Demon's Soul de From Software. Un développeur de jeux oscillant entre le bon et le moyen signe là un grand classique du jeu-vidéo japonais qui fera date dans son histoire. Hyperbole ? Pas vraiment, car ce RPG qui ne paie a priori pas de mine est bien l'une des productions les plus innovantes parues ces dernières années sur consoles.

On a souvent parlé du titre pour sa difficulté, il est vrai très relevée. Demon's Soul est un jeu qui renoue avec la vieille école : sans pitié ni assistanat, il vous faudra parcourir les 5 niveaux pour terrasser les boss et récolter leurs précieuses âmes et nettoyer de l'invasion démoniaque le royaume de Boletaria. Un scénario plutôt basique, qui n'empiète que très peu sur le temps de jeu. C'est assez dommage, il aurait été sympathique de donner ne serait-ce qu'un background aux boss qui sont tous extrêmement imposants dans leur design et qui auraient pu être le fil rouge de la narration. Mais à part une introduction et une conclusion (assez brève), il ne faut pas attendre de Demon's Soul une grande histoire, ni même une histoire. L'intrigue reste en retrait tout du long, cédant plutôt la place à l'ambiance. Et là, les fans de Dark Fantasy apprécieront. Plus médiéval que fantastique, sombre et esthétiquement léché, Demon's Soul n'est pas sans rappeler Berserk de Kentaro Miura dans son approche de l'univers médiéval. Les cinq niveaux parcourus proposent tant d'atmosphères différentes, du donjon qui tombe en ruine à la forteresse au bord d'une falaise en passant par la prison isolée.
Une élégance soulignée par une technique correcte qui ne bouleverse rien mais qui offre à la direction artistique le potentiel et la propreté nécessaire pour s'exprimer. Les panoramas dépouillés renforcent cette ambiance désolée de royaume tombé en décrépitude.
Le level-design, suffisamment ouvert, confère au joueur la véritable impression d'être un explorateur lâché dans des environnements hostiles et désertés depuis des siècles. Pourtant, le sentiment de solitude n'est pas complet. Sans cesse, les fantômes des autres joueurs apparaissent de temps à autres à l'écran, de même que des messages laissés avertissent l'imprudent d'éventuels dangers. Parfois, il faudra même faire face à un joueur téméraire décidant d'envahir votre monde, pour vous aider ou vous défier. Pourtant, ces interactions en ligne assez nombreuses ne viennent jamais casser le sentiment de solitude extrême qui se dégage du titre. Dans Demon's Soul, l'autre joueur est un vestige, sa présence est palpable mais jamais ostentatoire. Une interaction entre différents "plans" de jeu assez brillante et novatrice qu'on était franchement pas en droit d'attendre d'un RPG japonais.
Mais si Demon's Soul est difficile, c'est aussi tout simplement à cause de son gameplay. Les habitués de la sauvegarde automatique, des objets regénérants distribués dans tous les recoins de niveaux et aux boss à base de QTE seront ici très déboussolés. Demon's Soul ne prend jamais le joueur par la main, et le laisse découvrir ses très nombreuses mécaniques de jeu. Un jusqu'au-boutisme qui confère parfois hélas à l'archaïsme pur : pas de map en dépit de niveaux labyrinthiques, impossibilité de mettre le jeu en pause... l'immersion c'est bien, mais ces choix sont peut-être un poil trop extrêmes, et ne renforcent pas forcément le sentiment de difficulté, mais plutôt de frustration. Des fautes mineures dans la conception du jeu qui reste globalement inspirée et cohérente.
Selon le karma du joueur, et celui du niveau dans lequel il évolue, différents événements se produiront, des personnages divers feront leur apparition (ou pas, selon les actions du joueur encore une fois). Le niveau des ennemis s'ajustera aussi en fonction de ce karma. Bref, le jeu n'est jamais prévisible et s'adapte en permanence au joueur, sachant le punir lorsqu'il fait preuve d'incompétence ou d'imprudence, et le récompenser lorsqu'il sait prendre les bons risques et réussir les bonnes épreuves. Demon's Soul n'est ainsi pas un jeu basé sur l'apprentissage par l'échec mais sur la persévérance. Il faut savoir dompter les mécaniques de jeu et les employer à bon escient. Au corps à corps, il faut user des bonnes techniques au bon moment contre les bons adversaires. On se sent vraiment, durant les duels, comme un vrai bretteur, plaçant bottes, esquives et parades et sachant que l'issue sera fatale au moindre échec. Un sentiment très largement amplifié durant les combats contre les boss, pleins de tension, mais dont l'issue est extrêmement gratifiante.
Il n'empêche que la mort, dans Demon's Soul, est omniprésente. La mort est un élément de game design. Si vous mourrez, point de game over. Simplement, vous serez changé en spectre : votre jauge de vie diminuera, mais vous serez plus discrets. Impossible, pour un autre spectre d'envahir votre partie dés lors. Un état qui a donc ses avantages et ses inconvénients. Et pour les joueurs désireux de ressusciter, deux options : l'utilisation d'un objet assez rare dans le jeu, ou alors l'invasion du monde d'un autre joueur "vivant". Deux autres options s'offrent alors à vous : envahir son monde pour le tuer, ou pour l'aider à vaincre le boss du niveau en cours. L'issue, dans les deux cas, est la même : vous retrouvez forme humaine. Excellente interaction entre les différents états et le mode en ligne donc.

Demon's Soul, ce n'est donc pas un jeu qui renoue avec les productions d'antan malgré sa difficulté. Au contraire, c'est un jeu extrêmement moderne et innovant à quasiment tous les égards, brillant dans ses mécaniques de jeu et aussi novateur qu'intransigeant dans ses choix de game design. Pas une vieillerie, mais plutôt une réminiscence, une résonance de ce que fut, un temps, la production japonaise la plus audacieuse. Pas uniquement parce qu'il est difficile, mais parce qu'il met un point d'orgue non pas seulement à poser ses idées mais à se les approprier. On ne souhaite pas que tous les jeux du genre soient comme Demon's Soul, certainement pas, on souhaite qu'ils soient aussi constructifs dans leurs domaines respectifs, aussi uniques dans leur atmosphère, qu'ils sachent cultiver ce sentiment de rareté.
Demon's Soul se pose donc en opposant logique au caractère générique de la production récente du genre. Fascinant, brillant, éprouvant, voilà l'une des productions japonaises sans concessions de cette génération de consoles.
Jben
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le 23 oct. 2010

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Jben

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