Je vais vous révéler l'un des plus grands secrets que l'on vous cache vis-à-vis des métiers créatifs. Là, maintenant, paf, comme ça. Sans aucune autre raison que celle de vous éduquer. C'est une notion assez aisée à intégrer... mais il faut qu'un Sherpa aguerri vous emmène sur les terres propices à sa pleine compréhension. Son absorption a lieu de manière purement mentale. Vous n'aurez pas à insérer l'un de ces tubes complexes que la science moderne aime tant parader comme un symbole de son évolution constante. Non, tout ceci se fera par pure induction. Sans le moindre contact. De mon esprit au vôtre. À travers le temps et l'espace. De ce moment où j'existe à celui qui saura vous trouver autour d'un transpondeur télématique dans un futur improbable où les éponges sont devenus des interlocuteurs politiques parfaitement acceptables. Ce secret, véridique car vérifié et glané par moi-même lors de l'un de mes voyages dans les rivages de l'esprit, commence ainsi : pour écrire un chef-d’œuvre il ne suffit pas de s'asseoir face près d'une machine à écrire. Contrairement à ce que les gourous du sauvetage personnel vous incitent à régurgiter comme pseudo-philosophie lénifiante tout n'est pas aussi simple que d'être présent. Et non, ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent dans le vrai monde. Il faut aussi appuyer sur les touches. Délicatement, du bout des doigts, à tâtons l'on découvre petit à petit cette vérité subjective qui résonne dans l'esprit de tout un chacun avant d'éblouir par son bien-fondé ceux et celles qui ont le plaisir – que dis-je, l'honneur – d'être réunis dans la chaleur existentielle de son rayonnement. C'est ce processus où chaque instant magnifié par l'effort d'un esprit à la recherche de sens qui mène à la création d’œuvres méritant d'être considérées comme telles. Sans en avoir l'air, à sa manière surannée, Dragon Quest VII est l'un de ces moments de fulgurance mentale dont l'excellence résonne à travers les âges.
Certains efforts du domaine de l'écriture prennent la forme d'un poème. Mignons ou tragiques ils soulignent l'expression fugace des états mentaux de l'humanité – dit-il, soudain conscient que son texte censément axé autour de l'idée d'être une critique d'un J-RPG sur 3DS est décidément en train de lui échapper d'une manière devenue sa marque de fabrique dans le domaine littéraire – c'est par leur brièveté qu'ils magnifient l'une ou l'autre facette de cet état de fait tellement difficile à quantifier qu'est celui de faire partie de l'humanité. D'autres, plus rares et cependant tout aussi valides, prennent le chemin sinueux du récit épique pour représenter au cœur de leurs pages une vérité vertigineuse : celle de la compréhension intime de notre existence temporaire face à une naturelle immortelle. L'infini n'a jamais souffert d'être né. Son échelle, dépourvue de barreaux, est celle d'une constance sans faille : telle est la dimension paralysante de l'état qui nous entoure. Nos actes – aussi valeureux ou méprisables soient-ils – n'ont aucune forme d'importance vis-à-vis de l'équilibre cosmiques des forces en présence. Seule l'inertie et ses renversement temporaires sont susceptibles d'expliquer nos combats futiles. Vous et moi, face à l'infini, ne sommes que des étincelles incapables d'embraser le firmament. Tel est l'état fondamental de l'humanité véhiculé vers vous à travers le temps et l'espace par l'un des artifices les plus phénoménaux d'une race de bipèdes dont chaque trait rappelle son appartenance aux civilisations simiesques. Un artifice que vous et moi nommons... l'écriture. Rien que ça.
Or, l'écriture – si ça c'est pas une démonstration stylistique, vous devriez en prendre de la graine – est la qualité principale d'un titre comme Dragon Quest VII. Certes, ses mécanismes de gameplay représentent à la perfection ce que l'on exige d'un titre comme celui-ci... mais ils ne sont cependant pas la raison principale pour laquelle l'on passe consécutivement quelques journées entières de sa vie à arpenter ses îlots mystérieux. Non, la raison pour laquelle l'on continue à se plonger dans ses étranges charmes repose sur la qualité des historiettes qui vous sont proposées. Certaines sont certes génériques mais les autres sont étrangement émouvantes. Je ne saurais vous en causer sans dénaturer la surprise qui pourrait éclore en vous au contact de ces petits moments ciselés de perfection mais je tiens à vous assurer de leur existence.
Il est rare de voir de nos jours une volonté stylistique aussi concentrée que celle démontrée par ce portage sur portable bicéphale d'un antique titre PlayStation : la discipline a malheureusement évolué – comprenez par là qu'elle tente de se vendre sur un malentendu à un public insensible à ses charmes pour pouvoir survivre – dans un domaine d'activité qui n'a plus qu'une vague forme de ressemblance avec ses canons majeurs. Un accident industriel comme Final Fantasy XV n'arrive pas tout seul, voyez-vous. Non, il est provoqué par l'apathie d'une industrie bien décidée à prostituer ses licences fortes en une parodie de ce qui temporairement populaire. Dragon Quest VII, de son côté, est l'exemple inoxydable de ce que la discipline est censée être : une série de moments rédigés avec soin par des artisans pleinement conscients de participer à une tradition représentant le sommet d'un genre et enchâssés avec talent dans un genre qui n'a pas à singer les hits du moment pour trouver un public. Car – et c'est là l'une des leçons que vous devriez garder de tout cet exercice – un classique, quelle que soit l'époque, reste un classique.