Critique écrite dans le cadre de mon article "ET TOI, À QUOI T’AS JOUÉ ? #2019"
La première fois que j’ai entendu parler de Disco Elysium, c’est par le biais de cette couverture de Canard PC. Il faut dire que « Le jeu qui va tout changer ». est une accroche plutôt vendeuse. Après lecture de la preview d’Izual, ce serait un euphémisme que de dire que le train de la hype roulait déjà à toute allure sur les rails de mon excitation. Mais il faut le reconnaître, si je m’attendais à un grand jeu à l’image de l’empreinte encore durable qu’avait laissé Divinity Original Sin 2 il y a 2 ans sur mon coeur de rôliste, je ne m’attendais pas à prendre une telle claque dans la gueule. Dans l’Engels même.
Le jeu qui s’appelait auparavant No Truce With the Furies pour ensuite devenir Disco Elysium est un RPG en vue isométrique, développé en Estonie par un collectif d’artistes nommé ZA/UM (ça se prononce Zôme). Laissez le Kamoulox par terre et concentrez-vous, on n’a pas fini.
Le plot de départ est simple. Vous êtes une merde. Non, mais ne partez pas, je reformule. Vous êtes bourré et vous vous sentez comme une merde en turbo gueule de bois pour être précis. Le problème c’est que vous êtes aussi près du lieu d’un crime que vous devez élucider. Car oui, en fait vous êtes un détective de la police de Revachol. Enfin peut-être. Vu votre gueule tout droit sortie d’un mélange entre Derrick et un poivrot du 19e, cela ne vous étonnerait guère. En fait, vous ne vous rappelez de rien. Et des voix bizarres sont en train de s’engueuler dans votre tête. Il y a même une qui a la voix d’un reptilien (même si vous ignorez jusque-là à quoi cela pouvait ressembler, la voix d’un reptilien). Bref, bienvenue dans Disco Elysium.
Avec ce premier jeu, le collectif ZA/UM a voulu bousculer un genre très codifié, celui du RPG dit « à l’occidental ». Et ils ont commencé leur petite révolution en s’attaquant à la sacro-sainte fiche du personnage. En attribuant des points dans les 4 attributs (Intellect, Psyche, Physique et Motorics), le joueur va choisir de privilégier ou non certaines compétences inhérentes à ces derniers. Du classique, en somme. Mais la véritable « killer feature » du jeu se trouve justement dans ces compétences, au nombre de 24.
Vingt-quatre compétences qui sont comme autant de voix dans la tête du joueur. Car chacune d’entre elles possède en réalité sa propre personnalité, son ton et son utilité. Ainsi, tandis qu’Encyclopedia nous distillera sa science pour répondre à la question de ce PNJ sur l’histoire de cette statue, Inland Empire nous fera part de sa dernière hallucination auquel rétorquera Authority qui nous proposera de l’envoyer barrer. Et encore je vous ai fait la version courte.
Ce qui donne lieu quelques fois à des véritables joutes verbales entre notre personnage et ses compétences. Si parfois elles distillent des conseils ou des intuitions, la plupart du temps elles se permettront de s’engueuler entre elles, de vous juger voir de littéralement se foutre de votre gueule face à la dernière connerie commise.
Autre ajout important sur le déroulé du jeu, l’accès en plus d’un inventaire classique (mais efficace pour entretenir son look de Hobo Cop) à un menu appelé « Thought Cabinet » qui se révèle un véritable cabinet de curiosité et d’ingéniosité. Un autre inventaire, cette fois-ci de vos pensées et concepts glanés au fil des discussions et situations de votre aventure qu’il faudra internaliser pour pouvoir s’en équiper. Cela aura pour conséquence d’apporter une influence sur votre partie en vous octroyant des lignes de dialogues supplémentaires (pouvant des fois vous sortir d’une mauvaise passe…ou pas) mais aussi des bonus/malus sur certains attributs.
Cette liberté psychique donne donc la possibilité de modeler son personnage pour en faire vite un mélange détonnant : Un flic véreux marxiste, ou un Social Justice Cop féministe amateur de Disco, les choix sont presque infinis et permettent donc une grande rejouabilité et une hilarité de chaque instant.
Car oui si DE a été salué de toute part, c’est surtout pour son écriture et son humour qui fonctionne à la perfection. Si un bon (voit très bon) niveau d’anglais est requis pour en apprécier pleinement l’exécution, les dialogues percutants, les personnages ubuesques et les descriptions parfois alambiquées et métaphoriques, mais toujours efficaces font vite mouche. Et heureusement, car si l’on dirige bien son personnage en vue isométrique, en interagissant avec l’environnement, en ramassant des objets, l’intégralité du jeu se déroule au final dans les dialogues et dans le cerveau de votre personnage où s’affrontent les compétences. Phases d’actions comprises.
Complètement barrée tel un sketch des Monty Python, l’aventure que procure Disco Elysium vaut aussi le détour. Si l’enquête distillée entre ces folies est aussi complexe que prenante, ce sont surtout les quêtes annexes qui apportent tout le sel de Disco Elysium, que ce soit par leur absurdité ou leur moment de grâce comme la chasse d’un fantôme qui hante la tuyauterie ou le simple fait de devoir retrouver son véritable nom. Si cela semble plutôt abordable, détrompez-vous. La mort est parfois aussi cruelle qu’elle n’est inattendue. Dès la sortie du jeu, beaucoup de joueurs se sont amusés d’être en réalité mort dès les premières minutes du jeu en essayant de récupérer sa cravate coincée dans le ventilateur ou en shootant dans une poubelle. Mais la mort reste peu handicapante tout autant que l’échec sur un lancer de dé ou une mauvaise ligne de dialogue, qui apporte parfois des résultats inattendus qui favorisent ces petites débâcles.
Comme l’a confié le lead writer du jeu Robert Kurvitz à Canard PC « Je voulais créer un monde pour les gens qui sont tombés à court d’articles historiques intéressants sur Wikipédia ». Et c’est un véritable univers que Disco Elysium nous distille au fil des dialogues et des péripéties. S’instaure bien vite une véritable histoire avec un grand H avec ses faits marquants, ses héros révolutionnaires. On se prend vite au jeu, on plonge dans l’univers et on se retrouve à débattre de longues minutes de sujets sérieux comme la philosophie, le communisme, le féminisme ou de pourquoi le Man from Hjelmdall est le meilleur.
Si le bonbon est très bon, l’enrobage l’est tout autant. Pour un jeu développé par un collectif d’artistes avant d’être un studio, ZA/UM joue en terrain connu. On se balade dans cette 3D isométrique comme dans une toile inachevée, avec ces couleurs parfois criardes ou ternes qui transpirent encore la peinture. Le tout dans une couche d’inspiration soviétique parfaitement assumée et réussie par la direction d’artistes comme Aleksander Rostov. Niveau sonore, la bande-son (seulement dispo sur Steam pour le moment) confiée au groupe indé britannique British Sea Power reste planante et s’accorde délicatement avec les ambiances post-industrielles de Revachol. Petit plus pour le doublage de qualité et qui lâche quelques fois un petit accent français sorti de nulle part, mais fort appréciable.
Avec Disco Elysium, le collectif ZA/UM frappe très fort en imposant d’entrée de jeu un chef d’oeuvre / RPG parfait pour un certain public pourtant maintes et maintes fois rassasiés. Par son écriture, son ambiance, ses personnages (Kim, MVP), son absurdité de chaque instant et pleins d’autres bonnes choses, Disco Elysium est le jeu qui m’a le plus transcendé cette année. Et toutes mes compétences d’esprits se sont accordées dessus (sauf Amour propre, mais lui c’est un connard).