Il avait fait couler beaucoup d'encre, à la fois attendu et craint, et rien de ce qui avait filtré avant que je puisse mettre la main dessus ne m'avait préparé à un tel jeu. Ca aurait été peu dire que le nouveau Hideo Kojima, le premier avec son studio, allait diviser. Car même une fois terminé, on reste avec un avis partagé sur cette expérience qui nous a autant subjugué par moments qu'elle nous a ennuyé à d'autres.

Tout démarre avec une virtuosité déconcertante. La scène d'introduction dépeint ce monde en ruines, habité par ces entités invisibles qu'une pluie mortelle annonce. Les animaux fuient pour leur vie et une grotte fera temporairement office de refuge.
Nous sommes Sam Porter Bridges, coursier d'un genre nouveau bientôt embarqué dans une histoire de reconnexion qui le verra traverser des Etats-Unis ravagés par ce Death Stranding. Le premier choc est indéniablement visuel. Ce monde, cette ambiance sombre et oppressante qui se fait sentir dès qu'on met les pieds dehors lors de notre première mission, Kojima l'exacerbe avec une mise en scène qui n'a rien à envier au cinéma. Austère et magnifique dans cette connexion perpétuelle entre deux univers fantasmés, ce jeu post-apocalyptique où les morts et les vivants se partagent l'espace est dans ses premiers instants terriblement anxiogène. Les échoués, spectres noirs, nous apparaissent comme impitoyables et notre première confrontation avec eux rappellent les particules noires des immortels d'Ajin. S'accroupir, se déplacer lentement, s'immobiliser, retenir sa respiration, faire le mort, se faire repérer et courir pour notre vie poursuivi par des traces de pas dans une marée noire. Le titre joue sur son univers original mais aussi sur le fait que nous n'avons jamais rien vu de similaire avant et cette peur de l'inconnu fonctionne admirablement bien au début. Qu'adviendra-t-il de notre pauvre Sam si nous nous faisons engloutir par ces âmes voulant nous entraîner par le fond ? Cette première nuit de noce funèbre à la sortie d'un incinérateur rappelle bien sur Metal Gear Solid sur son principe de discrétion dans le gameplay mais donne une profondeur pessimiste bien plus palpable. Quand je joue à un jeu, je le vis et pour le coup, l'effet fut immédiat.
Malheureusement sur la durée, les choses se gâtent et rester à un tel niveau paraissait difficilement possible.

Si graphiquement, le titre de Kojima nous offre un environnement magnifique dans des paysages islandais fourmillant de détails et qu'on se laisse aller à tourner la caméra pour observer ce qui nous entoure, en se disant, "tiens, je vais sauvegarder et juste aller voir là-bas, derrière cette colline ce qu'il y a et tant pis si je m'écarte temporairement de mes livraisons en cours", on rentre très vite dans une routine rébarbative visant à vérifier son équipement, planifier son trajet, marcher d'un point A à un point B, ralentir sous cette pluie noire, et recommencer.
La musique de Low Roar, collant parfaitement avec nos pérégrinations de livreur UPS prêt à braver tous les dangers et les paysages changeants ne suffiront pas à nous éblouir perpétuellement.
Sur cette carte qui découpe le jeu en 3 grandes parties, la première arrive presque à venir à bout de l'intérêt suscité par les premières minutes. L'histoire fait du surplace pour nous permettre d'appréhender ce gameplay particulier où les lois de la physique et les limites biologiques ne sont pas oubliées. Une lenteur qui viendra je pense à bout de tous ceux qui voudraient s'évertuer à honorer toutes les commandes secondaires.
Il faudra presque ramer dans la première moitié du jeu, porté à bout de bras par le talent narratif de Kojima dans cette atmosphère de fin du monde pour véritablement trouver un souffle qui nous poussera vers la fin.

La seconde grande partie au milieu de cette deuxième zone de livraisons relance notre intérêt et chaque nouvel environnement accompagné par l'évolution de notre équipement nous offre son lot de surprises et de difficultés. C'est indiscutablement la découverte qui nous tient en haleine. Le réseau chiral se développe, les autres joueurs nous aident, des routes se construisent pour nous permettre de soulager un peu notre chemin de croix, pour délaisser nos pieds pour des véhicules bienvenus mis à notre disposition, les camps de mules, ces porteurs devenus accrocs aux livraisons (si si), deviennent de moins en moins hostiles, les échoués aussi et on se surprend à délaisser un peu le côté furtif et précautionneux des premières heures pour foncer dans le tas à grands coups de balles hématiques et autres armes sophistiqués. Mais malheureusement, entre ces moments d'action, il faut marcher. Encore.

Le côté inégal du titre vient de ce manque de dosage qui fait osciller le jeu entre de rares pics de perfection dans la narration, bien souvent agrémentés de phases de combat prenantes contre ces mystérieux ennemis charismatiques que sont Higgs et Cliff, mais aussi contre ce bestiaire surprenant, et des longues marches devenant rébarbatives une fois les spécificités du terrain maîtrisées. Derrière ces ennemis, comme pour Norman Reedus dans le rôle de notre héros, et tous les personnages que l'on croise, on retrouve des acteurs qui ont prêtés leurs traits à cette aventure. Et le plus marquant d'entre eux reste Mads Mikkelsen dans le rôle de Clifford Hunger, bien décidé à mettre la main sur notre bébé détecteur d'échoués, dans des phases de combat ultra-stylisées qui prennent place au milieu des plus marquants conflits armés (première et seconde guerre mondiale, Vietnam).

Finalement avec un peu de persévérance, en se faisant violence et aussi parce que derrière cette originalité se cache une histoire qu'on veut mener à son terme, on entame la dernière ligne droite, tout aussi prenante que lorsqu'on faisait nos premiers pas. Les masques tombent, notre quête prend doucement tout son sens et on reste admiratif devant les cinématiques qui lèvent le voile sur le message très humaniste (bien qu'un peu cliché) autour duquel s'est organisé ce monde dans lequel la mort semble avoir pris bien trop de place.

Alors qu'on y ait trouvé son compte ou pas, qu'on ait adoré ou détesté, on ne peut pas enlever à ce Death Stranding le mérite d'avoir tenté quelque chose d'osé, hors des sentiers battus, d'avoir parfois flirté avec la perfection malgré ses erreurs de rythmes. Kojima est un génie pour certains, un imposteur pour d'autres et ce n'est pas ce road trip halluciné aussi splendide que déroutant qui réduira la frontière entre ses adorateurs et ses détracteurs. Personnellement, avec tant d'audace et de trouvailles, même si ma note a fait du yoyo tout au long de ma traversée d'est en ouest, c'est finalement le constat que cette expérience, à l'image d'une vie, aussi inégale soit elle, vaut la peine d'être tentée. Et si à la fin, vous n'obtenez pas la vérité, il vous restera le voyage.

RicowRay
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le 12 juin 2020

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RicowRay

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