Arkane Studios ne se déshonore pas...
Les américains, tout comme les trois quarts de la planète, aiment beaucoup se foutre de la gueule des français. Ils appellent ça le "french-bashing". On se moque de notre gouvernement, de nos bagnoles, de nos 35 heures, mais pas nécessairement de nos jeux vidéo.
Lorsqu'on parle de jeu vidéo français, on pense tout de suite aux grands classiques bien de chez nous, Another World ou autres Alone in the Dark. Certains studios se font mousser à tort, comme le Quantic Dream de David Cage, qui n'usurpe pas son titre de B.H.L du jeu vidéo, avec ses nanars interactifs qui coûtent la peau des rouleaux (sauf Nomad Soul, qui était cool). D'autres en revanche, se font plus discrets. C'est le cas d'Arkane Studios, une équipe de lyonnais bourrée de talent et responsable des petits chefs d'oeuvre que sont Arx Fatalis et Dark Messiah of Might and Magic. Leur nouvelle franchise, on peut le dire, ne déshonore en rien leurs précédentes productions.
Dishonored vous propose d'incarner Corvo, un genre de ninja/assassin accusé à tort du meurtre de l'Impératrice d'une civilisation Steampunk décadente. Rien de bien original ? Vous avez en partie raison. De plus, le jeu repose sur un gameplay pas vraiment innovant à base d'infiltration dans des niveaux proposant plusieurs voies impliquant différentes méthodes de résolution. Déjà vu ? Encore une fois, ce n'est pas tout à fait faut. Si on regarde froidement ce qu'a à offrir ce Dishonored, effectivement, ça n'a rien de révolutionnaire. Un Deus Ex à la sauce Bioshock quoi.
Dans la pratique, Dishonored se révèle être bien plus que ça. Commençons par le gameplay. Ce qui frappe le plus, c'est sa polyvalence. Une "épée-papillon" dans une main, et au choix, un pouvoir ou une arme dans l'autre. Une simple pression sur la touche appropriée et hop ! roue de sélection qui nous permet de passer d'un item à un autre en ralentissant le temps durant l'opération. Grâce à ce système, on enchaîne avec aisance les attaques, distractions et évasions qui caractérisent le gameplay. Plutôt sympa, surtout que le design des différents niveaux qui composent le jeu se prête bien aux options qu'offre le système de jeu, de la plus barbare à la plus raffinée . On nous laisse ainsi la liberté de bourriner en récupérant des munitions et grenades sur nos victimes, on peut la jouer finaude en posant des pièges et en usant de pouvoirs magiques pour traverser une zone en un éclair, et on peut même tenter une approche acrobatique de la chose grâce à des accès plus planqués et plus casse-gueule. Chaque style de jeu dispose d'aménagements du niveau, d'améliorations et d'équipements pour se plier à ce que préfère le joueur. Plus balaise encore, les missions ont des issues diverses. On peut les terminer en ne butant personne et en rendant service à la populace, tout comme on peut viander les gardes les uns après les autres en pillant des propriétés. Yes !
Le deuxième gros point fort de ce Dishonored, c'est sa direction artistique. Bien que typé Steampunk, le titre a un character design, des couleurs et des technologies bien à lui. Rien à voir avec les merdes de zeppelins de combat, les connards à monocle et machines aux couleurs cuivrées qu'on retrouve dans genre 100 % des jeux steampunk. Ici, c'est noir, crade et emprunt de magie noire. L'univers du jeu tourne toujours autour d'une révolution industrielle mais s'intéresse davantage à ce qu'elle a d'aliénant et de cruel pour les plus vulnérables. Votre personnage est un vengeur masqué qui fait payer plein tarif les salauds responsables de cette tyrannie. La musique et les effets sonores ne sont pas en reste, avec des bruitages sympathiques (pouvoirs, ennemis alertés...) et une B.O assez originale qui correspond tout à fait au style du jeu. Avec le soin qui est apporté à chaque aspect de sa direction artistique, Dishonored réussit à se créer un univers bien à lui qui puise des idées à droite à gauche, mais ne ressemble finalement qu'à lui-même. L'histoire n'est pas à tomber sur le cul mais est rehaussée par pas mal de mystères qui donnent envie d'en apprendre plus sur l'univers du jeu et lui donnent une certaine épaisseur.
Côté réalisation, il n'y a franchement pas de quoi se plaindre. Les modèles et animations font le taff, le son et la lumière sont admirablement gérés et les textures et effets s'en sortent comme des chefs. On pourra un peu gueuler après l'I.A, qui n'est pas plus naze que les autres jeux du genre, mais vous réservera quand même des petites pépites du style : " C'est probablement un de ces satanés rats" lorsque vous clouerez la tête d'un garde sur un mur sous les yeux de son collègue. C'est sûr, ça casse un peu l'immersion mais c'est rigolo. Reste un jeu fluide, bien animé et texturé, avec les effets qui vont bien et pas de bugs significatifs.
Pour ce qui est de la prise en main, c'est assez réussi. Le système de roue précédemment évoqué y est pour beaucoup, de même que le personnage, qui se contrôle sans peine et fait preuve de beaucoup d'agilité. Les combats, acrobaties et tirs sont faciles à exécuter bien que demandant un peu d'entraînement. Pas de quoi gueuler non plus de ce côté là, donc.
Le contenu total proposé par le jeu divisera sans doute les foules. Soyons clairs dès le début. Dishonored n'a pas une durée de vie exceptionnelle et peut même être torché en moins d'une heure. Neuf missions au programme, de durée inégale.Toutefois, il est suffisamment riche et intéressant pour qu'on s'attarde un minimum sur les différent segments, d'autant que ceux-ci sont hautement rejouables du fait de leurs différentes issues et de la présence de quêtes annexes. On pourrait aussi déplorer le peu d'ennemis différents ou le peu d'items utilisables, même si on a déjà largement ce qu'il nous faut sous la main. La poignée de pouvoirs disponibles et la demi douzaine d'armes laisseront certains sur leur faim, mais heureusement, il est possible de les améliorer. Les quelques DLC disponibles (à l'heure où ces lignes sont écrites, 3) rallongeront la durée de vie du titre, lui octroyant en définitive une longévité acceptable. D'un sens comme d'un autre, Dishonored n'est pas conçu comme une longue aventure qui nous ballade avant de nous amener à la conclusion. Qu'on aille droit au but ou on prenne un peu plus son temps, le jeu est pensé pour être rejoué pour améliorer ses performances ou explorer des alternatives, ce qui gonfle artificiellement cette durée de vie.
Bonne grosse claque que ce Dishonored, qui réussit à se construire une identité bien à lui à une heure ou le standard et la norme guident les choix des créatifs. Si son gameplay n'est pas révolutionnaire, il est en revanche parfaitement maîtrisé et exploité à merveille par son level design. Dès les premiers instants de jeu, l'utilisateur est plongé dans un univers riche et original auquel la direction artistique et la réalisation rendent honneur. Reste le problème du contenu, qu'on pourra choisir d'ignorer si on est pas trop de mauvaise foi et qu'on sait faire durer son plaisir. Maîtrisé de bout en bout, sombre et violent à souhait, le petit dernier d'Arkane Studios apporte un peu de finesse dans ce monde de brutes et donne déjà des envies de suite.