Introduction

Je n'ai jamais joué à Deus Ex, ni le premier ni le deuxième. Trop jeune à l'époque, sans doute; j'ai essayé de m'y remettre aujourd'hui, mais la prise en main d'un jeu de 1999 a quand même quelque chose de rhédibitoire, vous en conviendrez. Bref, c'est conscient de son statut de "fils d'une légende" mais sans aucun a priori quant à son aîné que je me suis essuyé à Deus Ex: HR. A noter que j'ai joué à la version PC.

Disons le tout de suite, j'ai été séduit par la campagne de pub. Le premier trailer m'a arraché, comme à beaucoup d'autres, un "Whoâ!". D'autres, sorties beaucoup plus récémment, "tournées" en images réelles et montrant la séquence du front contre l'humanité (les manifestations, la neuropozyne) ainsi que les campagnes de pub factices de Sarif, m'ont laissé béat d'admiration. Je m'étais dit: "si le jeu arrive à aborder ces thématiques avec intelligence et profondeur tout en tenant la route niveau technique, peut-être arriverait-il au niveau de Mass Effect à mon panthéon?"

Autant dire que j'attendais beaucoup de Deus Ex: HR.

Sans doute beaucoup trop.

Le jeu m'a déçu. Non pas qu'il soit mauvais, mais il y a inadéquation entre ce que j'en attendais et ce que j'ai eu au final. Je vais m'efforcer de détailler ça.

I. Aspects techniques

A) Graphismes

J'étais conscient que les trailers étaient fait en image précalculées (voire réelles) et que, bien sûr, ça n'aurait rien à voir avec les graphismes du jeu. D'ailleurs, si la qualité d'un jeu se déduisait de ses graphismes, ça se saurait: il suffit de regarder les petites perles, parfois minimalistes, que sont certains jeux indépendants. Ce à quoi je porte attention, c'est surtout une ambiance, une direction artistique. Il n'empêche que pour un jeu dit "AAA", on peut attendre un certain niveau d'exigence.

Du point de vue de l'ambiance, pas de grands problèmes. Bien que n'étant pas spécialement fan du cyberpunk, je trouve que la direction artistique tenait la route et proposait une ambiance cohérente. Les tons jaunes sont un parti pris, mais force est de reconnaître que ça donne parfois des effets franchement beaux (l'appartement de Jensen...).

En revanche, je ne crois pas être le seul à dire que la qualité technique est très décevante. C'est d'autant plus criant au niveau des personnages: leur animation est franchement rigide, leur visage d'une qualité technique inférieure à certains titres pourtant sortis bien avants (Mass Effect, 2007; Heavy Rain, début 2010; sans même oser parler de la maîtrise technique de L.A. Noire...).

Les environnements ne brillent pas non plus par leur luxe de détail ou de réalisme, certaines textures étant franchement baveuses, avec un clipping ou un aliasing prononcés. C'est pardonnable sur consoles, mais le portage PC est de ce point de vue insatisfaisant, vu le manque d'option graphique disponibles. A ce sujet, les cinématiques qui ont été compressées sur consoles ont été conservées telles quelles sur la version PC, ce qui donne la désagréable impression d'avoir l'écran qui a baissé de résolution dès qu'une cinématique se déclenche.

B) Bande-son

La musique: excellente. Franchement, j'ai adoré les thèmes, bien que je les ai trouvés un peu trop en retrait une grande partie du temps. Mais de ce point de vue, chapeau au compositeur, qui est toujours inspiré et toujours dans l'ambiance.

En revanche, le doublage frise le catastrophique. J'ai joué au jeu en VF, comme la plupart du temps. En général, je ne suis pas trop difficile, mais là c'était difficile de lui trouver des qualités. Mais on m'a soufflé qu'en VO, c'est loin d'être parfait également; d'ailleurs, la voix de Jensen que j'ai entendu dans les trailers VO (celle d'un cancéreux du poumon en phase terminale) avait déjà éveillé mes craintes.

Pourtant, les voix de la plupart des personnages, comme Sarif ou Jensen, n'ont rien de particulièrement horripilant. En fait, le premier souci est purement technique: il y a absence totale de synchronisation labiale pour la version française, ce qui fait que regarder un personnage parler est très vite une vraie torture, surtout pour un jeu mettant en avant sa mise en scène et ses dialogues.

Ensuite, beaucoup de personnages, notamment secondaires, se voient affublés du même doubleur. C'est très gênant quand celui-ci a une "empreinte" vocale reconnaissable. J'étais horripilé de voir que la moitié des PNJ de Détroit s'était vu affublés de la voix de François Créton (par ailleurs excellent doubleur de Joker dans Mass Effect).

De manière générale, j'ai trouvé que la plupart des doublages n'étaient pas inspirés, voire même franchement décalés. A noter que le système de dialogue avec les cases qui s'allument, s'il part d'une idée sympathique, s'est révélé assez déstabilisant pour moi car j'avais tendance à compter les cases au lieu de me concentrer sur le dialogue, ce qui fait que je les ai finalement assez "survolés".

C) Gameplay

C'est sans doute pour moi l'un des plus gros points forts du jeu, et de la série Deus Ex en général. Le level design est top, l'aspect infiltration (qui est le coeur du jeu) parfaitement gérée, l'interface bien pensé, l'inventaire aussi...

Mention spéciale au mini-jeu de piratage: c'est absolument pas fondamental, mais c'est sans doute l'un des mini-jeu du genre les plus prenants et intelligents, comparés à ceux généralement idiots qu'on trouve dans d'autres titres (Mass Effect 2, Bioshock 2), ou alors intéressants mais franchement chiants (Alpha Protocol).

Après, des défauts il y en a aussi. Comme certaines personnes l'ont pointé, l'IA est largement perfectible (si vous trouvez une bouche d'aération vous êtes sauvés, les ennemis ne se baissent ou ne se hissent pas), et le système des alarmes/patrouilles souffrent d'une incohérence certaine (alarme finie = amnésie générale).

Gros hors-sujet également sur les combats de boss. J'ai lu que c'était une trahison à l'esprit Deus Ex, qui veut qu'on puisse ne tuer personne (ce qui est le cas dans DX:HR, hormis pour les boss). Le premier boss, j'ai eu du mal à le battre, m'étant pointé en mode "je tue personne", c'est-à-dire avec trois fléchettes électrochocs et autant de munitions de fusil tranquilisant. Pour les autres, j'ai compris le truc: il suffisait de donner deux coups de cette merveilleuse capacité tout à fait équilibrée (c'est ironique) qu'est le Typhoon, et le combat est fini. Je jouais en mode normal.

Sincèrement, quel était l'intérêt de ces boss? Le combat est réglé en 20 secondes, c'était vraiment bien la peine qu'ils viennent déséquilibrer l'ensemble du gameplay! On voit clairement que le jeu est pas conçu comme ça.

II. Aspects narratifs

C'est le très, très gros point noir pour moi. La campagne de promotion du jeu nous annonçait une histoire de SF réaliste, prenante et intelligente.

Je sais, les deux jeux n'ont pas grand-chose à voir. Mais devant un jeu qui prétend raconter une histoire de science-fiction, avec une mise en scène soignée et des choix de scénario, comment ne pas penser à Mass Effect? Surtout que la séquence d'ouverture rappelle très fortement celle de Mass Effect 2, ne serait-ce que le thème de la résurrection du héros (pendant les crédits d'ouverture, dans les deux cas).

Et pourtant, là où BioWare est passé maître dans l'art du storytelling, Eidos a, de mon point de vue, lamentablement échoué. D'abord au niveau de l'intrigue, mais aussi de la profondeur de son univers.

A) Intrigue

J'ai essayé d'y accrocher. Pendant la première partie du jeu, j'y suis assez bien arrivé. Jusqu'à ce que je décroche. Ca devait être à Derelict Row, peu avant de quitter Detroit pour la première fois. A partir de cet instant, je suis docilement allé là où on me disait d'aller... et je me suis rendu comtpe que le scénario se résumait à peu près à cela.

De choix scénaristiques, n'en cherchez pas, il n'y en a pas. Jensen n'a aucune prise sur sa propre histoire. En fait, dans le scénario principal, il n'y a que deux choses qu'il décide réellement: laisser Zeke Sanders en vie ou non (aucune conséquence majeure sur le scénario) et le choix de fin. La fin ne se décide d'ailleurs pas tout au long du scénario, mais véritablement lors de la dernière séquence, j'y reviendrai.

De même, les dialogues ne vous permettent absolument pas de jouer "Rôle play" à mon sens, c'est-à-dire de donner une réelle personnalité et de réelles convictions à votre personnage. D'abord, elles amènent toutes au même résultat, seule l'intonation change (et est souvent neutralisée par le doublage raté). Ensuite, elles sont souvent dirigées par le système de dialogue: si vous voulez réussir le dialogue, montrez-vous agressif ou compréhensif, etc. On pense ce qu'on veut de la roue de dialogues de BioWare, mais cette tentative de s'en approcher est un échec complet. Le système de dialogue d'Alpha Protocol, avec ses effets directs sur les relations avec le personnage en face notamment, est beaucoup plus intéressant.

J'ai quand même essayé de suivre l'intrigue, en repassant certains dialogues franchement ennuyeux ou convenus. Mais quand les Illuminati sont apparus, j'ai compris qu'on était à la limite du grotesque. Sincèrement, si je devais résumer l'histoire de Jensen, ce serait "alors il est allé ici puis là puis là et finalement...". L'histoire des déplacements de Jensen est très nébuleuse, pour ne pas dire inexistante. Ajoutons à cela une mise en scène pas franchement réussie , et l'on obtient quelque chose d'assez assomant.

Les personnages eux-mêmes souffrent d'un développement inexistant. J'en ai appris plus à leur sujet dans les 10 lignes du guide officiel qu'en écoutant leur dialogue, c'est un vrai problème. Ils ont des rôles très convenus (alors lui c'est le geek blasé, lui l'entrepreneur idéaliste qui croit à ce qu'il fait, lui le flic pourri qui veut que du fric...).

Paradoxalement, le plus intéressant est sans doute les quêtes annexes. D'abord parce qu'elles permettent d'effleurer des questions non abordées dans la trame principale (mais qui restent très classiques), d'autres part parce qu'elles ont une fin ouverte. Reste que les conclures dans un sens ou un autre n'a aucun impact pour la suite.

B) Profondeur scénaristique

L'un ne va pas sans l'autre, mais c'est l'aspect que je trouve le plus raté. Les trailers nous promettaient presque une réflexion sur le futur de l'humanité confrontée à la technologie des augmentations. Thème relativement classique en SF, mais intéressant si très bien traité, surtout avec un medium novateur comme le jeu vidéo qui est apté à poser la question sous un autre angle et à véhiculer des émotions.

Mais Deux Ex souffre en fait d'un péché originel: vouloir bâtir un univers entier sur cette seule problématique. Et au final, c'est artificiel et donc bien évidemment raté. Dans tout le jeu, on ne nous parle que de cela. Les PNJ (qui sont de deux types, punk/junkie ou "civil", bonjour le réalisme d'une grande métropole du XXIème siècle!) n'ont que ce mot à la bouche: augmentation, augmentation, augmentation... c'est rasoir au bout du troisième. Le jeu est entièrement centré là-dessus, à tel point qu'on est rapidement saoulé. Cela n'est pas l'univers profond, crédible et cohérent qu'on nous avait promis, c'est le Truman Show!

Cruellement, les trailers évoquent plus de problématiques que le jeu lui-même. Sur les questions éthiques ou philosophiques, on ne nous balance que des poncifs. Et il y a deux aspects négatifs dans cette phrase: ce sont des poncifs, et on nous les balance. Il n'y a qu'un seul niveau de lecture dans ce jeu, imposé par les scénaristes, qui vont presque jusqu'à mettre des clignotants disant: "attention, la séquence qui va suivre est éthico-intellectuelle".

Je vais tenter de m'expliquer: pour moi, un univers réussi en est un qui est réaliste et crédible, donc qui donne une illusion de vie et qui n'est pas centré sur un seul aspect, d'une part; d'autre part, c'est un univers à plusieurs niveaux de lecture, où on nous montre des situations tout en nous laissant libre de les apprécier et de les étudier tel qu'on le souhaite. L'univers Mass Effect est ma référence de ce point de vue. Il balaye à peu près tous les canons de la SF, mais ne pointe jamais du doigt tel ou tel aspect en particulier. Le joueur est libre de s'arrêter là où il veut, et de se poser les questions que l'histoire sous-entend. Mais il peut aussi ne pas s'y arrêter et traverser le jeu comme un jeu d'action, s'il le souhaite. C'est se limiter à un seul niveau de lecture, mais c'est possible.

~~~~~~SPOILER~~~~~~

C'est l'inverse de Deus Ex, où ils essayent d'intégrer des questionnements éthiques dans le scénario. Ca donne des séquences tagées "intellectuelles" perdues au milieu de deux séquences d'action. Et ça donne aussi cette magnique fin où cette phrase est presque texto prononcée: "si vous appuyez sur ce bouton, l'humanité proscrira tout progrès scientifique". Pardon mais... LOL!

Cela dit, c'est le seul endroit du jeu où on a un réel choix. Je note d'ailleurs qu'un jeu qui propose plusieurs fins, mais qui dépendent littéralement de la dernière action du joueur, est un jeu qui fait preuve de paresse quant à l'évolution du scénario: tout ce que vous avez pu faire avant n'a aucune conséquence scénaristique.

Mais je l'ai déjà dit, à part à cet endroit, le joueur n'a aucune prise sur l'univers. C'est tout juste si on lui demande son avis... alors que le jeu se présente comme un RPG! Comment se sentir impliqué?

~~~~~~FIN DU SPOILER ~~~~~~

Autre illustration du manque évident de profondeur de l'univers: les "carnets électroniques". Loin de constituer une encyclopédie telle que le Codex de Mass Effect ou, pour sortir de la SF, de The Witcher, ce n'est en fait qu'un ramassis de technobabillage qui, honnêtement, m'a rasé au bout du troisième ou quatrième car, là encore, j'avais l'impression qu'on parlait toujours de la même chose. Je rends par contre hommage à l'imagination des rédacteurs, qui ont du trouver pas loin de 100 tournures différentes pour dire: "les logs de l'ordi/digicode d'à côté sont...".

Conclusion

La plupart des critiques semblaient ravies, ou du moins très positives. Vous aurez compris que je suis bien plus mitigé. Ce que je recherche avant tout dans mes jeux, c'est un scénario habile, qui m'implique, qui me fait rêver, qui stimule mon imagination. Le défi est raté pour Deus Ex. Mais est-ce un mauvais jeu? Non, je ne m'y suis pas ennuyé, le gameplay est addictif, la progression bien réalisée. On pourrait le résumer par cette phrase: "il y a beaucoup de travail sur Deus Ex, mais l'alchimie ne s'est pas effectuée".

Si je devais le noter, même si on ne peut pas résumer la qualité d'un titre à un chiffre, je lui donnerai un 12/20. Ce n'est pas mauvais, non. Mais quand on s'attendait à jouer à un 19/20, la déception est indéniable. J'ai eu l'impression de jouer à un jeu qui se veut intelligent, mais dont l'intelligence se révèle être un vernis craquelé. C'est sans doute pour cela qu'il n'a pas trouvé grâce à mes yeux.
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le 6 mars 2014

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