Je vais commencer cette critique en mettant les pieds dans le plat. Disco Elysium est un jeu dense. Il est dense en termes de lecture, dense quant à la structure de sa carte étriquée, dense vis-à-vis des informations sur le merveilleux univers proposé. Cette densité contribue à créer ce qui est, à mon sens, probablement mon jeu vidéo préféré de 2019, et un des meilleurs RPG de ces dernières années.
L’intrigue proposée part sur une base simple, mais très efficace. Vous êtes un flic se réveillant après la cuite la plus épique de sa vie dans une chambre d’hôtel d’un quartier miteux de l’ancienne cité glorieuse de Revachol. Le hic, vous ne vous rappelez plus de rien, ni de vous, ni des raisons qui font que vous vous retrouvez dans le trou à rat qu’est le quartier de Martinaise et votre chambre est complétement dévastée. Rapidement, vous comprenez après quelques discussions et la rencontre avec votre acolyte, Kim Kitsuragi, que vous avez été envoyé par votre hiérarchie pour élucider le meurtre d’un mercenaire, tué dans un contexte de fort mécontentement ouvrier. En effet, une grève est en cours, opposant les dockers du quartier à la corporation possédant le port. Cette cocotte-minute sociale, prête à éclater à n’importe quel moment, deviendra votre terrain de jeu pour les prochaines dizaines d’heures. Et quelles heures !
Premièrement, ce qui m’a sauté aux yeux, c’est l’ambiance visuelle qui se dégage de Disco Elysium. Le jeu, en simili 3D isométrique, présente des environnements magnifiquement modélisées avec un style proche de l'aquarelle. La bande originale du titre pose efficacement l’ambiance pesante qui règne à Martinaise, et laisse toujours transparaitre un ton amer. L’univers présenté, fortement inspiré par les années 1970 et 1980 est en réalité un univers science fictionnel se déroulant dans un ailleurs aux technologies étranges, proposant un cadre changeant radicalement des autres œuvres du genre du CRPG que nous avons pu voir ces dernières années, à l’instar de Pillard of Eternity ou Diviny Original sin et leur univers de fantasy relativement convenus.
Deuxièmement, l’écriture du jeu se hisse au sommet de la qualité. L’essentiel du jeu se réglant autour de dialogues, un échec sur ce front aurait signé l’arrêt de mort du titre, mais les développeurs ont parfaitement géré cet aspect. Les dialogues tapent juste, et leur lecture n’est à aucun moment ennuyeuse. Chaque personnage a son style propre, du guindé libéral au camionneur fasciste, en passant par le sale mioche taré qu’on adore détester. La palme du personnage le mieux écrit revient sans contexte à Kim, l’acolyte. Ce dernier est envoyé par un commissariat rival pour vous épauler du mieux que possible. Le personnage n’est ni un béni oui oui qui acceptera aveuglément toute vos décisions ni un opposant farouche à celles-ci. Il possède ses propres motivations, et les dialogues avec lui sont très réussis. Son opinion de vous changera en fonction de vos décisions, quitte à créer une profonde hostilité. En dehors du personnage, de nombreux dialogues ont lieu dans le crane du protagoniste. Chaque compétence du personnage incarne un aspect de sa personnalité, de sa capacité à l’abstraction à la logique brute, en passant par des aspects dominateurs ou violents. Certain choix se feront en s’appuyant sur tel ou tel compétence, et ces dernière tenteront de nous manipuler pour aller en leur sens. Si écouter votre tempérance vous guidera vers la voie du professionnalisme, écouter votre électrochimie vous poussera vers vos addictions. Sachez seulement qu’aucun choix n’est réellement mauvais, et le jeu ne présentant pas vraiment de combat, les compétences sociales seront toute très utiles.
Contrairement à certains RPG qui proposent un niveau minimum dans une capacité spécifique pour tenter une action, Disco Elysium propose à la place la possibilité de tenter une action quitte à se planter lamentablement. Cet aspect est très bien prit en compte, l’échec étant vu par les développeurs comme un moyen de proposer des situations intéressantes. Évitez donc de recharger constamment votre partie, vous passeriez à côté d’un point fort du titre.
Si l’écriture du jeu est excellente, elle peut constituer un défaut de taille. L’inconvénient étant pour les non anglophones, le jeu n’étant toujours pas traduit en français (MAJ: 09/01/2021: Le titre est maintenant disponible en Français. Alors qu’attendez vous?) . Aussi, si lire des pavés de textes dans un jeu vous rebute, vous risquez de vous heurter à un mur de paragraphes alambiqués. Sinon, foncez, il se pourrait que vous adoriez Disco Elysium. Maintenant, plus qu’à attendre une suite, et qui sait, peut-être un jeu de rôle sur table pour retourner dans l’univers fantastique de ce jeu atypique.