et des ricanements qui s’accordent parfaitement à l’ésotérisme de l’univers, et le fait de retrouver ses compagnons au Sanctuaire de Lige-Feu (le hub central du jeu) aide d’autant plus à rendre ces visages mémorables. On retiendra en particulier la dévouée et délicate Gardienne du Feu qui accompagnera notre voyage jusqu’à la toute fin, peu importent nos choix.
Univers : ★★★★★
Comme ses aînés, Dark Souls III choisit de sacrifier sa narration directe au profit d’un univers gargantuesque, un univers qui regorge de mythes et d’anecdotes qu’il laisse au joueur le loisir de découvrir ; c’est en effet tel un archéologue qu’il nous faut se plonger dans les descriptions d’objets, les dialogues sibyllins et la narration environnementale afin de recoller les morceaux de cette nébuleuse mythologie. Le monde de Lothric dépeint les ruines de civilisations passées, des princesses et des héros déchus, des sociétés occultes œuvrant pour de sombres desseins, des démons enfouis sous terre et des magies noires qu’il serait préférable d’oublier… Un lore passionnant à découvrir.
JEU
Game Design : ★★★★★
Ce n’est pas pour rien que les Souls ont inventé un genre portant leur nom, les souls-like : le game design peaufiné par Hidetaka Miyazaki n’a en effet jamais été aussi efficace, addictif et cohérent. Dans l’absolu, les Souls ne proposent que des phases d’exploration et de combats, a fortiori moins pêchues que dans un classique jeu d’action-aventure ; mais les juger ainsi serait passer à côté de tout le sel que procure un jeu Fromsoftware. On pourrait par exemple citer la possibilité d’envahir ou d’aider un autre joueur, ou encore ses nombreuses mécaniques de jeu de rôle. Mais outre ces divers systèmes, dont certains pourraient hâtivement être décrétés trop punitifs (le retour aux feux de camps, la perte des Âmes, la difficulté inhérente aux affrontements…), Dark Souls ambitionne avant tout de vous absorber dans une aventure dont vous ne ressortirez pas indemne : ici, chaque pas en avant, chaque coup porté à l’ennemi est un investissement dont les répercussions peuvent se payer cash. L’implication du joueur y est donc totale, et lorsqu’au summum de l’expérience, il arrive enfin à surpasser un boss qui lui barrait la route, le sentiment d’accomplissement y est inégalé. La série apprend ainsi l’humilité, la patience et la persévérance ; elle apprend aussi l’échec et la souffrance, c’est vrai, mais seulement pour délivrer, au final, la volonté de se surpasser.
Gameplay : ★★★★★
Un gameplay simple à prendre en main mais dont les subtilités rendent ô combien complexe à maîtriser. Loin des combats frénétiques d’un beat’em all, quoiqu’agréablement plus maniables que par le passé, les affrontements de Dark Souls III, personnalisables grâce à une panoplie d’armes diverses, s’apparentent tantôt à une partie d’échecs, tantôt à un test de sang-froid : qui frappera le premier ? Est-il préférable d’esquiver en anticipation, ou d’attendre le dernier moment pour parer ? Vaut-il mieux profiter de l’accalmie pour se soigner, ou pour porter le coup fatal ? Les combats de boss, à leur apogée dans ce troisième épisode, représentent bien sûr l’apothéose de l’expérience, proposant des défis épiques et variés dont il faudra connaître les artifices pour en triompher. Car c’est là toute la force des Souls : vous donner toutes les clefs pour accomplir votre odyssée, puis vous laisser comprendre par vous-même (et par l’échec) le chemin restant à parcourir avant de vous améliorer. Addictif…
Level Design : ★★★★★
Sans atteindre le génie de world design du premier Dark Souls, au monde semi-ouvert imbriqué sur lui-même, ce troisième opus gagne en rythme et en maîtrise ce qu’il perd en liberté. La vingtaine de zones labyrinthiques, prises séparément, relèvent toujours de l’excellence : les raccourcis sont à nouveau savamment distillés (les feux de camp un peu moins), les culs de sac regorgent de secrets et d’objets à looter et les ennemis sont toujours aussi bien placés, constamment parés à l’embuscade. De nombreux niveaux restent d’ailleurs à l’esprit, à l’image de la tentaculaire Cathédrale des Profondeurs, dont il faudra visiter le cimetière, les contreforts et les toits avant de pouvoir pénétrer à l’intérieur, la magnifique Irithyll de la Vallée Boréale, aux ruelles enneigées et traversées par des ombres éthérées, l’imposant Château de Lothric, ses dragons et ses chevaliers redoutables, ou encore le Pic du Dragon Ancien, dont les rayons lumineux cachent un secret Sans Nom que bien des joueurs auront eu du mal à percer…
PERSONNALITÉ
Direction artistique : ★★★★★
Une beauté fanée, voilà comment mieux décrire le monde de Lothric. Héritant du même moteur physique que son cousin Bloodborne, Dark Souls III s’offre une direction artistique plus chatoyante mais tout aussi mélancolique que ses aînés : châteaux, cimetières, cathédrales, marécages, forêts, ruines, donjons… C’est ici tout l’éventail de la dark fantasy qui est superbement illustré, inspiré de l’Europe médiévale gothique mais aussi de références plus originales, comme
la façade d’Anor Londo, jumelle de la cathédrale de Milan,
ou encore le Pic du Dragon Ancien, aux faux airs de basilique Sainte-Sophie délabrée. On retiendra aussi quelques panoramas à couper le souffle, comme celui d’ouverture au Grand Mur de Lothric, ou bien à la sortie des catacombes, donnant sur la splendide Irithyll. Les ennemis et boss sont quant à eux magnifiquement conçus, entre chevaliers imposants et monstruosités horrifiques ; déambulant dans les niveaux décrépis de Lothric, ils inspirent tant la majestuosité que la crainte et le malaise, à l’image de la Danseuse de la Vallée Boréale, dont les déplacements gracieux mais inhumains fascinent autant qu’ils glacent d’effroi.
Ambiance : ★★★★★
A l’instar de son univers à l’agonie, Dark Souls III se propose de nous plonger dans une atmosphère mélancolique, parfois teintée de relents d’horreur ou d’envolées lyriques. Le jeu fait le choix judicieux de ne pas accompagner ses phases d’exploration de musiques d’ambiance (à l’exception du Sanctuaire de Lige-Feu), nous laissant souvent seul face aux lamentations du vent et aux râles de nos ennemis, renforçant ainsi le sentiment romantique d’être insignifiant face à un environnement qui nous dépasse. Parmi les ambiances sonores marquantes, on peut relever le Donjon d’Irithyll, dont les cris glaçants traversent les cachots, ou encore les notes tristes mais réconfortantes de Lige-Feu, aux travées familières qui s’apparentent le plus à la chaleur d’un foyer.
Musiques : ★★★★☆
Des musiques épiques et grandioses, aux orchestrations souvent accompagnées de chœurs entêtants. Parmi les partitions à retenir, la mélodie des Veilleurs des Abysses, les envolées homériques de Vordt ou des Princes Jumeaux, et bien sûr le thème principal. On regrettera seulement un manque de diversité dans les tonalités, à l’exception peut-être de la splendide musique d’épilogue, qui délaisse enfin l’épique pour la nostalgie.
Réputé plus grand public et moins original que son illustre aîné, Dark Souls III peaufine malgré tout la recette des Souls pour en tirer une aventure exceptionnelle : ses musiques splendides, sa direction artistique variée et son gameplay aux petits oignons, à l’image des meilleurs combats de boss de la série, n’auront jamais été aussi maîtrisés. Après avoir arpenté en long, en large et en travers les allées crépusculaires de Lothric, survécu à ses innombrables guet-apens et vaincu non sans douleur les Seigneurs des Cendres, c’est avec nostalgie et le sentiment du devoir accompli que l’on découvre la digne conclusion de cette saga incontournable. Jamais l’expérience Fromsoftware n’aura été aussi addictive, immersive, géniale.