Pour qui sonne la junte

On le voit souvent, Taiwan est un cas intéressant. Sa situation géopolitique complexe revient régulièrement sur le devant de la scène, en raison des tensions entre l’île et la chine. Pour beaucoup de personne, Taiwan n’est qu’une petite ile, peu connue. Pour d’autres, c’est un paradis des marchés de nuits, et l’endroit où un des plus fabuleux musées du monde se tient. Cependant, ce qu’encore moins de gens connaissent, c’est le passé post 1947 de l’ile, après la fuite de Chiang Kai Shek et la défaite du Kuomintang. Cette issue de la guerre civile a vu naitre la République Populaire de Chine sur le continent, et la République de Chine à Taiwan. Si cette séparation est connue, et que les horreurs du régime maoïste sont maintenant largement reconnue, la vie sous le régime nationaliste n’a pas été de tout repos. Après l’incident 228, causé par une malheureuse histoire de contrebande de cigarette, la terreur blanche est lancée. Cette période, s'étendant de 1947 à 1987, a vue l'arrestation de plus de 20000 citoyens, suspectés d'être des espions à la solde du régime communiste C’est sur ce contexte pour le moins tendu que le studio Red Candle Games, basé à Taipei, a décidé de braquer les projecteurs dans Detention, un survival horror psychologique en scrolling horizontal sur le mode du Point’n click sorti en 2017. Un jeu que j’ai beaucoup aimé, et pour lequel je vais tenter de susciter chez vous de l’intérêt.

Vous incarnez un lycéen d’un coin de l’ile, dans les années 1960, alors que Taiwan est encore sous le coup de la loi martiale. Alors que vous vous endormez pendant la cour de Madame Yin, cette dernière est convoquée par le policier militaire chargé de surveiller l’établissement. A votre réveil, un typhon menace de poindre le bout de son nez, et l’école est déserte. Vous tombez sur Fang, une étudiante de classe supérieur, qui somnole dans l’auditorium. En tentant de partir, vous vous rendez compte que le pont s’est effondré. Vous ne pouvez pas quitter le lycée, et vous y restez pour la nuit. Alors que vous allez chercher du combustible pour un poêle, vous ne revenez pas. Vous incarnez maintenant Fang, et le reste de la journée s’annonce horrifique. Vraiment, vraiment, horrifique.

A partir de ce point, l’établissement scolaire est infesté de créatures terrifiantes issue du folklore Taiwanais, et vous ne bénéficiez pas de moyen de vous défendre. Votre seule solution est d’éviter à tout prix la menaces, tout en essayant de comprendre où est passé votre camarade, et pourquoi la situation s'est autant déteriorée. Pour avancer, le joueur doit résoudre des énigmes en trouvant des objets disséminés dans le monde. Régulièrement, des indices font avancer l’histoire, détaillant le passé de la protagoniste, ainsi que l’histoire du lycée, mêlant vie étudiante insouciance et répression politique impitoyable. Dans son ensemble, le jeu n’est pas particulièrement difficile et tend à plus se focaliser sur sa narration que sur une volonté d’offrir un défi corsé aux joueurs.

Compte tenu de la courte durée du jeu, comptez de 4 à 6 heures, je ne peux m’étendre plus sur l’intrigue sans risquer de tomber dans le spoiler. Cependant, tous ce que j’en dirai, c’est qu’elle mêle efficacement histoire et horreur, mettant en scène avec brio l’aspect horrifique de la terreur blanche et l’impact qu’elle a eu sur les habitants de Taïwan. Le personnage de Fang représente parfaitement le poids de la vie sous un régime autoritaire, et tous les traumatismes qui en découlent. L’aspect horrifique de l’œuvre permet une comparaison efficace entre l’horreur du cadre du jeu et l’horreur vécue par ceux qui finissent écrasés sous la botte de la terreur blanche.

Sur le plan technique, le titre de Red Candle ne se démarque pas par des graphismes à la pointe de la technologie, mais parvient à distiller une ambiance malaisante tout au long du titre grâce à sa direction artistique étrange. La bande son, si elle n’offre pas de moment mémorable, parvient à maintenir constamment le joueur sous tension.

Point important pour les non anglophones, Detention n’est pas traduit en Français.

Si vous avez aimez le ton du Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro, et/ou que vous souhaitez jouer à un jeu mettant en scène une période largement méconnue en dehors de Taïwan, je ne peux que vous recommander Detention. Il ne coute pas cher (comptez 11 euros sur Steam et environ 6 Euros en période de soldes), et vous occupera le temps d’une soirée pluvieuse.