Deponia: The Complete Journey
7.8
Deponia: The Complete Journey

Compilation (2014PC)

Ce test ne révèle pas de point majeur de l'intrigue mais il étudie en détail les thèmes et ressorts scénaristiques du jeu, ce qui pourrait gêner ceux désireux d'en savoir le moins possible.


Cette compilation des 3 premiers volets de la trilogie Deponia, mis bout à bout sans interruption et avec un seul générique de fin, forme l'histoire complète de Rufus, le monsieur catastrophe de son village, dont le but éternel est de quitter sa planète poubelle Deponia et s'envoler vers l'inatteignable Elysium. On démarre sans tunnel de dialogue qui nous expliquerait le lore, on comprend dans l'action pourquoi Rufus veut partir et comment le perçoivent ses compatriotes et on embarque sans attendre dans sa suite de mésaventures qui vont le mener à rencontrer l'élysienne Goal, tenter de la ramener chez elle avec lui à ses côtés, et esquiver les maléfiques troupes de l'Organon qui semblent avoir de sombres desseins pour sa planète natale.


D'emblée le contact avec le jeu est bon : les graphismes sont chatoyants, le gameplay de point & click est banal mais clair et surtout l'anti-héros que l'on incarne est une usine à gags. Il est bête, puéril, toujours sûr de lui et de ses compétences inexistantes, sans aucun sens moral, mais parvient toujours accidentellement à ses fins après être passé du plan D au plan W. Les gens qui le connaissent sont blasés au possible et ne manquent pas de nous informer des nombreux cataclysmes qu'il a pu déclencher par le passé. Les dialogues sont marrants, les expressions faciales pleines de suffisance de Rufus aussi et les solutions à ses problèmes ne manquent pas de piquant, on est bon.


Les énigmes elles-mêmes sont assez bien vues. Le jeu trouve le moyen de nous mettre les indices en valeur, par exemple lorsque l'on parle avec un personnage les lignes de dialogues disparaissent lorsqu'on les a utilisées sauf si elles indiquent une action que l'on a besoin d'effectuer, ce qui permet d'avoir en tête les tâches dont on devra s'occuper. Le jeu propose d'ailleurs un bon récapitulatif des objectifs et sous-objectifs à accomplir, et il permet parfois d'avoir un indice sur la marche à suivre non pas en nous expliquant comment débloquer son chemin, mais en dévoilant quelle situation on devrait chercher à provoquer. Cela nous offre donc une idée à creuser plutôt qu'une réponse trop claire à nos questions. Globalement le jeu arrive à orienter notre raisonnement par les descriptions de ses objets et les dialogues que Rufus répète, un très bon point.


Il y a cependant des exceptions, des moments où l'élément important à retenir n'est pas répété et peut ainsi être oublié par le joueur qui le prenait pour un gag passager. On a aussi des situations qui se résolvent de manière un peu différentes de la normale, comme avec un pêcheur qui nous soutient que sa patience est à toute épreuve, mais quelques ratés parfois. Ainsi on a un moment qui repose sur une pensée outside the box, mais si on ne choppe pas tout de suite le raisonnement ou qu'on n'a pas l'habitude des résolutions méta on peut passer à côté pendant des heures sans avoir d'indice qui nous aide vraiment, on finit alors par chercher une soluce avant de hurler au scandale pour réclamer aux développeurs la restitution de notre temps perdu. Le jeu n'évite pas non plus quelques moments où la solution est bien moins logique que les tentatives que le jeu nous refusait (je ne peux pas traverser ce terrible précipice de 1m de long alors que ma chaise longue va pourtant assez loin pour faire un pont de fortune, mais c'est "ça" qu'il fallait faire pour franchir l'obstacle?), et il m'est arrivé de ne pas bien saisir qu'un taureau mécanique devait être considéré comme un vrai taureau plutôt qu'une machine. Mais à l'échelle des point & click les Deponia s'en sortent bien et limitent leurs moments de frustration, grand merci d'ailleurs pour la fonction qui permet d'afficher tous les éléments interactifs, bien implémentée dans les jeux du genre actuels mais qui a cruellement manqué dans certains vieux hits.


Il y a toutefois un truc à dire sur le fil logique qui nous fait résoudre nos problèmes, car je l'ai d'abord perçu comme un défaut avant de le voir comme une qualité. Souvent Rufus va manifester son envie d'obtenir tel ou tel objet inaccessible ou réclamer un service très précis à un personnage qui refuse (pas fou le gars), on comprend ainsi qu'on doit satisfaire cet objectif mais sans savoir pourquoi. La raison nous sera généralement donnée plus loin, quand on aura assez progressé pour avoir besoin de pâtée pour chat, mais sur le coup on s'attèle à ces défis sans véritable raison, juste parce que le jeu nous y invite et qu'on se doute que ce n'est pas pour rien. Cela me donnait l'impression de jouer au pif et de découvrir après coup en quoi mes actions allaient m'aider, ce n'était pas très satisfaisant. Mais il se trouve que c'est exactement la manière dont Rufus fonctionne : il veut tout ce qui lui passe par la main par caprice, il met le bazar par plaisir infantile et par chance ça l'aide dans sa quête. Il y a des situations que j'ai lancées uniquement pour voir ce qui se passerait si j'utilisais tel objet avec un élément qui correspond à la même thématique, par pure curiosité (ex : une sucette et un bébé, ça va bien ensemble non ?), et cela déclenche une suite d'événements qui n'était pas du tout calculée par Rufus mais qui va le débloquer. Le jeu nous amène donc à faire consciemment ce que son personnage ne produit que par instinct et nous laisse ensuite utiliser le fruit de nos efforts quand le moment sera venu. Ce caractère nonchalant de l'anti-héros est d'ailleurs parfaitement cohérent avec le game-design du point & click, ce qui n'est pas systématique avec le genre : quand un jeu nous demande de s'approprier tout ce qui se ramasse et de contourner les interdits par la ruse, c'est bien qu'il nous fait incarner un filou kleptomane.


Cette cohérence va plus loin car elle concerne le thème filé des 3 jeux : Rufus est un égoïste qui fout le bazar partout où il passe, soit pour servir ses intérêts soit parce qu'il ne maîtrise rien. Dans le 2e volet, le bien nommé Chaos on Deponia, la plupart de nos objectifs consistent à réparer nos propres erreurs et n'aboutissent qu'à encore plus de problèmes. Les développeurs ont eu des idées SF assez folles pour rendre les situations les plus confuses possibles avec des chassés-croisés qui embrouillent tous les personnages, c'est très drôle à suivre. Il est fréquent que l'on élabore un tour très réfléchi et logique, et qu'il foire lamentablement avant de créer un enchaînement d'actions-réactions qui aboutit à un résultat imprévu mais qui fait l'affaire. Il n'est pas rare non plus que nos stratagèmes impliquent de pourrir la vie de personnes qui n'ont rien demandé, il y a même un peu de maltraitance envers des animaux. Cela tombe bien car l'histoire va confronter Rufus à son caractère épouvantable pour le forcer à se remettre en question, à voir à quelles extrémités il serait prêt pour atteindre Elysium.


Je vais quand même devoir parler d'un sujet qui me fâche, la localisation française. Les voix sont en anglais ou en allemand, avec un excellent doublage pour le 1er cas qui est le seul que j'ai testé. La traduction française ne pose généralement pas de soucis, mais elle connaît quelques fautes d'orthographes et d'autres fautes de goût plus disgracieuses encore. Je me souviens d'un moment où les refus de Rufus concernant l'action à faire sur un objet précis étaient très courtes en anglais et jouaient sur des jeux de mots concons, sa 2e ligne de dialogue étant "Noooot", alors qu'en français on avait droit à une yo mama bien plus longue, ça n'avait aucun sens d'avoir toute une phrase qui ne restait à l'écran que le temps que Rufus prononce son unique syllabe. Mais là où ça devient bien plus pénible dans cette édition The Complete Journey c'est que les descriptions de puzzles sont buggées. En effet le jeu contient des sortes de mini-jeux d'énigmes à l'intérêt inégal, mais que l'on peut heureusement zapper si l'un d'eux commence à trop nous taper sur le système (soit l'essentiel de ceux de Goodbye Deponia). Ces puzzles ont une description pour nous aider à comprendre ce qui est attendu de nous, ce qui n'est pas toujours évident selon les cas. Or chacun des 3 volets de Deponia rassemblés dans cette édition a écopé des descriptions du dernier d'entre eux, Goodbye Deponia. Pour les deux premiers jeux on se retrouve donc avec des descriptions qui n'ont aucun sens avec le contexte et qui ne permettent pas de savoir ce qu'il faut faire. Il m'a parfois fallu consulter une soluce juste pour savoir ce que je devais accomplir avant de m'atteler au puzzle, sinon ça revenait à faire un sudoku sans connaître les règles. Dommage, mais heureusement le reste du jeu reste bien praticable.


La trilogie Deponia (je ne mentionne pas le 4e épisode que je n'ai pas fait et qui semble très à part dans l'intrigue) est un très honorable représentant des Point & Click modernes. Tordu mais plutôt pédagogique dans le cheminement de ses indices, délirant sans se perdre en chemin, souvent ingénieux et toujours bourré d'humour, c'est une aventure qui laisse plus de traces dans mon esprit que je ne m'y attendais. Il se termine comme une bonne série qui a fini de développer son personnage et lance une dernière blague avant la révérence sans se demander ce qu'en pensera son public. Un vrai Rufus en somme.

thetchaff
8
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le 4 mai 2021

Critique lue 133 fois

thetchaff

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