Disco Elysium
8.5
Disco Elysium

Jeu de ZA/UM Studio (2019PlayStation 4)

La boule à facettes tourne sans s’arrêter, brillant de mille feux, elle m’aveugle par sa surface changeante à chaque seconde, reflétant le monde qui l'entoure, elle a créé son propre champ de gravité, je suis sous son influence. J’ai perdu, le Disco m’a vaincu, je me suis fait avoir sur toute la ligne.

Moi et mes habitudes, presque ancrées dans mon ADN, Disco Elysium les a annihilés. Mes certitudes ont été largement malmenées au point que la musique résonne encore dans ma tête, insaisissable. Était-ce du génie ou une supercherie ?

Difficile de cacher qu'à la vue des notes dithyrambiques, j’ai senti une certaine pression de la masse populaire s’abattre sur moi, mais je suis sauvé. Oui sauvé, car après plusieurs jours de réflexion intense, je peux enfin dire que j’ai aimé Disco Elysium. Mais la perfection n’est pas de ce monde et j’ai des choses à reprocher à ce dernier. Suffisamment pour que cette fois-ci je ne puisse pas faire l’impasse dessus.

Avec Disco Elysium, je me suis un peu perdu au cours du voyage, ne sachant pas trop bien sur quel pied danser. En suspension entre deux réalités. Celle que j’ai toujours connue, les RPG traditionnels et celle que Disco Elysium a décidé de me proposer. Unique mais terriblement compliquée à appréhender.

Si ce dernier représente sans aucun doute le Saint Graal pour une frange de joueurs, il possède une certaine raideur qui demande un investissement mental important pour se prendre au jeu, littéralement.

N'étant pas spécialement un curieux de JDR, à la vue d’une aventure se basant à 90 % sur des murs de textes, des jets de dés et au gameplay minimal, je n'étais pas tellement rassuré.

Force est de constater qu'après plusieurs dizaines d'heures à me trémousser sur la piste de danse de Revachol, ville portuaire où l'on passe l’ensemble de l’aventure, je ne voulais pas que le rideau se ferme.

Malgré cela, c’est la frustration qui régnait au générique de fin. Frustration, car j’en attendais peut-être trop de cette œuvre hors des clous. Je n’irai pas dans les détails, car il existe déjà des dizaines, voire des centaines de critiques qui ont décortiqué le jeu bien mieux que je ne pourrai le faire. De mon côté, je préfère rester sur mon ressenti et son évolution jusqu'au crédit.

Tout d’abord Disco Elysium parle effectivement beaucoup, ce n’est pas une surprise. Cependant, la Final Cut apporte un doublage, je dois bien l'avouer, qui a tout changé pour moi. Je ne pouvais décemment pas m’imaginer face à mon écran et ces murs de textes sans ce dernier, qui en plus de cela paraît si naturel dans son intégration et la qualité du casting, que c’est au détour d’une discussion avec un ami que j'ai découvert que la version d’origine ne possédait tout simplement pas celui-ci, c

J’ai pourtant du mal à imaginer l’aventure que je viens de vivre avec ses personnages haut en couleur et marquants à plus d’un titre, sans ces voix. Grâce à celles-ci, on oublie naturellement qu'on vient de passer 30 minutes devant une montagne de texte sur la droite de notre écran. Les personnages sont néanmoins en nombre limité, et c'est peut-être là où j'ai eu ma première “mauvaise” surprise avec Disco Elysium, le monde est relativement étriqué. J’ai encore du mal à me dire si c’est un point négatif ou positif, incohérent, vous me direz ? Pas tellement.

À rebours des RPG devenant de plus en plus vastes et souvent à la trame principale déconnectée vis à vis des actions du joueur en dehors de celle-ci, Disco Elysium se concentre sur des zones objectivement très petites, mais procurant à chaque aspect du jeu une homogénéité nécessaire pour atteindre l'objectif que les développeurs s'étaient donné, en faire le JDR interactif ultime.

Objectivement, il l’est, presque. Dans Disco Elysium, on n'a jamais vraiment l’impression de faire des quêtes secondaires ou principales, ni même des quêtes tout court, on se réveille amnésique puis c’est à nous d’écrire la suite.

La voie ne semble, j’insiste sur le “semble”, jamais avoir été tracée pour le joueur. La direction s’écrit au fur et à mesure des interactions avec les protagonistes. Libre à vous de parcourir sérieusement le monde ou de sombrer dans la décadence. Vous pourrez très bien embrasser une cause politique tout comme vous en foutre royalement. Rester concentré sur votre enquête policière et sa résolution ou reléguer celle-ci à un vulgaire passe-temps entre deux bouteilles de tequila. Car oui, il semblerait que vous soyez un gendarme, le vrai, Marcel Patoulatchi, celui qui oublie le numéro de la victime et son adresse.

Mais j’insiste, tout cela se déroule dans un environnement restreint, ne vous imaginez pas parcourir de vastes contrées.

Cette taille maîtrisée permet aux développeurs de cadrer le joueur dans un environnement certes petit, mais qui pourrait être rejoué une dizaine de fois sans jamais se dévoiler de la même manière. C'est en cela que je juge le monde de Disco Elysium d’une taille tout juste comme il le faut pour réaliser l’impossible.

Oui, j'étais certainement frustré de ne pas avoir droit à une dernière zone, mais je comprends qu'il y a une certaine logique et limite dans les ressources allouables par ce petit studio.

L’immensité de Disco Elysium ne viendra pas de ce qu’il vous offrira sous les yeux. C’est avec l’esprit qu’on est pris de vertige. Tout au long des échanges riches et merveilleusement bien écrits, petit à petit, on dessine un schéma d’un tout nouvel univers dans notre tête. Ici, j’ai même du mal à parler de lore, c'est comme si on avait affaire à une sorte de monde parallèle figé dans le temps. Un monde B, régi par des lois physiques différentes et habité par des hommes confrontés à ce qui s’apparente à une caricature de tout ce que l'on trouve dans le nôtre. Disco Elysium est une sorte d’exutoire pour ces développeurs estoniens, un pays de l'ex URSS au passé récent tumultueux et dont les codes sont différents des nôtres. C’est important de le souligner, car cela explique nécessairement beaucoup de choses.

En bref, c’est à ce moment-là que j’ai saisi que Disco Elysium était le jeu de rôle ultime, ça ne veut pas dire que c’est mon pic à moi, mais j'ai compris la raison de sa réussite auprès de certains joueurs. Le dialogue et l’imagination étant là, les clés de voûte de l'œuvre.

Confronté au hasard, on n'est pas réellement la main qui dirige le jeu. Comme dans la réalité, la vraie, un choix dans Disco ne reflète pas nécessairement un futur établi et il y aura souvent des variables que nous n'avions pas imaginées qui rentreront en jeu. Et les échanges avec la caboche de notre cher policier ne feront qu’apporter de la cerise sur le gâteau d’une aventure ô combien sophistiquée.

C’est une qualité à n’en pas douter, mais je comprends tout à fait qu'après des décennies de JV aux codes établis, il est difficile de passer outre cette habitude de tout contrôler. Paradise Killer, autre pépite, pour sa part inconnue, proposait un sentiment similaire sous une autre forme toute autant réussie, mais c’est un autre sujet.

Ce que je reproche réellement à Disco, c'est de donner au joueur le sentiment de devoir épuiser tous les dialogues pour maximiser chaque rencontre et récolter de l’expérience qui en découle. Régulièrement, les conséquences seront “presque” inexistantes à cliquer sur tout ce qu’on a sous les yeux. Quitte à répondre en moins de quelques secondes d’écart deux choses totalement opposées.

Presque, car cela peut influencer notre “profil de flic”, mais il est facile de saisir ce qui devrait impacter positivement ou négativement l’orientation qu’on l’on souhaite prendre. Personnellement, j'aurai bloqué la possibilité de réorienter ses choix une fois ceux-ci effectués, pour renforcer l'implication du joueur.

Ce qui enlève un peu de la magie du hasard que l’on devrait trouver dans un JV inspiré du JDR papier.

D’autant que l’expérience a engendré pour orienter la pensée et le caractère de notre fiche de personnage, est très limitée en quantité. Oubliez tout de suite les Bethesda et autres “jeux de rôles”, les guillemets sont importants, jamais vous ne remplirez toutes les cases.

De toute façon à quoi bon, le dialogue n’est que votre unique arme ou presque, c’est un profil psychologique que vous choisirez, pas votre capacité à sauter plus haut.

Tout cela posera quelques soucis à la fin de l’aventure. Suivant l’orientation que l’on a prise, volontairement ou non. Il est possible que quelques éléments clé du récit vous passent sous le nez, c’était mon cas. De même que la dernière zone peut apporter son lot de frustration, où l'on est en quelque sorte obligé de ratisser celle-ci pour progresser, cassant jusqu'alors une fluidité rarement prise en défaut.

C’est pour cette raison que plus haut, je disais que la voie semblait ne pas avoir été tracée pour le joueur. Car JDR ou non, cette dernière ligne droite est malheureusement très dirigiste.

Le meilleur exemple, c’est lorsque j’ai découvert que j’avais pu ouvrir une “porte cachée” (tâche secrète réussie s’affichant sur l’écran) en remplissant un générateur avec un bidon d'essence précieusement gardé depuis une dizaine d'heures.

Seulement, c'était pour me rendre compte que quelques mètres plus loin, un autre bidon d’essence se trouvait là, immanquable, et que tout ceci menait nécessairement à la séquence de fin, dommage. Ceci n’étant qu’un exemple parmi d’autres.

Une fin qui d’ailleurs se veut “anticlimactic” (désolé il n’y a pas d’équivalent français me satisfaisant) et m’a laissée hagard devant mon écran, un peu sonné. D’autant que comme expliqué, je manquais de quelques clés de compréhension dû à des choix volontaires. Sans aller vers un “tout ça pour ça”, j’ai quand même quelques regrets sur la portée finale.

Comme vous l’avez vu, cette critique ne rentre pas en détail sur chaque facette de cette boule imperméable qu’est Disco Elysium, mais il m’était impossible de me limiter à un simple commentaire qui puisse se glisser dans mon journal JV.

Je n'ai pas abordé la technique ou la musique, mais les deux sont réussis sans que les bras ne m'en tombent devant leurs réussites. Là n'est pas le cœur et l’intérêt premier du jeu. Même si à de rares occasions on notera qu’au détour d’un événement lors d’un dialogue, de rares fondues au noir cache misères nous rappellent que nous sommes face à une œuvre indépendante, plus brute qu’elle ne le laisse penser.

Je suis encore un peu perdu vis-à-vis de ce que je dois penser de Disco Elysium. J’ai aimé, c’est certain, mais sur l’échelle de l’amour que je lui donne, je n’arrive pas encore à me situer.

Ce dernier a bousculé mes habitudes de joueur, j’ai le sentiment d’avoir découvert une nouvelle voie dans le JDR que je dois encore appréhender.

Sans être la meilleure expérience que j’ai eue ces dernières années, je m'arrête sur une note qui dans mon parcours de joueur reste relativement rare pour lui accorder de l’importance.

Au fond de moi, j’ai le sentiment qu’une seconde partie de Disco Elysium en jouant l’opposé même de ce que j’ai fait, pourrait me donner des clés supplémentaires pour abattre cette formule mathématique impénétrable.

La seule chose dont je suis sûr, c’est qu'à l’écriture de cette critique bien trop longue, je repensais au jeu avec nostalgie et tendresse.

Créée

le 21 janv. 2024

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