Si vous êtes amateurs d’étrangetés vidéoludiques, il y a de fortes chances pour que vous ayez entendu parler d'El Shaddai. Son univers complètement décalé, inspiré des écrits intertestamentaires bibliques d'Enoch, couplé à une direction artistique presque psychédélique lui a valu l'attention d'un public de niche. Le succès commercial, par contre, ne fut pas franchement au rendez-vous... Il faut dire que les critiques de la presse de l'époque (2011) n'encourageaient guère à la curiosité, avec des tests mettant en garde les joueurs contre un gameplay peu maitrisé, plutôt pauvre et redondant.
L'éternel débat: à quoi bon jouer à un jeu vidéo dont le gameplay est un échec ? N'est-ce pas le coeur de l'expérience, après tout ?
Mais, si justement, on décide de regarder ce médium comme un terrain d'expérimentations interactives, il y a certainement d'autres voies à explorer que l'amusement primaire et viscéral. C'est mon crédo depuis de nombreuses années. Malheureusement, El Shaddai n'expérimente vraiment que sur un point précis: ses graphismes.
Le but était visiblement de nous faire parcourir de véritables tableaux mouvants avec des lignes ondulantes, des frontières qui s'effritent, des couleurs qui se résorbent et renaissent au gré de nos errances... El Shaddai use et abuse de ces procédés graphiques qui tentent de compenser une faiblesse technique évidente... et ça marche ! Malgré les textures d'une pauvreté parfois affligeante, le plaisir essentiel de cette étrange aventure est de découvrir les audaces visuelles qu'ont imaginé les développeurs pour le prochain monde, la prochaine salle, le prochain couloir.
El Shaddai devient semblable à un rêve. L'univers est nébuleux, malgré l'histoire extrêmement simple (retrouver et emprisonner des Anges déchus) et échoue à exploiter avec la verve attendue le mysticisme des livres d'Enoch. Alors on avance dans la beauté et la lumière. On se lance dans des combats pêchus et plutôt agréables mais qui souffrent très vite du manque de possibilités offensives dévolues à notre personnage. On subit des séquences de plate-formes, parfois ingénieuses, souvent très laborieuses. Mais on continue à avancer, malgré tout, malgré la sensation d'inconsistance, de confinement, de vide ludique.
El Shaddaï n'est vraiment que ça: la traversée d'une œuvre visuelle, une contemplation sans doute trop linéaire mais jamais désagréable, excepté lors de son final, proprement gâché, où l'enchantement graphique n'existe plus et où les combats deviennent insupportables. Pourquoi vouloir faire un jeu de tout cela ?
Il y a pourtant un niveau, un seul, l'exploration de l'Enfer (je n'en dis pas plus), où, enfin, les séquences de plate-forme entrent en résonance avec le vertige délivré par l'environnement. Un moment hors du temps et de l'espace qui laisse le joueur haletant, presque en transe. Voilà ce que le jeu aurait pu être. Voilà ce qu'il aurait dû être !
El Shaddai étant disponible su Steam, je ne peux que vous inciter à tenter l'expérience: c'est court, pas toujours intense, mais vous y piocherez pas mal d'idées créatives, à demi-exploitées mais offrant une indéniable sensation de fraicheur à défaut de bouleverser fondamentalement vos habitudes de joueurs.