Un développement plus que chaotique, descendu par la critique depuis les previews, moqué par la grande majorité des joueurs à sa sortie, le dernier titre de Tomonobu Itagaki (Ninja Gaiden, Dead or Alive) en aura bavé. Devil's Third est un projet qui remonte à déjà 5 longue années au cours desquelles THQ a eu le temps de passer l'arme à gauche, laissant le jeu à un sort où il changera plusieurs fois de moteur de jeu. Finalement édité par Nintendo pour une exclusivité WiiU, le titre souffre d'une réputation désastreuse, au point de se demander si les jeux de ce calibre ont encore leur place au sein de l'industrie du jeu vidéo actuel.
L'ambition de ce jeu d'action est de mêler les mécaniques du beat them all avec celle du FPS. Le joueur y incarne Ivan, un terroriste russe (tatoué comme un yakuza) incarcéré pour une peine de 850 ans (?!?) à qui le gouvernement américain fait appel pour contrer un menace mondial. Parmi le groupe terroriste School of Democracy (SoD), Ivan devra affronter ses anciens frères d'armes ainsi que son ancien mentor. Avec ce prémisse, le ton est donné, et les références sont évidentes. Devil's Third n'a pas envie d'être pris très au sérieux, le scénario raconte une sorte de Kill Bill (où Vin Diesel remplacerait Uma Thurman) croisé avec un fond de Metal Gear. Le jeu de Itagaki est à celui de Kojima, ce que la filmographie de Robert Rodriguez est à celle de Quentin Tarantino. Il cherche bien à s'en accaparer le style mais plonge la tête la première, et avec allégresse, dans le mauvais goût le plus exquis. Devil's Third est le jeu vidéo dans sa forme la plus stupide et régressive. Les personnages sont sur-stéréotypés, les environnements font fi de toute cohérence (architecture japonaise et russe qui se côtoient tranquillement sur la même île), au cours de ces 9 chapitres, le jeu transpire une atmosphère sorti tout droit de l'ère 128 bits. Des ninjas, des zombies, des mutants, pourquoi diable irait-il se refuser de telle joyeusetés?
D'un point vue visuel, le titre souffre un peu de ce parti pris. Les niveaux, certes variés, souffle le chaud et le froid. Pour un village japonais et ces pagodes inspirés, il y a aussi des hangars et autres centres industriels plus génériques. D'un point de vue strictement technique, les aléas de développement se font durement sentir. Il faut faire avec de fréquents problèmes d'affichage de textures (typique de l'Unreal Engine des débuts), ou des baisses de framerates assez marquées. Mais à coté de cela la modélisation des personnages est très bien rendue, et certains panoramas sont assez convaincants. Des graphismes bien en-dessous de ce qu'est capable la WiiU, mais loin d'être aussi catastrophiques que certains ont bien voulu le faire croire. Ce ne sont là après tout que des considérations esthétiques, largement excusable si le système de jeu procure le fun nécessaire pour compenser. À ce propos, face au mauvais retour du jeu, Itagaki (connu pour son caractère provocateur) avait accusé les joueurs de manquer de skill. Force est de constater, qu'il n'avait pas tout à fait tord. On peut très vite, très mal jouer à Devil's Third. Et le jeu le fera savoir très rapidement, par une mort aussi immédiate que brutale. Il n'en faut pas bien plus pour que le jeu soit qualifié d'injuste ou d'injouable. Pourtant les outils mis aux mains du joueur sont bien là.
Le titre est le croisement de deux genres antinomiques, le shooter et le BTA. Deux approches de jeu radicalement différentes qu'il n'était pas évident de marier. Par exemple dans le pourtant excellentissime Metal Gear Rising, les armes secondaires étaient un calvaire à utiliser. Dans les faits, Devil's Third permet de passer de la mêlée au tir de manière assez fluide. Les gâchettes permettent de viser et tirer, les boutons de façades eux servent aux attaques au corps à corps ou au saut. Niveau configuration des commandes cela est assez abordable aux premiers abords. On peut appuyer brièvement sur la touche d'attaque ou de tir pour dégainer respectivement l'arme de mêlée ou l'arme à feu. Un pression sur l'un ou l'autre des sticks permet soit de courir soit de se baisser, l'un suivit de l'autre permet de faire un glissade digne de Vanquish (en moins nerveux cela va de soit). Le tir lui se fait à la première personne si l'on vise, mais il est aussi possible à la troisième personne. Le réticule de visée y est peu précis, mais les mouvements sont facilités, cela peut être utile face à de gros ennemis rapides.
Le système de mêlée lui, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ne doit pas du tout être appréhendé comme un BTA moderne axé sur les combos. Il n'y a déjà pas de moyen de se défendre des tirs lorsque l'on que l'on attaque au corps à corps (pas de ninja run à la Metal Gear Rising). Se précipiter dans le tas est donc la dernière chose à faire, si l'on ne veut pas mourir rapidement sous les balles. Le level design fait à ce titre un bon boulot pour pousser à se servir à la fois du tir ou de la mêlée. Le jeu est linéaire et propose des couloirs type TPS, des arènes pour le corps à corps, mais aussi et surtout des environnements sur plusieurs niveaux qui permettent de varier les approches. On peut prendre de la hauteur sur les éléments du décor ou s'en servir de couvertures, la progression dans ces salles incitent à faire attention aussi bien aux ennemis à distance qu'à ceux à courte portée. Il y a bien quelques séquences de tourelles malvenues, ou de rares autres où l’apparition des ennemis est un peu abusive, mais globalement l'association des deux genres pour la construction des niveaux marche vraiment bien. Puis les checkpoints sont placés à distances raisonnables pour éviter de frustrer, ce qui risque quand même d'arriver si on aborde les combats n'importe comment.
Comme dit plus, haut Devil's Third n'est pas orienté sur le juggle d'ennemis et le style à la Bayonetta. Les touches d'attaques faibles et fortes permettent chacune de faire un enchaînement. On peut embrayer un enchaînement faible sur un fort, mais ça s’arrête là niveau possibilité de combinaisons. La mêlée a pour principal objectif une élimination rapide des ennemis alentours. Il ne faut que quelque coups pour venir à bout de la majeur parti d'entre-eux, tout le challenge repose alors dans le positionnement et la réactivité. L'attaque forte est lente mais permet de briser la garde. Avec une attaque faible, Ivan fait une légère course vers un ennemi à distance modérée, capital pour enchaîner les adversaires. Le bouton L permet de bloquer en étant immobile, ou esquiver lors du mouvement. L'esquive normale est une roulade, mais si l'on esquive une attaque au bon moment en position de garde, Ivan fera un pas coté et lui permettre de contre attaquer. Le coup porté est le même que celui après une glissade, très utile pour profiter d'une ouverture ou prendre l'ennemi à revers. Ajouté à cela la possibilité de faire une puissante attaque sautée lorsque l'arme de mêlée est dégainée (ce en visant puis faisant une attaque faible) à ne surtout pas négliger, mais attention elle ne préserve pas des dégâts.
À coté de ça, il y a tout de même quelques imprécisions dans certaines exécutions de commandes. Le déclenchement de l'attaque sautée a une distance difficile à évaluer, il faut bien être à l’arrêt pour bloquer, et la couverture (automatique si réglée dans les options) ou la caméra cafouillent par moments. Pas de quoi devenir des entraves systématiques, mais cela arrive de mourir pour rien. Reste que une fois le système de combat bien assimilé, non seulement on peut prétendre pouvoir faire du «beau jeu», mais les combats de boss seront bien plus abordables. Ces derniers vous attaqueront sans relâche, et la moindre erreur peut être fatale, un vrai feeling exigeant à l'ancienne. Un peu regrettable que la manière de les aborder ne diffère pas énormément, ils n'en sont pas moins aussi difficiles que jouissifs à combattre.
Dommage que pour compléter ce gameplay, il n'y ai pas un système de scoring qui pousse vraiment à bien jouer. Une fois la campagne terminée, on débloque un mode course au score pour chaque chapitres. Il s'agit d'un simple cumul de points des différentes catégories (arme à feu, mêlée, mains nues, projectile), il y a bien des bonus de points pour chaque actions remarquables (coup de grâce, tir à la tête, etc...), mais rien de bien significatif pour pousser à l'optimisation de son run. Un point noir pour la rejouabilité, qui n'a à offrir que quelques collectibles et autres petits secrets en mode score. Reste à se pencher alors sur le multijoueur fort complet. Un grand nombres de modes (dont certains assez… autres), création de clans, personnalisation d'équipement et personnage. Un alternative plutôt barré du modèle Call of Duty. À voir si la population des serveurs permettra de profiter de la fonctionnalité en ligne encore bien longtemps.
Devil's Third est très loin de la catastrophe pour laquelle on voudrait le faire passer. Dans un paysage vidéoludique blindé de triple A où l'on se contente de collecter des drapeaux en monde ouvert, le jeu Itagaki est une grosse série B au mauvais goût assumé et délectable qui possède un système de jeu abouti offrant un réel plaisir de prise en mains. Imparfait en bien des points, le jeu l'est indubitablement, mais il saura faire plaisir au amateurs du genre action qui savent où il mettent les pieds. Un titre dont l'énergie semble tout droit sorti de l'époque bénie des consoles 128 bits. Loin des standards aseptisés d'aujourd'hui, il n'a clairement pas sa place au milieu de l'industrie du jeu vidéo actuel, et c'est bien ce qui est le plus triste.
https://chronicssyndrome.wordpress.com/2015/08/30/critique-devils-third/