Certaines choses ne changent pas et c’est mieux ainsi. Dans le jeu vidéo, quelques séries sont toujours attendues religieusement, la sortie d’un nouvel opus étant célébrée comme un rite, vécue comme une tradition heureuse. Dragon Quest en fait évidemment partie, lui ce gars sûr du J-RPG. Douze ans après le mythique L’Odyssée du Roi Maudit, la série de Yuji Hori reprend place sur salon, après avoir fait un détour par le nomade et le MMORPG. Et quelle joie de retrouver tous ses codes, cette narration et ce design aussi beaux que sincères et candides.
Un voyage attendu
C’est l’histoire classique du héros naïf vivant tranquillement dans son village paisible, et qui ignore tout de sa grande destinée. Les événements et les rencontres vont forger le chemin jusqu’à la grande bataille qui décidera du sort du monde. Dragon Quest XI n’invente rien et reste fidèle à ses principes du combat du Bien contre les Ténèbres. Tant mieux, on est en terrain connu et c’est l’une des choses que l’on recherche. Comme l’atteste également le don unique de cette série pour narrer les drames intimes qui vont ponctuer l’odyssée du héros appelé ici “L’Éclairé”. Des histoires empreintes d’émotions, de rires, de larmes, de douce mélancolie. Plus globalement, DQ XI bénéficie d’une écriture juste, au rythme maîtrisé et seulement perturbé par quelques petits passages à vide.
On se laisse donc bercer et mener par cette grande quête, cette fuite en avant qui va décider elle-même des endroits à découvrir et des tâches à accomplir. Une mécanique un peu désuète en cette époque friande des mondes ouverts, mais construite avec une belle candeur et une maîtrise admirable. À cette trame s’ajoute l’émerveillement du monde d’Elréa et de ses habitants, aussi bien les monstres que les personnages - le chara design d’Akira Toriyama se marie bien au moteur Unreal Engine 4. Certains décors invitent à la contemplation, à la pause, à l’admiration.
Malheureusement, le découpage en grandes zones ne donne pas l’impression d’arpenter un monde cohérent et lié, une mappemonde unique. L’univers manque ainsi de continuité. Il reste quand même énormément de choses à faire et à découvrir, de collectibles et de coffres à dénicher. Les quêtes secondaires ne sont ni extrêmement nombreuses, ni très originales, ni très bien narrées: apporter un item à untel, battre tel ennemi avec une technique particulière. Rien de transcendant mais quelques objets sympas à récolter. Cet épisode se dote même d’une dimension verticale puisqu’il est possible de sauter et l’exploration des villes -toutes magnifiques- y gagne énormément en intérêt. Dans les donjons ou sur la carte, certains monstres pourront être chevauchés après les avoir battus, d’aucuns permettant d’atteindre des plateformes élevées, d’autres de planer au-dessus de l’eau. Il est de toute manière toujours possible d’utiliser un cheval ou de sprinter en appuyant sur R2, ce qui aide grandement le rythme de l’aventure.
La grande facilité du titre est de plus accompagnée par la présence de feux de camp intermédiaires, où l’on pourra se reposer, sauvegarder sa progression, acheter des objets. Et surtout, fabriquer soi-même de nouvelles armes, armures ou accessoires, via un système de forge des plus ludiques qui demandera de gérer frappes de marteau et température du métal. Il est à noter également que cette localisation occidentale a le bon goût d’ajouter un excellent doublage anglais, offrant un surcroît de personnalité aux protagonistes, par leurs intonations, ou encore leurs accents piochant allègrement dans le londonien, le français, l’italien ou l’espagnol. Quand ce n’est pas en composant des vers ou en jouant de rimes, comme sait si bien le faire l’adorable Asarim dans Breath of the Wild.
Pour le meilleur
En parlant de Zelda, ce Dragon Quest XI n’est d’ailleurs pas, sous certains aspects, sans rappeler un Wind Waker dans son déroulé. En effet, la mer et la navigation sont des éléments importants. Mais qu’on ne s’y trompe pas: Elréa n’est pas un archipel, mais bien un monde avec ses continents propres, ses royaumes, ses villes prospères ou déchues, comme dans tout bon épisode de la saga. C’est au cours de ses pérégrinations que l’Éclairé découvrira coutumes locales et personnages qui viendront s’ajouter à l’escouade. Une formation qui pourra accueillir jusqu’à quatre membres au combat. Il y a de quoi faire pour composer une équipe équilibrée avec tous les joyeux lurons qui composent le groupe.
Ce onzième opus introduit même des arbres de compétences qui permettent des builds moins à l’aveugle que les précédents épisodes - l’acquisition de certains sorts restant tout de même liée à l’atteinte d’un niveau minimal et impossible à deviner à l’avance. De prime abord petits, ces hexagrammes demanderont en réalité beaucoup de temps pour être remplis et il vaut mieux choisir d’emblée une orientation à donner à ses personnages. Patience est mère de sagesse, et l’attente et l’économie de points de compétence en vue d’acquérir certains attributs ou techniques de qualité supérieure feront une grande différence sur le terrain.
Même si l’on rappelle que Dragon Quest XI est étonnamment facile (avant le post-game tout du moins, qui lui représente une toute autre paire de manches) et ne demande pas autant d’investissement que ses prédécesseurs. Seules quelques joutes de boss se révéleront délicates pour le joueur trop peu assidu. On peut également opter pour une aventure un peu plus à la carte, en choisissant des contraintes dans un mode “Draconien” dédié. Le combat est de toute manière agréable, toujours au tour par tour, mais gratifié d’une mécanique d’état hypertonique, qui n’est pas sans rappeler celle de tension du VIII et du IX. Cette fonctionnalité permet aux personnages de combiner ensemble ou de porter des coups critiques avec une probabilité plus élevée.
Vous l’aurez compris, DQ XI est un épisode digne de ses aînés, voire un pot-pourri, un best of de ce que la saga a offert. En est-il pour autant une caricature sans personnalité? Non, quand bien même il reprend carrément des thèmes musicaux connus - à ce titre, on regrette que tous ne bénéficient pas d’un arrangement symphonique et que Koichi Sugiyama ne soit pas aussi inspiré et consistant qu’à l’accoutumée. Non, parce que cette série a toujours fondé son propos sur des codes nobles, sur une générosité qu’à aucun moment, elle ne trahit. Non, parce que ce onzième volet offre de réels moments de bravoure qui lui sont propres. Non, quand bien même on pourrait penser que certains personnages sont clichés: le meilleur exemple est Sylvando, cet artiste efféminé et extravagant dont certains ont pu critiquer l’écriture a priori caricaturale, mais qui est avant tout un protagoniste charismatique à l’esprit chevaleresque des plus admirables. Non, ce Dragon Quest XI est une bien belle aventure.
C’est donc avec un enthousiasme non dissimulé que l’on retrouve la saga Dragon Quest sur PS4 et PC - la version 3DS n’a malheureusement pas fait le voyage en Occident. Un bel onzième épisode canonique qui s’inscrit dans la digne tradition de la série. S’il n’atteint peut-être pas la cohérence, la magie et la grandeur de L’Odyssée du Roi Maudit, Les Combattants de la destinée s’impose comme un J-RPG qui comptera dans cette génération. Une aventure douce, belle et au long cours, qui emportera le joueur en moyenne une centaine d’heures pour obtenir les deux fins. Une chose est sûre, et ce depuis longtemps: Dragon Quest, c’est de l’amour.